Pour une meilleure analgésie aux urgences

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Publié le 10/06/2022
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La prise en charge de la douleur en France est arrivée à maturité. Mais les recommandations peinent à être appliquées dans les services d’urgence. Un atelier du congrès s’est penché sur les pistes pour favoriser leur mise en pratique.
Pas de sédation en dehors du bloc

Pas de sédation en dehors du bloc
Crédit photo : phanie

« Les recommandations en sédation-analgésie d’urgence de 2010, pilotées par la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) et rédigées en collaboration avec les experts de la Société française de médecine d’urgence (SFMU), ont vu le jour dans un ciel pauvre. Des textes traitant de cette question avaient été rédigés en 1993 puis en 1999, mais ils étaient peu détaillés », affirme la Dr Virginie Lvovschi, urgentiste et présidente du groupe « Douleur » de la SFMU. En Europe, contrairement aux États-Unis, peu de travaux scientifiques étaient réalisés aux urgences au début des années 2000. Les recommandations de 2010 se fondent essentiellement de données péri-opératoires. « En 2008, je faisais partie des premières équipes à évaluer l’efficacité des morphiniques aux urgences », précise la Dr Lvovschi.

Une prise en charge multimodale

« Avant la publication de ce texte, il existait un problème d’identification et de traitement de la douleur sévère. Ces recommandations ont notamment proposé des moyens d’encadrer la titration morphinique intraveineuse aux urgences, et instauré un schéma directeur pour une prise en charge multimodale, afin de pouvoir associer plusieurs antalgiques, de façon sécure », souligne la Dr Lvovschi.

L’usage des sédatifs est également circonscrit, de sorte que les praticiens des urgences n’outrepassent pas leur rôle. « Il ne faut pas créer un mini bloc opératoire dans un service d’urgences. Même lorsque les blocs opératoires de l’établissement en question ne sont pas disponibles. Il faut éviter le risque de coma grave iatrogénique », note la Dr Lvovschi. Ces recommandations posent ainsi des limites claires entre le rôle de l’urgentiste et celui de l’anesthésiste en matière de sédation. « Même s’il a les mêmes compétences que l’anesthésiste, l’urgentiste ne doit pas utiliser la sédation à mauvais escient. Les urgences ne sont pas un lieu adapté à l’anesthésie générale (AG). Et un anesthésiste ne doit pas être sollicité par un chirurgien pour pratiquer une AG aux urgences », insiste la Dr Lvovschi.

De nouvelles exigences

La médecine d’urgence s’est qualifiée durant ces quinze dernières années : elle bénéficie désormais d’un rationnel scientifique qui lui est propre. « Cela crée de nouvelles exigences en termes de qualité et d’efficacité », confie la Dr Lvovschi. Mais, compte tenu des enjeux et contraintes actuelles dans les services, mettre en place ces recommandations est un véritable défi. « Parfois, certains traitements proposés ne sont pas disponibles : il existe ainsi une certaine hétérogénéité d’accès aux soins selon les hôpitaux. Si une innovation thérapeutique n’est pas validée par la commission médicale d’établissement, dans le circuit médical de l’hôpital (pour des raisons médicoéconomiques ou autres), le patient n’y aura pas accès. Ce qui peut constituer une perte de chance », déplore la Dr Lvovschi. De fait, un médecin urgentiste ne peut appliquer les recommandations en sédation-analgésie si elles ne sont pas en phase avec les protocoles de son service. « Les équipes rédigeant ces protocoles devraient toujours disposer de référents douleur, médecins, ou infirmiers. En cas d’intégration d’un nouveau traitement ou d’une nouvelle pratique d’analgésie ou de sédation, le service d’urgence a également tout à gagner à mettre en place une étude clinique d’évaluation. Il s’agit là d’un bon outil de stimulation et de motivation des équipes. En France, la recherche paramédicale (infirmière) sur la douleur mériterait d’être davantage développée. Car, aujourd’hui, les équipes d’urgence savent maîtriser la douleur. Mais les délais d’accès aux antalgiques restent trop hétérogènes. Elles dépendent des contraintes organisationnelles de chaque service », ajoute la Dr Lvovschi.

Enfin, pour une mise en place optimale de recommandations, les professeurs d’université doivent les connaître et les transmettre à leurs étudiants, dès les premières années de formation, dans les facultés de médecine.

Exergue : « La mise en place de recherches paramédicales sur les nouveaux protocoles est un bon outil de motivation des équipes »

Entretien avec la Dr Virginie Lvovschi (CHU de Rouen)

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du médecin