Après des années à réclamer le strict respect de la législation sur le temps de travail, à travers un décompte précis, les internes ont décidé ce jeudi de passer à la vitesse supérieure. « Nous attaquons en justice tous les CHU ! », annonce au « Quotidien » Théophile Denise, vice-président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Motif de cette procédure lancée auprès des tribunaux administratifs : le non-respect du temps de travail des internes – borné à 48 heures par semaine mais dépassé chroniquement dans de nombreux services – et « le refus par les établissements de mettre en place des mesures de décompte fiable », détaille l’interne de médecine générale.
C'est donc à l’initiative de l’Isnar-IMG mais aussi de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) et des internes de pharmacie et de biologie médicale (FNSIP-BM) que 28 procédures distinctes sont lancées à l’encontre des CHU de rattachement des internes.
400 mises en demeure
Avant de saisir la justice, les carabins ont en effet prévenu avec un ultimatum aux hôpitaux. Au cœur de l’été, les syndicats d’internes ont adressé quelque 400 courriers de mise en demeure à destination des CHU et CH pour imposer aux hôpitaux de décompter le temps de travail des juniors. D'entrée de jeu, la lettre annonçait la couleur : « Votre établissement n’applique pas à ce jour le décret sur le temps de travail des internes et ses modalités de contrôle, comme le préconise le Code de santé publique ».
Trois mois plus tard, moins d’une dizaine d’établissements auraient répondu à l’avertissement. Surtout, « rien n’a été mis en place dans les CHU, c’est symptomatique du mépris complet pour le cadre réglementaire », déplore Théophile Denise. « C’est malheureux, mais nous devons désormais demander à la justice de trancher », prévient le futur généraliste.
En réalité, le lancement de la procédure judiciaire commune est dans les tuyaux depuis février. Mais c'est la décision rendue le 22 juin par le Conseil d'État qui a fini de convaincre les juniors. Saisie par les internes et les praticiens hospitaliers, la plus haute juridiction administrative avait, pour la première fois, sommé les établissements et les services de mettre en place un « dispositif fiable, objectif et accessible » permettant de décompter « le nombre journalier d’heures de travail effectuées par chaque agent ». Une injonction laissée lettre morte, accusent les internes, pour qui aucun progrès sérieux n'a vu le jour.
Dépassements chroniques
Alors que, selon un sondage de juillet 2021, environ 70 % des internes dépassent les 48 heures hebdomadaires dans les services (et la moitié les 58 heures !), « il n’existe aucun CHU en France qui respecte le temps de travail de manière systématique et protectrice des internes, à l’exception de quelques services isolés qui peuvent bénéficier de bons chefs de service », affirme Théophile Denise. L’interne qui vient de commencer un stage de gynécologie au CHU de Clermont-Ferrand peut en témoigner. « On ne m’a pas demandé de faire un tableau de service trimestriel prévisionnel, on ne m’a pas demandé de renseigner mes journées de formation universitaire », précise-t-il.
Les trois organisations (Isni, ISNAR-IMG et FNSIP-BM) soulignent que ce « dépassement organisé du temps de travail a de lourdes conséquences sur notre santé mentale ». En 2021, l’enquête santé mentale dévoilait que 75 % des étudiants en médecine présentaient des symptômes anxieux, 67 % des symptômes de burn-out et 19 % des idées suicidaires. « En refusant de prendre au sérieux le dépassement de notre temps de travail, les CHU pérennisent ces conditions », martèlent les syndicats juniors, qui évoquent une forme d'« exploitation ».
À l’issue de cette procédure inédite, les internes espèrent que les tribunaux administratifs sommeront les directions des CHU de respecter la réglementation sur le décompte horaire. Faute de quoi, prévient le vice-président de l'Isnar-IMG , ces directions « pourront être condamnées à payer une astreinte journalière pour chaque interne et chaque jour où le droit ne sera pas respecté. »
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