Sécurité des AINS en pédiatrie courante

Une étude française soulève à nouveau des questions

Publié le 09/11/2017
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Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), au premier rang desquels l’ibuprofène, sont des médicaments d’une grande efficacité chez l’enfant pour soulager la douleur modérée et l’inconfort associé aux affections fébriles. Cependant, des effets indésirables rares mais graves potentiellement associés à un usage des AINS chez des enfants avec des symptômes bénins font se poser la question de la pertinence leur utilisation massive (1), ce d’autant qu’il existe des alternatives avec d’excellents profils de sécurité, notamment le paracétamol. Le mécanisme d’action principal des AINS étant l’inhibition des cyclo-oxygénases et donc la diminution de sécrétion de prostaglandines, les travaux sur leur sécurité se sont concentrés sur les risques d’insuffisance rénale au cours des gastroentérites (2), de saignement gastrique et de surinfection bactérienne (3). Ces travaux étaient dominés par les résultats très rassurants d’un essai randomisé en double aveugle, conduit au début des années 1990, où 84 192 enfants ont reçu soit du paracétamol, soit de l’ibuprofène (4).

Mais un essai randomisé n’est pas schéma d’étude de choix pour estimer avec une puissance suffisante le risque de survenue d’effets indésirables rares. D’autres schémas d’étude, cas-témoins ad hoc (5), cas-témoins nichés dans une cohorte (6) ou cas-croisés (7) sont beaucoup plus adéquats pour étudier de tels effets rares. Les études conçues selon ces schémas ont toutes mis en évidence une association forte et indépendante entre l’exposition aux AINS et la survenue de complications rénales, hémorragiques et infectieuses bactériennes. Le problème de ces schémas est qu’ils exposent les résultats à des risques de biais, notamment protopathique. Ce biais est à craindre lorsqu’il est difficile d’établir si l’exposition au médicament a bien précédé la survenue de la complication. Ainsi, l’AINS pourrait en fait avoir été donné du fait de symptômes (inconfort, douleur, fièvre) correspondant au début de la complication étudiée.

Pour neutraliser ce biais, il est nécessaire de faire une étude très précise, quasi horaire, des symptômes et des médicaments reçus dans les jours précédant la complication. Jusqu’à récemment, une seule étude de ce type était disponible et avait montré une association forte et indépendante entre la consommation d’AINS au début de la varicelle et la survenue de surinfection à streptocoque A (8).

Une deuxième étude, française, a été publiée récemment (9). Cette étude cas-témoins, menée dans 15 hôpitaux pédiatriques de 2006 à 2009, a inclus tous les enfants (n = 83) consécutivement hospitalisés pour un empyème pleural survenant dans les 15 jours suivant un épisode d’infection respiratoire d’allure virale (toux et fièvre). Les témoins étaient des enfants avec une infection d’allure virale mais d’évolution favorable et appariés au cas pour le praticien, l’âge, les symptômes viraux et la période dans l’année. La prise d’AINS commencée dans les 3 jours suivant les premiers symptômes viraux et poursuivie pendant au moins 1 jour était indépendamment associée à un risque accru d’empyème : odds-ratio = 2,79 [1,40-5,58].

(*) Service de pédiatrie générale et maladies infectieuses pédiatriques, hôpital Necker-Enfants malades. Université Paris Descartes
(**) Department of Non-communicable Disease Epidemiology, Faculty of Epidemiology and Population Health, London School of Hygiene & Tropical Medicine (Londres)
(***) Service de pneumologie pédiatrique, hôpital Necker (Paris)
(****) Unité de gastroentérologie pédiatrique. Hôpital Charles Nicolle (Rouen)
(*****) Unité de rééducation neurologique infantile (URNI), pôle NTC, hôpital Bicêtre, Équipe Développement et affects, CESP, U1018 INSERM, université Paris-Sud et Paris-Saclay
(******) Université Pierre et Marie Curie, néphrologie pédiatrique, hôpital Armand-Trousseau (Paris)
(*******) Service de réanimation médicochirurgicale, hôpital Tenon. Groupe de Recherche Clinique CARMAS, université Paris Est (Créteil)
(1) Bertille. Acta Paediatr 2016
(2) Ulinski. Eur J Pediatr 2004
(3) Dubos. Acta Derm Venereol 2008
(5) Baslestracci. Pediatr Nephrol 2015
(6) Mikaeloff. Br J Pharmacol 2007
(7) Grimaldi-Bensouda. Eur J Clin Pharmacol 2010
(8) Lesko. Pediatrics 2001
(9) Le Bourgeois. J Pediatr 2016

Nathalie Bertille (*), Lamiae Grimaldi-Bensouda (**), Christophe Delacourt (***), Olivier Mouterde (****), Yann Mikaeloff (*****), Tim Ulinski (******), Guillaume Voiriot (*******), Martin Chalumeau (*)

Source : Bilan Spécialiste