UNE PARTIE DE LEUR AVENIR s’est décidée il y a quelques jours à l’Assemblée nationale mais ils ne le savent pas. Kahina, Fadila et Arvish se pressent vers le bâtiment de l’Illustration, le cur historique de la faculté de Bobigny. Pour les trois étudiants en 4e année de médecine, le plus important, aujourd’hui, c’est l’examen blanc de lecture critique d’article (LCA) qu’ils vont passer dans quelques instants, pas l’examen de la loi Bachelot. Le projet Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) discuté par les députés pourrait pourtant avoir un impact sur la suite de leurs études et de leur carrière. Le volet consacré à la démographie médicale, surtout. Une disposition du rapporteur du projet de loi, Jean-Marie Rolland, prévoit « de prendre des mesures plus directives si les déséquilibres [démographiques] actuels persistent ». Elle est passée inaperçue auprès de la grande majorité des étudiants. Après trois ans de mise en uvre des schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS), si les mesures incitatives à l’installation n’ont pas permis de mieux répartir les médecins sur le territoire, il est prévu que les futures agences régionales de santé (ARS) puissent « demander aux médecins des zones sur-denses de contribuer à répondre aux besoins de santé des habitants des zones sous dotées ». Les médecins qui refuseraient de signer un tel contrat devraient s’acquitter d’une « contribution forfaitaire annuelle au plus égale au plafond mensuel de la sécurité sociale », fixé à 2 859 euros en 2009.
- « Quoi, s’exclame Kahina, c’est vraiment des nuls ! C’est le bâton ou la carotte ! »
- « On va faire un métier suffisamment difficile, si en plus on nous met des contraintes dans notre vie privée… Moi ça m’inquiète, souffle Fadila. Je veux bien me sacrifier pour un métier qui en vaut la peine mais je ne veux pas sacrifier ma vie de famille ».
- « Je me dis que ça n’arrivera pas », répond Kahina.
- « Et pourquoi ? Qu’est-ce qui va les empêcher de nous mettre une taxe si on ne s’installe pas où ils veulent ? », réplique du tac au tac Fadila.
« J’ai déjà entendu parler des difficultés à accéder à certaines spécialités et je comprends que cela fasse débat, confie Arvish. Avec ma copine, qui est en même année que moi, on a envie de rester à Paris si notre classement aux ECN (épreuves classantes nationales) nous le permet. Mais la somme de 3 000 euros me dissuaderait de m’installer dans une zone surdotée ».
La bourse pourra intéresser du monde.
Le contrat d’engagement de service public souhaité par le gouvernement va permettre aux étudiants de bénéficier, dès la 2e année, d’une bourse mensuelle de 1 200 euros. En échange, les candidats s’engageront à exercer leurs fonctions, en libéral ou salarié, dans un territoire déficitaire en offre de soins, pendant une durée égale à celle pendant laquelle l’allocation leur sera versée. Pour la présidente de la corporation étudiante locale, Monireh Nejatbakhshe, en 3e année, « cette bourse pourra intéresser du monde à Bobigny ». Mais la jeune femme met en garde : « Cette bourse est attractive mais aussi très dangereuse. L’ouvrir aux étudiants dès la 2e année me paraît beaucoup trop tôt car les étudiants ne savent pas ce qu’ils veulent faire 8 ans plus tard ! » La disposition adoptée par les députés prévoit en effet que les candidats à la bourse puissent se rétracter. Mais ils ne pourront se dégager de leur obligation que s’ils paient une indemnité dont le montant sera le double des sommes perçues. Cas extrême : un étudiant qui souscrirait une bourse dès la 2e année jusqu’à la sortie de la faculté et qui déciderait de ne finalement pas s’installer dans une zone sous dotée devrait ainsi régler 230 400 euros ! « Je ne demanderai pas cette bourse, assure Kévin, 19 ans, étudiant en 2e année. Trop risqué ! Et pourtant cette bourse est l’équivalent d’un SMIC et à Bobigny, beaucoup de gens défavorisés vont sauter sur l’occasion sans trop réfléchir aux conséquences ! » A Bobigny, plus d’un étudiant sur deux travaille pour payer ses études. Outre ces bourses, le projet de loi HPST comporte plusieurs dispositions incitatives. Il prévoit la reconnaissance des pôles de santé, le financement des maisons de santé pluridisciplinaires, la mise en place du guichet unique pour les nouvelles installations, la reconnaissance de la filière universitaire de la médecine générale… Dans le bureau de la corpo étudiante, Tristan, également en 2e année, prend part à la discussion. « Le problème, dit-il, c’est que les trois quarts des gens ne sont pas assez au courant de ces mesures incitatives. Il faudrait une meilleure communication là-dessus ».
Les mesures incitatives peuvent-elles atteindre leur but dans un délai si court de 3 ou 4 ans ? Les étudiants de Bobigny veulent le croire. Le Dr Michel Doré, enseignant de médecine générale à la faculté, est également optimiste. « Depuis deux ans, on observe qu’un tiers de nos étudiants formés en médecine générale veulent s’installer ! » Un amendement passé presque inaperçu prévoit d’informer dorénavant tous les étudiants de première année « qu’en cas d’échec des mesures incitatives, leur liberté d’installation pourra être remise en cause au regard de l’évolution de la démographie médicale ». « Notre devoir est d’informer les étudiants de façon précise des nouvelles dispositions réglementaires et nous le ferons quand elles auront été définitivement entérinées », assure le doyen de la faculté, Jean-Luc Dumas, qui a pris ses fonctions il y a moins d’un an. Le doyen ne cesse de marteler le même message aux étudiants. « Même si l’on veut faire médecine générale, il est important d’être bien classé pour conserver le choix de sa ville d’affectation. Les étudiants savent que plus ils s’investissent, plus ils auront le choix de leur avenir ». Le choix de leur avenir… Les étudiants entendent le garder.
« Pour la coupe du monde, un ami a proposé quatre fois le prix » : le petit business de la revente de gardes
Temps de travail des internes : le gouvernement rappelle à l’ordre les CHU
Les doyens veulent créer un « service médical à la Nation » pour les jeunes médecins, les juniors tiquent
Banderole sexiste à l'université de Tours : ouverture d'une enquête pénale