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Dossier

Troisième journée de mobilisation pour les internes en colère

Par Sophie Martos - Publié le 20/01/2020
Troisième journée de mobilisation pour les internes en colère

Déjà plus d'un mois de mobilisation pour les médecins en formation
S. Toubon

Temps de travail non respecté, rémunérations en berne, zones d'ombre dans la formation : à l'appel de l'ISNI, les internes sont en grève depuis le 10 décembre. Une  troisième journée de mobilisation est prévue aujourd'hui. « Le Quotidien » ausculte cette poussée de fièvre.

Déclaré symboliquement jour le plus déprimant de l'année, le « blue monday » – troisième lundi de janvier – a inspiré la jeune génération. Les internes de médecine organisent aujourd'hui, à l'appel de leur Intersyndicale (ISNI), une troisième journée d'action pour dénoncer leurs conditions de travail et défendre leur formation.

Horaires interminables, repos de sécurité bafoué, choix de stages anxiogènes ou vie chère, le bas de fer se poursuit. Les internes ont entamé une grève « illimitée » le 10 décembre, ouvrant un front jeune à l'hôpital que surveille de près le gouvernement.

Le sparadrap du temps de travail

Le temps de travail de la jeune génération est la première pomme de discorde. Depuis 2015 théoriquement, les internes sont tenus d'assurer dix demi-journées par semaine découpées en huit demi-journées de stage, une de formation universitaire et une pour travaux personnels – l'équivalent de 48 heures de travail hebdomadaire maximum, une borne imposée par la législation européenne.

Sauf que les dérives sont légion. Les enquêtes syndicales (ISNAR-IMG, ISNI) se succèdent et démontrent que ce temps de travail est loin d'être respecté. Un interne en médecine générale sur deux dépasse cette durée légale. Et une nouvelle étude en voie de finalisation va montrer que les internes (toutes spécialités confondues) travaillent 56 heures en moyenne ! Pire, 30 % des internes déclarent ne pas pouvoir prendre systématiquement leur repos de sécurité après une garde (21 % en 2012). La situation empire. 

Consciente d'une situation qui accroît le burn-out des étudiants et le risque médical, la ministre de la Santé propose que chaque CME réalise un bilan annuel du temps de travail (pour l'encadrer davantage). Les établissements qui abusent s'exposeraient à des sanctions financières. « L’objectif n’est pas de mettre les établissements en difficulté, mais de se dire qu’il y a ce marteau-là et qu’on prêt à l’utiliser », confie le ministère. 

Mais cette ouverture ne satisfait pas les juniors qui militent en faveur d'un décompte horaire précis. Défavorable à cette idée, Agnès Buzyn a rouvert la piste de la rémunération des demi-gardes et d'un temps de travail additionnel (TTA) réservé aux « docteurs juniors » (internes en phase 3 de consolidation). Un dialogue de sourds... Pour l'ISNI en tout cas, qui redoute de nouvelles dérives, seul le paiement des heures sup' pour les internes volontaires pourra normaliser la situation dans les services.

Moins critique, l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), veut creuser la proposition des demi-gardes. Mais sa présidente, Marianne Cinot, pose des garde-fous. « Elle devra être décomptée du temps de travail pour une demi-journée, le repos de sécurité devra être assuré et une rémunération devra y être associée, revendique-t-elle. Les CME devront vérifier qu'il y a assez d'internes et seuls les volontaires devront rester ».

Rémunérations et gardes vs vie (trop) chère...

Le chapitre de la rémunération reste conflictuel. Les jeunes constatent que leur rétribution globale n'évolue guère depuis 2012, loin de l'inflation, alors que les horaires s'allongent. La ministre de la Santé a promis une prime pour les futurs « docteurs juniors » (dernière phase de l'internat), à hauteur de 5 000 euros brut par an pour la première année et 6 000 euros la deuxième année (spécialités chirurgicales). Une rémunération à mi-chemin entre l'interne et le chef de clinique, censée bien positionner ce statut. 

Si les jeunes ont salué cette avancée le 10 janvier, ils ne comptent pas en rester là. L'ISNAR-IMG appelle de ses vœux une « augmentation de la rémunération globale » alors que l'ISNI réclame le doublement du montant de la garde – de 119 euros à 238 euros pour une plage de 18h30 à 8h30. Pour l'instant, le ministère n'envisage pas de geste supplémentaire.   

Pour répondre à la problématique du coût de la vie, une prime de vie chère pour les internes franciliens de première année a été mise sur la table. Une mesure qui fait écho au bonus annuel de 800 euros net attribué à 40 000 infirmiers et aides-soignants de Paris et banlieue gagnant moins de 1 900 euros par mois dans le cadre du plan hôpital. L'ISNI applaudit mais souhaite son versement à tous les internes. « Le prix du logement dans certaines grandes métropoles comme Bordeaux ou Lyon concurrence ceux de l'Ile-de-France », fait valoir le syndicat.

Fin de l'internat, le grand flou

La concrétisation de la réforme du troisième cycle alimente les tensions. Doyens et internes réclament la publication des textes réglementaires pour la phase de consolidation. « Le retard autour des modalités du docteur junior a crispé légitimement nos internes », commente le Pr Jean Sibilia, patron des doyens de médecine. 

L'avenir du post-internat est une autre source d'inquiétude. Selon les calculs de l'ISNI, le nouveau salaire des internes de phase 3 va réduire mécaniquement l'attractivité financière des assistants spécialistes. Le syndicat veut discuter cette question dans le cadre de la refonte du statut unique de PH.  

La nouvelle procédure d'affectation des internes en stage de phase 3, nommée « big Matching », trouble également les jeunes dès lors que cet appariement (étudiant/stage) dépendra d'un algorithme inconnu. Plusieurs réunions techniques ont été organisées début janvier. Le ministère espère un système opérationnel en avril. Mais pour l'ISNI, il est trop tard pour 2020. Seul le report de cette procédure à 2021 éviterait un vent de panique... 

Enfin, la délivrance – possiblement plus tardive – de la licence de remplacement reste une épée de Damoclès. La majorité des acteurs universitaires ainsi que l'Ordre souhaitent reculer la date d'octroi de cette licence en fin d'internat. L'ISNI y voit un manque à gagner pour les jeunes en apprentissage mais aussi pour les praticiens épaulés. 

Sophie Martos