THE LANCET
Participation et rendement de deux tests de dépistage à domicile pour détecter une hyperalbuminurie en population générale néerlandaise (THOMAS). Étude randomisée prospective d’implémentation en ouvert.
Participation rate and yield of two home-based screening methods to detect increased albuminuria in the general population in the Netherlands (THOMAS): a prospective, randomised, open-label implementation study
Van Mill D, Kieneker LM, Evers-Roeten B, & al.
Lancet 2023;402:1052-64
CONTEXTE
L’albuminurie (1) participe à la définition du stade précoce de l’insuffisance rénale chronique (IRC), maladie asymptomatique dont la prévalence augmente dans le monde entier (2, 3). Par ailleurs, l’IRC est un facteur prédictif validé de maladies cardiovasculaires (4). Pour éviter les IRC au stade terminal nécessitant un traitement de suppléance (dialyse ou greffe) et/ou ses complications cardiovasculaires, il est utile d’identifier précocement ses premiers signes (5), d’autant qu’il existe des moyens thérapeutiques efficaces (inhibiteurs du système rénine angiotensine et gliflozines) pour freiner le déclin de la fonction rénale (6) et réduire l’incidence des décès cardiovasculaires ou hospitalisations pour insuffisance cardiaque (7).
OBJECTIF
Évaluer les performances de deux tests de dépistage de l’hyperalbuminurie à domicile en population générale.
MÉTHODE
Étude randomisée prospective en ouvert conduite en population générale à Bréda (Pays-Bas). Les sujets invités au dépistage étaient âgés de 45 à 85 ans et tirés au sort dans la population régionale. Ils ont été randomisés pour tester une des deux méthodes de dépistage : une bandelette sur urines matinales (UCD = Urine Collection Device) envoyée par la poste à un laboratoire central pour mesurer le rapport albuminurie/créatininurie (RAC) ou une application pour smartphone qui mesure le RAC sur une bandelette urinaire matinale prélevée à domicile. Le test était considéré comme positif si le RAC était ≥ 3 mg/mmol. Si le résultat du premier test était positif, il était confirmé (ou non) par un second test fait avec la même méthode. En cas de deuxième test négatif, un troisième test était effectué, toujours avec la même méthode. Si deux tests étaient positifs, les sujets étaient invités à se rendre à l’hôpital pour un bilan rénal et de détection des facteurs de risque cardiovasculaire (FDRCV). Si ce bilan confirmait le diagnostic d’IRC (quel qu’en soit le stade) ou identifiait au moins un FDRCV, le patient était adressé à son médecin généraliste pour prise en charge et suivi. Le co-critère de jugement était le taux de participation des sujets à la méthode de dépistage allouée et le rendement (sensibilité et spécificité) du test pour identifier une IRC ou repérer au moins un FDRCV.
La randomisation a été stratifiée sur l’âge (< 65 ou ≥ 65 ans), le sexe et le statut socio-économique (faible, moyen ou élevée) du sujet. L’analyse statistique pour le taux de participation a été faite sur tous les sujets randomisés. La sensibilité et la spécificité de chaque test pour identifier une IRC est présentée en pourcentage avec son intervalle de confiance à 95 % (IC95) chez les patients ayant accompli le bilan hospitalier.
Pour éviter les IRC au stade terminal, il est utile d’identifier précocement ses premiers signes, d’autant qu’il existe des moyens thérapeutiques efficaces.
RÉSULTATS
Entre novembre 2019 et mars 2021, 15 074 sujets tirés au sort ont été randomisés : 7 552 (50,1 %) dans le groupe UCD et 7 522 dans le groupe smartphone. L’âge moyen des sujets randomisés était de 60 ans dans les deux groupes.
Le taux de participation réelle au test alloué a été de 59,4 % (4 484/7 552) dans le groupe UCD et de 44,3 % (3 336/7 522) dans le groupe smartphone (p < 0,0001).
Il y a eu 150 (1,98 %) tests urinaires doublement positifs (RAC ≥ 3 mg/mmol) dans le groupe UCD et 171 (2,27 %) dans le groupe smartphone. Tous ces sujets ont été adressés à l’hôpital de Bréda pour bilan rénal et détection des FDRCV. 124 (82,7 %) des 150 sujets doublement positifs du groupe UCD et 142 (83 %) des 171 du groupe smartphone ont effectivement accompli ce bilan. Les sujets du groupe UCD ayant bénéficié du bilan hospitalier étaient significativement plus âgés que ceux du groupe smartphone (68,5 vs 60,9 ans). Le bilan a permis de détecter au moins un nouveau FDRCV chez 63,7 % des sujets positifs au test UCD et 55,6 % des personnes positives au test via le smartphone.
La sensibilité et la spécificité de la méthode UCD pour détecter une augmentation pathologique du RAC (≥ 3 mg/mmol) étaient de 97 % (IC95 = 94,7-98,8). La sensibilité de la méthode smartphone était de 98,1 % (IC95 = 89,9-99,9) et sa spécificité de 68 % (IC95 = 62,0-73,3).
27 des 124 (21,8 %) sujets positifs au dépistage UCD avaient une altération cliniquement pertinente de la fonction rénale (débit de filtration glomérulaire – DFG < 60 ml/mn/m2), inconnue pour deux tiers d’entre eux. Compte tenu du taux élevé de faux positifs dans le groupe smartphone, le taux (8,5 %) de sujets ayant une altération cliniquement pertinente de la fonction rénale dans ce groupe est particulièrement ininterprétable.
Enfin, seulement 56 (54,4 %) des 111 patients du groupe UCD adressés à leur médecin généraliste après bilan hospitalier positif l’ont réellement consulté. Il en était de même pour 44 (46,3 %) des 106 sujets du groupe smartphone.
COMMENTAIRES
THOMAS est la première étude randomisée prospective ayant évalué les performances de deux tests de dépistage à domicile de l’hyperalbuminurie en population générale. Elle montre clairement que la méthode UCD est supérieure (surtout en termes de participation et de spécificité) à celle utilisant le smartphone.
Les auteurs considèrent que le taux de participation à la méthode UCD était élevé alors que 40,6 % des sujets invités alloués à ce groupe n’ont pas participé à l’étude. Leur interprétation plutôt optimiste est liée au fait que ce taux était du même ordre que celui de la participation de la population générale invitée au test Hémocult pour dépister le cancer du côlon dans les études d’implémentation de ce test aux Pays-Bas en 2008 (8).
L’objectif initial des auteurs était d’évaluer les performances de deux tests de dépistage de l’hyperalbuminurie en population générale avec comme probable « jardin secret » de repérer des patients atteints d’insuffisance rénale chronique non diagnostiquée. Au moins une étude a montré que le dépistage de cette maladie asymptomatique était suboptimal (bien que recommandé), y compris chez des sujets à haut risque d’IRC atteints de diabète et/ou d’hypertension artérielle et/ou de pathologies cardiovasculaires (9).
Cependant, dans cet essai, la prévalence de l’IRC dans le groupe UCD serait de 21,8 % des 124 sujets ayant pris part au bilan hospitalier, 16 % des 150 qui auraient dû en bénéficier, 0,5 % des sujets ayant réellement participé au dépistage et 0,3 % des sujets invités et randomisés dans ce groupe.
Devant ces faibles taux obtenus dans les deux dernières populations, les auteurs ont élargi le périmètre de l’essai et recherché les autres FDRCV identifiés via le dépistage de l’hyperalbuminurie alors qu’il y a des moyens cliniques et biologiques plus simples, validés et fiables pour le faire.
Si ces résultats peuvent questionner la pertinence d’un dépistage systématique de l’hyperalbuminurie en population générale, la donne épidémiologique est probablement différente pour les patients consultant en soins primaires.
La prévalence de l’IRC en médecine générale est inconnue. Elle est probablement plus élevée qu’en population générale, ne serait-ce que parce que les patients diabétiques, hypertendus ou atteints de maladie cardiovasculaire sont plus nombreux.
En pratique, compte tenu de l’efficacité démontrée des traitements récents de l’IRC (6,7), il serait pertinent de dépister régulièrement les patients qui consultent en soins primaires en leur prescrivant un RAC et un DFG selon l’équation CKD-EPI (10, 11) au moins une fois par an à partir de l’âge de 65 ans, quel(s) que soi(en)t par ailleurs le(s) motif(s) de consultation.
BIBLIOGRAPHIE
1. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) CKD work group. KDIGO 2012 clinical practice guideline for the evaluation and management of chronic kidney disease. Kidney Int Suppl 2011;2013:1-150.
2. Hill NR, Fatoba ST, Oke JL, & al. Global prevalence of chronic kidney disease—a systematic review and meta-analysis. PLoS One 2016;11:e0158765.
3. Bikbov B, Purcell CA, Levey AS, & al. Global, regional, and national burden of chronic kidney disease, 1990-2017: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet 2020;395:709-33.
4. Matsushita K, van der Velde M, Astor BC, & al. Association of estimated glomerular filtration rate and albuminuria with all-cause and cardiovascular mortality in general population cohorts: a collaborative meta-analysis. Lancet 2010;375:2073-81.
5. Gansevoort RT, Correa-Rotter R, Hemmelgarn BR, & al. Chronic kidney disease and cardiovascular risk: epidemiology, mechanisms, and prevention. Lancet 2013;382:339-52.
6. Jafar TH, Schmid CH, Landa M, & al. Angiotensin-converting enzyme inhibitors and progression of nondiabetic renal disease. A meta-analysis of patient-level data. Ann Intern Med 2001;135:73-87.
7. Heerspink HJL, Stefansson BV, Correa-Rotter R & al. Dapagliflozin in Patients with Chronic Kidney Disease. N Engl J Med 2020;383:1436-46. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2024816
8. Van Rossum LG, van Rijn AF, Laheij RJ, & al. Random comparison of guaiac and immunochemical fecal occult blood tests for colorectal cancer in a screening population. Gastroenterology 2008;135:82-90.
9. Shin JI, Chang AR, Grams ME, & al. Albuminuria testing in hypertension and diabetes: an individual-participant data meta-analysis in a global consortium. Hypertension 2021;78:1042-52.
10. Levey AS, Stevens LA, Schmid CH, & al. A New Equation to Estimate Glomerular Filtration Rate. Ann Intern Med 2009;150:604-12.
11. Inker LA, Eneanya ND, Coresh J & al. New Creatinine- and Cystatin C-Based Equations to Estimate GFR without Race. N Engl J Med 2021;385:1737-49.
LIENS D’INTÉRÊTS L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt relatif au contenu de cet article