Dr Elise Teurnier : « En cas d'erreur médicale, dépasser le sentiment de honte est indispensable»

Publié le 22/09/2020
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Mauvaises pratiques, soins inappropriés, incidents, négligences… Dans ces situations, la culpabilité est inévitable. Pourtant, les internes ne doivent pas nourrir de honte, mais réussir à en parler pour se libérer, conclut une thèse récente.

Crédit photo : DR

Confrontés brutalement au sortir des ECN à des responsabilités cliniques et thérapeutiques auxquelles ils sont souvent mal préparés, les internes craignent l’erreur médicale et ils sont déstabilisés lorsqu’elle survient. C’est un sujet douloureux qu’ils n’osent souvent pas aborder et qui est parfois éludé par honte ou par peur. Pour que l’exercice futur ne soit pas impacté (défensivité, difficulté à poser un diagnostic, angoisses face aux patients…), il est essentiel de pouvoir partager avec les médecins seniors et les co-internes. C’est ce qu'explique dans sa thèse le Dr Élise Teurnier que « Le Quotidien » a rencontré.

Le Quotidien : Pourquoi vous êtes-vous intéressée au sujet des erreurs médicales des internes et à la manière de les aborder avec les médecins seniors ?

Dr Élise Teurnier : La crainte de commettre des erreurs a été une inquiétude omniprésente tout au long de mon internat. Je ressentais une énorme responsabilité lors de la prise en charge de patients et malheureusement je trouve que nous n'étions pas assez supervisés. Parler de la peur de se tromper était comme tabou ou une perte de temps… Les quelques fois ou j'ai insisté pour débriefer car je craignais d'avoir commis une erreur, d'être responsable de l'évolution défavorable d'un patient, je n'ai eu aucune réponse, ou alors quelques mots rapides en courant derrière le senior au milieu d'un couloir… C'était quelque chose de difficile pour moi en tant que médecin en formation. Mais au-delà du ressenti personnel, je me disais que c'était pour les patients que cela pouvait être le plus dommageable. Comment apprendre ? Comment éviter les erreurs lorsqu'on ne prend pas le temps (ou que l'on refuse) d'analyser ses prises en charges ou celles des autres soignants ?

L'erreur médicale est-elle vécue comme une honte ou un évènement indésirable mais possible par les internes ?

Chaque situation d'erreur est différente. Au total, nous avons analysé pour ma thèse 47 situations d’erreur, dont 21 qui se sont produites lors d’un stage d’urgence, 6 en médecine interne, 5 au cours du stage chez le praticien. Les autres services étaient moins représentés. Les internes que j’ai interrogés m’ont parlé de culpabilité, de ruminations, de colère, de peur, de gêne, de honte, de solitude, d’isolement, d’échec, de perte de l’estime de soi, de doute, de panique, d’angoisse et parfois de réactions physiques (pleurs, insomnie…). Une erreur est bien différente d'un événement indésirable qui lui n’a pas de conséquences pour le patient. Le fait que l'erreur aurait pu être évitée est un élément très important de l’analyse. Cependant, dans les deux situations – erreur ou événement indésirable - on peut retrouver chez les internes un sentiment de honte mais surtout un sentiment de culpabilité. Soit une erreur a bien été commise et l'interne sait qu’il est responsable, soit il s’agit d’un événement indésirable pour lequel l'interne questionne son degré de responsabilité.

Pensez-vous que les autres soignants peuvent facilement aborder ce sujet avec les médecins ?

Ce qui est ressorti de la plupart des témoignages est que la communication autour de l'erreur médicale entre soignants (que ce soit médecins, paramédicaux, étudiants…) est difficile. La personnalité des soignants, la capacité à se remettre en question jouent un rôle évident. Lorsqu’ils en ont parlé à un médecin senior, une grande partie des internes a ressenti une attitude bienveillante de leurs pairs qui ont su les rassurer, dédramatiser, parfois évoquer leurs erreurs personnelles et proposer de tirer un enseignement des erreurs. D’autres étudiants ont parlé d’absence de soutien, d’agressivité, de moqueries, d’humiliation, de refus de prendre ses responsabilités et d’absence de discussion constructive. Toutefois, certaines choses pourraient améliorer la communication autour des erreurs médicales et pourraient permettre d'en faire un sujet du quotidien : le fait de dégager du temps spécialement dédié – car les soignants en manquent… donc ne prennent pas le temps de parler de ça ; le fait d'intégrer la communication au sujet des erreurs, leur analyse sans jugement mais dans l'intérêt des patients, d'exprimer librement les conséquences psychologiques sur les soignants dans la formation des soignants. Plus on en parle ouvertement, plus on apprend à tirer enseignement de ces situations, plus les échanges seront facilités. Tout cela permettrait d'améliorer l’impact du ressenti des erreurs sur les soignants et bien évidemment une prise en charge sécuritaire des patients.

Les internes arrivent-ils à analyser facilement leurs erreurs ?

Les internes ont peur d’en parler et parfois quand ils en parlent ils ressentent une gêne des interlocuteurs. Dans le contexte de mon travail de thèse, mes co-internes ont apprécié l’atmosphère bienveillante qui les a aidés à analyser leurs erreurs. Parmi les facteurs favorisant l’erreur médicale, la charge de travail importante vient au premier plan, suivi des outils ou conditions de travail inadaptés et le manque d’expérience. Huit des erreurs ont eu lieu pendant une garde et la fatigue voire l’épuisement sont mis en avant, tout comme la multiplicité des tâches qui rendent difficile la concentration.

Teunier E. «Parler de l’erreur médicale entre soignants. Impact d’une formation de l’Université Paris Diderot pour les internes en médecine générale.»

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin