Harcèlement moral

Témoignages accablants d'internes en gynécologie-obstétrique au CHU de Poitiers

Publié le 23/04/2021

De nombreux récits d’internes en gynécologie-obstétrique du CHU de Poitiers font état de harcèlement moral par leurs supérieurs hiérarchiques depuis des années. Dans l’attente du rapport d'inspection de l’agence régionale de santé (ARS), « Le Quotidien » a recueilli de nouveaux témoignages anonymes accablants.

Des courriers anonymes d’internes ont mis en cause le harcèlement de médecins séniors de leur service de gynécologie-obstétrique

Des courriers anonymes d’internes ont mis en cause le harcèlement de médecins séniors de leur service de gynécologie-obstétrique
Crédit photo : GARO/PHANIE

« J’allais tous les matins en stage en souhaitant avoir un accident sur la route de manière à ne plus avoir à faire face à la pression psychologique que l’on m’imposait », raconte un interne du service gynécologie-obstétrique de CHU de Poitiers, dans un document de 50 pages remis à la direction fin octobre 2020 – et que « Le Quotidien » s'est procuré. Plus d’une trentaine de témoignages édifiants d’actuels ou anciens internes* y dénoncent le harcèlement moral de quatre de leurs supérieurs hiérarchiques : atmosphère de travail « extrêmement toxique et destructrice », « humiliations constantes », « insultes », « menaces », « lynchages publics ».

Déni

Selon une enquête de Mediapart, la direction du CHU de Poitiers serait dans le déni face au harcèlement moral des internes. « Après avoir tardé à prendre des mesures, la directrice générale Anne Costa cherche à sauver la face du service », accuse le site d’information qui lui reproche d’avoir organisé « une simple médiation » en décembre dernier.

Contacté par « Le Quotidien », Cédric*, interne du CHU de Poitiers, pense également que la direction n’a pas pris la mesure de la gravité des faits. « Les témoignages étaient tellement édifiants que je pensais que tous les signaux allaient s’aligner dans la tête de Mme Costa  pour qu’elle prenne les mesures qu’il fallait. » Mais celle-ci a attendu décembre pour recevoir en groupe dix internes (sur les 27 du service). Ces derniers « n’ont pas osé parler des situations qui ont posé problème devant la DG et leurs collègues, de peur qu’on les voit comme des fouteurs de merde », affirme Cédric, soulignant que « la carrière des internes est entre les mains des chefs de service qui ont tous les pouvoirs ».

Inspection et cellule psy

Il aura fallu attendre février pour que l’ARS Nouvelle-Aquitaine lance une inspection. Une cellule médico-psychologique a été installée. « Mais aucun interne n’y est allé », recadre Cédric. Une désertion qui s’explique par « le manque de confiance envers la directrice depuis qu’elle a transmis les témoignages anonymes aux chefs, alors qu’elle avait assuré à notre référent qu'elle ne les transmettrait pas », selon Laura*, une interne du service de gynécologie.

Or, des situations précises auraient permis d’identifier ces lanceurs d'alerte, si bien qu’ils auraient « subi des représailles et des menaces », poursuit Laura, citant le cas d’une interne destinée à une carrière universitaire. « Son poste de chef de clinique a été supprimé parce qu’elle a été reconnue ». Pour Laura, la stratégie de la direction est claire : « Au lieu d’aider les internes, elle fait tout pour freiner le processus au maximum. » Et d’ajouter que, « dans notre service, un nouvel interne sur cinq au minimum fait une demande de droit au remords. C’est bien au-delà des moyennes nationales ».  

Pleurs quotidiens

En 2017 déjà, une interne avait fait une tentative de suicide, tandis qu’une dizaine d’autres avaient alerté la direction. « À l’époque, nous avons eu très peur pour certains quand on les voyait pleurer quotidiennement », rapporte encore Laura. Le chef de service et le chef de pôle avaient alors été rappelés à l’ordre par le président de CME. « Cela avait calmé tout le monde durant six mois, puis c’est reparti alors que les faits reprochés à l’époque étaient les mêmes qu’en 2020 », confie Cédric qui reproche à la direction de continuer à fermer les yeux sur la souffrance des internes. 

Contactée, la direction n’a pas souhaité réagir. Tout juste nous a-t-elle transmis son communiqué du 11 mars expliquant qu’elle avait « immédiatement mis en place un processus de médiation qui a débuté par une mission d’enquête au sein du service », dès qu'elle a eu connaissance de « courriers anonymes d’internes mettant en cause le mode de management de médecins séniors ». Elle attend la remise du rapport (probablement fin mai) de l’ARS qui a demandé au chef de service et au chef de pôle de démissionner de leurs fonctions administratives.

L'institution en question

Le rapport de l’ARS résoudra-t-il les dysfonctionnements du service ? « J’ai un peu perdu espoir car il ne s’agit pas de dénoncer les comportements de harcèlement moral de quatre personnes, mais de s’attaquer à une institution, confie Laura. J’ai l’impression qu’il ne se passera rien tant que personne ne se pendra. »

Le problème est d’ordre institutionnel, confirme Gaétan Casanova, président de l’InterSyndicale nationale des internes (ISNI). Il explique que « les affaires de harcèlement moral ou sexuel sont quasi systématiquement étouffées dans le milieu médical ». Et de dénoncer « le contraste terrible entre une hyper-concentration des pouvoirs et une hyper-dilution de la sanction », mais aussi « l’omerta absolue » et « l’impossibilité de fuir » dans le milieu médical. Si bien que des internes se retrouvent « littéralement enfermés durant des années avec la personne qui les maltraite ». C’est la raison pour laquelle il milite pour que « les témoignages soient recueillis par une commission ou un groupe indépendant qui ne soient pas liés à la hiérarchie hospitalière ou universitaire. »

* Prénom modifié pour des raisons de confidentialité

Julien Moschetti

Source : Le Quotidien du médecin