Pr. Orazio Schillaci

Un médecin, novice en politique, aux commandes de la Santé italienne

Publié le 04/11/2022
Article réservé aux abonnés
La nouvelle cheffe du gouvernement italien d'extrême droite a demandé à un spécialiste de la médecine nucléaire de tenir la barre d'un secteur santé sous haute tension. Comme en France en juillet dernier, c'est un expert reconnu dans son secteur, mais totalement hors du circuit politique jusqu'à présent qui a été choisi.

Crédit photo : DR

Médecin, professeur universitaire, chercheur, recteur. Voilà à quoi ressemble la carte d’identité du Pr. Orazio Schillaci, nouveau ministre de la Santé du gouvernement piloté par Giorgia Meloni, l’égérie de l’extrême-droite qui a remporté la course à la présidence du Conseil après avoir effectué le meilleur score électoral. Contrairement à ses nouveaux collègues, ce médecin spécialisé en médecine nucléaire n’a jamais fréquenté les somptueux palais romains de la politique. Et il n’a jamais non plus connu la grisaille des bâtiments bruxellois qui hébergent les institutions européennes.

À preuve, son curriculum vitae aussi épais que l’Ancien Testament qui démontre que le nouveau ministre de la Santé fait partie de la fameuse race des experts technocrates. C'est-à-dire les personnalités extrêmement pointues dans leur domaine qui se tiennent généralement soigneusement à l’écart de la politique politicienne et ne font jamais publiquement état de leurs opinions.

Un homme discret mais déterminé

Né à Rome en 1966, le futur ministre de la Santé s’est inscrit en médecine et chirurgie dans la capitale après avoir décroché son baccalauréat avec les félicitations du jury. Il est diplômé en 1990 à l’âge de 24 ans, toujours avec les félicitations du jury. Puis, se spécialise en médecine nucléaire. La matière qu’il enseignera à des milliers d’étudiants à partir des années 2000 après avoir passé le concours et obtenu un poste de professeur ordinaire de médecine nucléaire pour les cours de médecine et chirurgie mais aussi, de TMR, la technique en radiologie médicale à l’université la Sapienza à Rome.

En 2001, le Pr. Schillaci accroche un nouveau trophée à son tableau de chasse lorsqu’il est nommé directeur de l’Unité Opérationnelle Complexe (UOC), de médecine nucléaire à l’hôpital Tor Vergata à Rome. En 2013 sa carrière prend un nouveau tournant important : il est élu recteur de la faculté de médecine et de chirurgie de Rome.

On le dit discret, constant, extrêmement brillant, courtois et ouvert à la discussion mais déterminé dans ses choix. Discret, c’est certain car sa vie privée fait partie des grands mystères italiens. Par exemple, personne ne sait s’il est marié et s’il a des enfants. Le Pr. Schillaci ne fréquente pas les salons de la politique, ne court pas les dîners ou les discothèques à la mode comme le très sulfureux nouveau président du Sénat, Ignazio La Russa.

En revanche sa vie professionnelle est sous tous les projecteurs et ses différents postes lui ont permis de rencontrer le gotha de la médecine et de la recherche internationale. Président de l’Association italienne des médecins spécialisés en médecine nucléaire et imagerie moléculaire (AIMN), cet universitaire fait également partie du Comité Scientifique de l’Institut Supérieur de la Santé (ISS), de la Commission Sanitaire de la Région du Latium et de celle du ministère de la Santé. Enfin, il est responsable des projets de recherche nationaux et internationaux pouvant bénéficier des financements comme Horizon 2020, un programme développé par l’Union européenne. Membre du comité éditorial de la publication scientifique The Journal of Nuclear Medicine, de l’European Journal of Nuclear Medicine and Molecular imaging et de The Expert Review of Medical, le Pr. Schillaci est aussi impliqué dans la révision des articles publiés sur des revues internationales de médecine nucléaire.

Controverse autour de la vaccination

Depuis la fin octobre, le nouveau ministre de la Santé a récupéré les dossiers importants que lui a laissés son prédécesseur, l’ex-démocrate Roberto Speranza, qui lui n'était pas médecin. Des dossiers parfois carrément brûlants comme celui notamment sur la vaccination contre le coronavirus. Car si les deux précédents gouvernements qui ont été au timon du paquebot Italie depuis le début de la pandémie en mars 2020 n’ont pas eu le courage de rendre la prophylaxie obligatoire pour toutes les catégories et toutes les tranches d’âge, le nouvel exécutif souhaite revoir toutes les règles sur la vaccination en général. Ainsi, le patron de la Ligue Matteo Salvini a par exemple promis durant la campagne électorale, de tout mettre en œuvre pour abolir les dix vaccins obligatoires pour les enfants scolarisés, au prétexte que « trop de vaccins sont nocifs pour leur santé ». Si le sujet est abordé en conseil des ministres, la discussion risque d’être joyeuse entre le bouillant et brouillon grand manitou de la Ligue et le chercheur qui défend âprement la prophylaxie.

En cas de reprise de la pandémie ou de l’arrivée d’une autre épidémie nécessitant la réintroduction de certaines mesures importantes comme le passe sanitaire ou les restrictions sur la circulation des individus, là encore le débat risque de tourner au vinaigre. Durant les deux dernières années, le Pr. Schillaci a ponctuellement demandé aux Italiens de respecter les règles pour éviter l’apparition de nouveaux foyers infectieux. Une position que ne partage pas Matteo Salvini qui déteste les restrictions qui entravent, dit-il, la liberté individuelle. La question est de savoir comment ce spécialiste va réussir à gérer la situation, notamment en ce qui concerne la campagne pour la quatrième et cinquième dose et la vaccination en général.

Quel budget pour la santé ?

À cela s’ajoute un autre dossier : celui des financements qui devront être débloqués dans le cadre du Plan de relance et de résilience qui prévoit la remise en ordre du réseau de santé public. Et aussi le budget qui devrait être alloué à la santé en décembre prochain lorsque le parlement devra examiner la loi de Finances 2023. La bataille risque d’être rude avec le ministère de l’Économie qui pourrait revoir tous ces fonds à la baisse compte tenu du climat social et économique incandescent et avec des associations de consommateurs qui réclament un nouveau train de mesures pour aider les ménages en détresse.

Dans ce contexte qui ne laisse rien présager de bon, deux questions sont déjà sur toutes les lèvres. Comment le Pr. Schillaci qui n’a jamais fréquenté les discussions politico-budgétaires de haut niveau va-t-il réussir à faire jouer les bons leviers pour obtenir les milliers d’euros indispensables à la remise en ordre de la Santé italienne ? Et combien de temps va-t-il résister avant de jeter l’éponge pour conserver sa crédibilité dans le milieu scientifique international ?

Ariel F. Dumont à Rome

Source : Le Quotidien du médecin