« La hauteur des sanctions est historique ! », se réjouit ce vendredi Gaetan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). Le 14 juin 2022, la chambre disciplinaire régionale de l'Ordre des médecins de Nouvelle-Aquitaine a prononcé des sanctions lourdes – allant jusqu’à un an d’interdiction d’exercice – à l’encontre de quatre médecins du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Poitiers.
Un service dans lequel s’opéraient depuis des années maltraitances, pressions insupportables, harcèlement moral, humiliations et même violences physiques envers les internes, des faits révélés à l’hiver 2020 par des témoignages accablants adressés à la direction du CHU.
« Indignes d’exercer la médecine »
Après avoir mené une enquête en février 2021, l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine avait déposé plainte auprès de l’Ordre des médecins. La décision concernant plusieurs praticiens accusés d'être à l'origine de ces maltraitances est tombée le 14 juin.
Selon « Mediapart », l’ancien chef de pôle a été condamné à un an d’interdiction d’exercer la médecine, et l’ancien chef de service à trois mois d’interdiction ferme et neuf mois avec sursis. De plus, une praticienne hospitalière, qui exerce désormais en libéral, écope de six mois ferme et six mois avec sursis. « La dernière médecin, contractuelle, est soumise à un blâme », indique le site d'information en ligne.
« Un an d’interdiction d’exercice, ça décape sacrément ! C’est une décision majeure et un message très fort envoyé aux internes », analyse Gaetan Casanova. Selon le président de l'Isni, ces interdictions d’exercer « permettent de montrer que la malveillance n’est pas acceptable et que ceux qui la pratiquent sont indignes d’exercer la médecine ».
Paroles glaçantes
Depuis 2013, des internes passés par le service poitevin – mais aussi une poignée de paramédicaux et de médecins – ont multiplié les alertes à la direction du CHU au sujet d'une ambiance de travail malsaine et de dénigrements à répétition.
En octobre 2020, un document de 50 pages de témoignages avait été envoyé à la direction pointant ce climat de harcèlement moral envers les juniors, de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Les noms du chef de pôle, du chef de service – également professeur des universités – de la cheffe de service PMA et d’une contractuelle étaient cités.
Dans leurs écrits, les juniors faisaient part d’humiliations quotidiennes, de « peur », de « paroles glaçantes et rabaissantes dans le silence du bloc », mais aussi de violence physique, comme des coups de pied. « J’ai espéré́ avoir un accident de la route en allant au CHU », témoignait un interne. « Une interne a été traitée de salope en bloc opératoire, une autre s’est vu offrir pour son pot de départ une boîte de mouchoir », se souvient Gaetan Casanova, qui faisait partie de la commission d’inspection de l’ARS. En 2017, une des internes du service avait tenté de mettre fin à ses jours.
Un mode pédagogique basé sur des humiliations
En se basant sur le rapport de l’ARS, la chambre disciplinaire ordinale a décidé de sanctionner les praticiens, constatant dans le service « un mode pédagogique et relationnel basé sur des humiliations quotidiennes, des mises en difficultés professionnelles, de la violence verbale et parfois physique et des discriminations », rapporte Mediapart. « Les conditions d’exercice, dues pour l’essentiel au comportement des quatre praticiens, étaient génératrices de maltraitance et d’un climat pouvant être ressenti comme du harcèlement moral par les victimes », indique la décision.
Les interdictions d’exercer devraient être appliquées à partir du 1er septembre, mais une partie des médecins sanctionnés ont décidé de faire appel. Certains exerçaient encore dans le service de gynéco poitevin « mais avaient été relevés de leurs responsabilités, notamment celle d’encadrer des internes », précise le président de l’Isni.
Enquête pénale classée sans suite
Au-delà de saisir la juridiction ordinale, l’ARS avait effectué un signalement au procureur la République de Poitiers. Mais l’enquête pénale a été, elle, classée sans suite. « Manifestement, les faits étaient insuffisamment caractérisés », précise Gaetan Casanova, qui regrette que « certaines personnes n'aient pas eu le courage de témoigner de manière non anonyme, ça me laisse tout de même un goût amer ».
Le président de l’Isni espère que ces condamnations inédites créeront un précédent pour les autres situations de maltraitances d'internes. « C’est l’honneur de la profession d’être capable de poursuivre ce genre de personnes », se félicite-t-il. « La sanction envoie un message très important à la communauté hospitalière, aux mandarins : la violence n’est pas acceptable et les professionnels de santé doivent avoir une exigence morale supérieure. »
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