Reportage au cœur d’un établissement étranglé

Sous administration provisoire, l’hôpital d’Ajaccio croit à son redressement

Publié le 02/10/2012
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Crédit photo : PHOTOPQR/NICE MATIN

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DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

C’EST UN peu la mission de la dernière chance. Cette administration provisoire, la deuxième que connaît l’hôpital d’Ajaccio en quatre ans, n’a pas droit à l’erreur. La première mission avait diagnostiqué une maladie rare à l’hôpital public, le sureffectif. Pour sauver le « mammouth » ajaccien, il fallait le dégonfler, et le réorganiser. Las. Le plan de retour à l’équilibre n’a pas été appliqué, et le déficit s’est creusé. Soixante emplois supplémentaires en 2011.

Le dernier directeur n’a pas eu les coudées franches, coincé entre des syndicats aux méthodes musclées (occupation de locaux, séquestration...), et une tutelle prête à tout pour éviter le feu. Il a lâché du lest. Son plan de redressement n’a pas convaincu, et Gwenaël Pors a été muté dans les Pyrénées. « Paris ne l’a pas soutenu. Il a servi de fusible », analyse un Corse.

Développer l’ambulatoire.

Trois administrateurs provisoires lui ont succédé début août, pour un an renouvelable. Emmené par Dominique Acker (IGAS), le trio a vécu son baptême du feu le 19 septembre, avec deux réunions mouvementées (un CTE et une CME). Au programme, le bilan financier 2011, désastreux (voir ci-dessous), et le projet médical 2012-2017. Dominique Acker détaille : « Il faut développer l’ambulatoire et les consultations, ouvrir une unité neurovasculaire, restructurer la gériatrie. Le projet médical est un levier pour arriver au redressement ».

Attendue depuis des années, la rénovation des urgences, en 2013, devrait calmer les esprits. Mais une baisse des effectifs se profile. Problème, les locaux, vétustes et inadaptés (certaines unités n’ont que 12 lits), requièrent un surplus de personnel. Comment faire passer la pilule ? « En quittant le mode pompier, et en désamorçant les conflits avant qu’ils n’explosent », expose Hubert de Beauchamp, l’un des trois administrateurs.

« Les efforts ne doivent pas être supportés par le seul personnel », prévient Rémy Bizzari (Syndicat des travailleurs corses), qui pointe du doigt « l’inconséquence des directions qui se sont succédé » à Ajaccio. « Le nouvel hôpital, on l’attend depuis 30 ans. Cela crée un climat », ajoute-t-il. « Où sont allés les 60 recrutements l’an passé ? Qu’on nous le dise! Le sureffectif au lit du malade, on ne le vit pas », complète Muriel Buisson (CGT), cadre soignante en réanimation. Plus de 100 000 euros en heures supplémentaires auraient été dépensés par l’administration et le pôle logistique ces derniers mois. « Comment justifier une somme pareille ? », interroge la syndicaliste.

Le nouveau CH, un sujet de campagne.

Passionné, le débat dépasse largement l’enceinte de l’hôpital. Le maire (PS) de la ville, Simon Renucci, se défend d’avoir fait pression sur l’établissement pour limiter le chômage, un mal endémique en Corse. « Il n’y a eu aucune embauche politique. Aucune », certifie l’ancien pédiatre. Simon Renucci a facilité l’achat du terrain pour le nouvel hôpital ; il espère rempiler en 2014 pour poser la première pierre.

Celui qui lui a raflé son fauteuil de député en juin promet que le sujet agitera la campagne des municipales. Laurent Marcangeli (UMP) va d’ailleurs écrire à Marisol Touraine : « On aurait tort de limiter les critiques aux seuls syndicats. En face, il n’y a pas eu de résistance, fustige le jeune parlementaire. Le ministère doit prendre ses responsabilités et nommer une bonne équipe dirigeante, qu’il faudra soutenir bec et ongle ». Les ministres eux-mêmes, parfois, lâchent du lest en direct. Ainsi Xavier Bertrand, lors de son passage sur l’île en juillet 2011, a-t-il accepté de payer les heures dues aux hospitaliers ajacciens qui travaillent 39 heures par semaine. L’ARS venait d’être occupée six semaines d’affilée.

Dysfonctionnements.

Remettre en cause les habitudes et les avantages acquis s’annonce délicat. Impossible, raillent les septiques. Mais pour Laurent Marcangeli, le sentiment d’insécurité sanitaire n’autorise plus le statu quo. « Le cancer de mon père a été diagnostiqué trop tard. Depuis, il est suivi à Marseille », confie cette jeune femme. « Le meilleur médecin, c’est Air France », dit la blague corse. L’exode est réel : 15 % des habitants de la Corse-du-Sud se font soigner sur le continent. « L’herbe paraît toujours plus verte ailleurs, pourtant la qualité des soins ici est au top », jure ce PH de la Miséricorde. Les taux de mortalité sont plus élevés en Corse que la moyenne française, mais la population y est aussi plus âgée.

Reste que le diagnostic établi par la Haute autorité de santé n’est pas brillant. Au vu des dysfonctionnements identifiés (problème dans le tri des déchets, absence de conseil de bloc, de projet de soins...), la certification de l’hôpital d’Ajaccio pourrait être assortie de réserves majeures.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9167