Un arrêt cardiaque au cours d’une garde à vue à Château-Thierry

Policiers et médecins s’opposent sur les versions des faits

Publié le 02/02/2009
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Mercredi 28 janvier à 19 heures, la police amène aux urgences du centre hospitalier de Château-Thierry (Aisne) un homme interpellé dans la rue en état d’ébriété. Il est examiné par un urgentiste, le Dr X., qui délivre un certificat de non-hospitalisation. L’homme est donc conduit au commissariat en cellule de dégrisement.

Vers 22 heures, l’homme fait un malaise grave. C’est à partir de ce moment que la version de la police diffère de celle des médecins.

Selon le Dr Amine Mallem, délégué départemental de l’AMUF (Association des médecins urgentistes de France), la police appelle le SAMU. C’est le Dr X qui intervient à nouveau et qui constate que l’homme est en fibrillation ventriculaire. « Les pompiers étaient déjà sur les lieux et pratiquaient un massage cardiaque, mais cet homme nécessitait un choc électrique rapide. Il y avait aux côtés des pompiers un médecin généraliste en train de les regarder », continue le Dr Mallem. Le Dr X commence par faire au patient une perfusion, mais au moment de défibriller, continue le Dr Mallem, le commandant Fay, responsable du commissariat, l’empêche de procéder à la défibrillation, prétend que l’homme en garde à vue est mort, « l’accuse d’en être responsable » et l’emmène à un étage supérieur pour l’interroger. C’est l’ambulancier présent sur les lieux qui a prévenu le centre hospitalier. Le chef du service de réanimation est alors arrivé au commissariat, mais il lui a fallu négocier avec le commandant pour pouvoir emmener le patient, toujours en vie mais toujours pas défibrillé, en réanimation. Quant au Dr X., il n’aurait été relâché qu’après deux longues heures d’audition.

Témoignages écrits

De son côté, le directeur du centre hospitalier de Château-Thierry, Jean-Paul Houlier n’était certes pas présent au commissariat au moment du drame, mais il dispose, dit-il, de « témoignages écrits par l’ensemble des personnels soignants » engagés dans l’affaire. « Au moment où le Dr X a voulu faire la défibrillation, le commandant est arrivé et lui a interdit de continuer, indique le directeur au « Quotidien » . Il lui a demandé si c’était bien lui qui avait signé le certificat de non-hospitalisation, et après sa réponse positive, le commandant a ajouté qu’il l’avait tué et qu’il devait être immédiatement entendu sur ordre du procureur ». Après l’appel de l’ambulancier, le chef du service des urgences du centre hospitalier s’est rendu au commissariat, « il a repris la réanimation et a indiqué aux policiers présents qu’il fallait le ramener aux urgences », ce qu’a refusé le commandant Fay, qui a cependant fini par accepter, à condition que le malade soit accompagné d’un policier.

Contactée par « Le Quotidien », Isabelle Pagenelle, procureur de la République de Château-Thierry, commence par indiquer que pour le moment, aucune action en justice n’a été ouverte, « puisqu’aucune plainte n’a été déposée et que le patient est en vie ». Mais sa version des faits, qu’elle reconnaît tenir d’un rapport oral effectué par le commandant Fay, diffère sensiblement de celle de l’équipe médicale. Selon Isabelle Pagenelle, quand la police a appelé l’hôpital et les pompiers juste après le malaise cardiaque, « les pompiers sont arrivés cinq minutes après, mais pas le SAMU ». Le commandant Fay a donc fait appel à un médecin généraliste habitué du commissariat « qui a pris la direction des opérations ». Le commandant a ensuite appelé Isabelle Pagenelle pour l’informer des faits, et celle-ci lui a demandé « de procéder à l’audition de tous les témoins », vue la gravité de la situation. Ce serait la raison pour laquelle le commandant aurait demandé au médecin urgentiste de le suivre pour l’interroger, « puisque le patient était déjà pris en charge. A aucun moment, la police n’a empêché les soins ».

Le pronostic reste incertain pour le malade : « On ne sait pas combien de temps a duré l’arrêt cardiorespiratoire avec toute cette histoire », commente le directeur de l’établissement. Mais il n’écarte pas l’idée d’une action en justice. « Ce que je souhaite au moins, conclut-il, c’est que les choses s’apaisent, que la police soit rappelée à l’ordre, qu’elle présente des excuses au Dr X., et qu’elle s’engage à ne pas recommencer. Faute de quoi, je ne suis pas sûr que nos équipes reviennent au commissariat, si elles venaient à être appelées à nouveau ».

 HENRI DE SAINT ROMAN

Source : lequotidiendumedecin.fr