Face au défi de la pénurie médicale, de nouveaux modèles émergent

Urgences : la révolution impressionniste

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Publié le 10/10/2016
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URGENCES

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Depuis plusieurs mois, les urgences vivent une série de changements feutrés, qui témoignent de la volonté des pouvoirs publics et des acteurs locaux de trouver des solutions à la problématique récurrente de la saturation des services.

Si le phénomène n'est pas nouveau (le nombre de passages augmente de 4 % par an), les dysfonctionnements ont pris un tour alarmant, faisant écho au contexte dégradé dans lequel exercent les professionnels de santé. Dernière illustration : la démission fracassante de treize urgentistes d'Avignon pour protester contre leurs conditions de travail.

« La question des urgences a pris une ampleur que l'on ne soupçonnait pas il y a dix ans, et qui impacte très fortement les organisations hospitalières, a souligné le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, le 22 septembre, lors d'un congrès à Angers. Les dérèglements observés jusque-là aux heures de permanence des soins – parfois en raison de la déshérence de la médecine de ville – se manifestent en journée. Dans les Pays de la Loire, les 25 établissements – hôpitaux et cliniques – pourvus d'un service d'urgences ont déclaré ces trois dernières années auprès de l'agence régionale de santé des périodes de tension qui, en jours cumulés, représentent… 2,5 années.

La médecine d’urgence cumule pénibilité, écart significatif de rémunération entre le public et le privé et forte tension démographique. Contraints par des budgets serrés, les directeurs d'hôpitaux comblent les brèches avec des intérimaires, payés à la journée rubis sur l'ongle : 850 euros à Auxerre (Yonne), 1 800 euros à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et 3 000 euros à Saint-Quentin (Aisne).

L'urgentiste, un médecin nécessaire ?

Comment éviter cette spirale infernale ? Dans certains cas, les tutelles choisissent de mettre la clé sous la porte, comme c'est le cas aujourd'hui à Montbard (Côte-d'Or). Un temps envisagé pour l'Hôtel-Dieu, à Paris, la transformation des urgences en centre de soins non programmés (CSNP) se concrétise ailleurs sur le terrain. L'enjeu est de maintenir une offre de soins de proximité à horaires réduits, fermée la nuit et le week-end (et certaines vacances), en lieu et place d'un service à faible activité, tout en allégeant la ligne d'urgentistes. Selon le rapport Grall de juillet 2015, les cas graves représentent seulement 10 % des admissions dont la moitié sont des urgences vitales. 23 % des unités d’urgences traitent moins de 15 000 passages par an. Lancée ce printemps à Valognes (ci-dessous) et à Aunay-sur-Odon (Calvados), l'expérimentation labellisée ARS fait des adeptes, qui préfèrent cette alternative à un vide complet. 

D'autres hôpitaux ont suivi la même logique en façonnant un modèle « maison ». C'est le cas de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), qui a construit sur les cendres de ses urgences (fermées pour cause de fusion en 2012) un centre diurne de consultations urgentes pour adultes.

De son côté, le CHU de Nantes (lire ci-dessous) a choisi de faire appel à des généralistes mais aussi à des spécialistes d'organes hospitaliers pour revitaliser ses urgences. Selon la jeune Fédération française de médecine polyvalente, un vivier de 15 000 généralistes hospitaliers pourrait prêter main-forte aux urgentistes dans les années à venir.

Tâtonnements

Si 70 % des services d’urgences restent aujourd'hui entièrement constitués d'urgentistes, ces expérimentations remettent en question le modèle traditionnel du métier, lui-même en pleine mutation. La réforme du temps de travail, négociée en décembre 2014 par l'Association des médecins urgentistes de France pour restaurer l'attractivité de la spécialité, peine à faire ses preuves (lire page 3). Seuls 15 % des services d'urgences publics ont mis en place le protocole des 39 heures.

Autre évolution incertaine faute de textes d'application : la réforme (controversée) du troisième cycle des études médicales, prévue pour 2017, qui filiarise la médecine d'urgence (DES) afin de lui donner davantage de poids face aux autres spécialités. 

Reste la question cruciale du financement. Alors que le gouvernement multiplie les dérogations à la tarification à l'activité (T2A), les urgences, concernées au premier chef, restent sur le bord de la route. Pas un mot dans le budget de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2017. Pourtant intéressante, la proposition du neurologue et ancien député socialiste Olivier Véran de verser une prime incitative aux services d'urgences qui réorientent les patients légers vers la ville est restée à l'état de « réflexion » au sein du ministère. 

 

 

Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du médecin: 9524