La santé mentale des carabins et internes en danger

Un futur médecin sur quatre a pensé au suicide, les jeunes réclament un plan d'urgence

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Publié le 15/06/2017
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Cinq internes se sont donné la mort depuis le début de l'année. « Les jeunes médecins vont moins bien qu'avant », affirme Ludivine Nohales, secrétaire générale de l'ISNCCA (chefs de clinique).

Pour la première fois, une enquête nationale d'envergure menée sous l'impulsion de l'association des étudiants en médecine (ANEMF), des syndicats d'internes (ISNAR-IMG, ISNI) et de chefs de clinique et assistants (ISNCCA) permet de mesurer l'ampleur des troubles psychiques touchant les jeunes praticiens.

Près de 22 000 personnes ont répondu à un questionnaire en ligne. Les résultats sont édifiants. Deux jeunes médecins sur trois seraient anxieux contre 26 % dans la population générale. 28 % des répondants ont une symptomatologie dépressive contre 10 % du reste des Français. Enfin, 24 % des carabins et internes ont déjà eu des idées suicidaires. « Parmi les répondants, 758 jeunes ont déjà fait une tentative de suicide », complète Guillaume Ah Ting, chargé de l'enquête santé mentale à l'ISNI. À cela s'ajoutent les violences psychologiques subies à l'hôpital. « 51,5 % des internes et 62,7 % des externes ont vécu des violences psychologiques à l'hôpital », poursuit-il.

Le respect du temps de travail en question

Un jeune médecin sur deux affirme ne pas avoir l'appui de ses supérieurs hiérarchiques. « Le manque de soutien des pairs et d'encadrement ainsi que la fatigue sont considérés comme des facteurs de risques », décrypte Guillaume Ah Ting. 

Le non-respect de la réglementation du temps de travail et du repos de sécurité ainsi que la fatigue qui en découle sont également un facteur de risque retrouvé dans l'anxiété et la dépression. Le repos de sécurité n'est pas respecté chez 45,7 % des internes, chefs de clinique et assistants. A l'hôpital, 65 % des femmes enceintes n'ont pas eu accès à un planning aménagé. « Il faut des vraies sanctions auprès des services en faute telles que la perte de l'agrément », réclame Clément Le Roux, vice-président de l'ANEMF.

Les quatre organisations syndicales avancent plusieurs propositions pour mieux prévenir les risques psychosociaux. Elles suggèrent de former les managers à ces problématiques. « Il faut des journées dédiées et pas seulement de temps en temps, explique Ludivine Nohales. Le management doit être bienveillant. » Autre levier dévoilé : l'organisation de temps d'échange. « Nous sommes confrontés à la mort, la souffrance et les difficultés de nos patients. Chaque service devrait pouvoir extérioriser ces difficultés », enchérit Leslie Grichy, vice-présidente de l'ISNI en charge des questions sociales.

Vers un plan d'action national ?

Le dépistage et la prise en charge des étudiants en difficulté doivent être plus rapides. Actuellement, dix cellules d'aide « SOS interne » montées par des étudiants à Bordeaux, Caen, Grenoble, Marseille, Montpellier, Nancy, Nice, Paris, Rouen et Rennes sont joignables par mail. Les syndicats demandent un recensement de tous les dispositifs d'accompagnement existants afin d'en faire la promotion. Enfin, ils souhaitent que chaque étudiant soit reçu par la médecine du travail au début de chaque stage et/ou semestre. 45 % des externes et 60 % des internes n'ont jamais été reçus en consultation. « Ils sont souvent pris en charge bien trop tard car nous avons tendance à pratiquer l'automédication et à sous-évaluer le problème », analyse Maxence Pithon, secrétaire général adjoint de l'ISNAR-IMG. Une fois dépisté, l'étudiant devra pouvoir bénéficier d'un aménagement du terrain de stage avec « un taux de garde et d'astreinte réduit ».

Les résultats de l'enquête ont été envoyés à la ministre de la Santé. Olivier Le Pennetier, président de l'ISNI, souhaite que cette étude soit le prélude à un plan d'action national de prévention des risques psychosociaux. Selon lui, il y a urgence. La CSMF soutient les revendications des jeunes praticiens et affirme que ce mal-être concerne l'ensemble du corps médical. « Les médecins ont un risque de suicide 2,3 fois plus élevé que les autres professions », explique son président le Dr Jean-Paul Ortiz.

* Enquête réalisée en ligne par questionnaire du 31 janvier au 1er avril 2017 à laquelle ont répondu 4 255 étudiants du 1er cycle, 8 725 du 2e cycle, 7 631 du 3e cycle et 1 157 chefs de clinique et assistants 

Sophie Martos

Source : Le Quotidien du médecin: 9589