Relations médecin-patient

À Paris Descartes, l’empathie des internes, ça se travaille

Publié le 11/06/2021
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Alors que des études montrent que l'empathie diminue avec la durée des études, des formations spécifiques pourraient faire gagner en satisfaction dans la relation médecins/patients et limiter le risque de burn-out. Exemple pratique à l’Université Paris Descartes.
Etre l'écoute peut s'apprendre et ne se décrète pas

Etre l'écoute peut s'apprendre et ne se décrète pas
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Partant du postulat de Balint « (…) Le médicament (...) le plus fréquemment utilisé en médecine générale est le médecin lui-même (...) et il n’existe aucune pharmacologie de ce médicament essentiel… », l’institut Universitaire Paris Descartes de Psychologie et le Département de Médecine Générale ont choisi depuis 2010 de proposer des formations à l’empathie aux internes en médecine générale (protocoles EMPATHIE 1, 2, 3, 4, 5) .

Pourquoi cette étape de la formation a-t-elle été choisie pour proposer cette sensibilisation ? Parce que, dans les années 2000, des études ont montré que le niveau d’empathie diminue au cours des études médicales. Différentes raisons ont été évoquées : rencontre avec la morbidité et la mortalité, sentiment de vulnérabilité, déshumanisation des patients en raison des conditions de travail, épuisement professionnel, remise en question du choix des études et de la spécialité…

L’étude Inter’Life menée de 2012 à 2015 en région parisienne a individualisé les profils les plus à risque de perte d’empathie au cours de l’internat. Il s’agissait de jeunes médecins peu formés à la relation médecin-patients, en doute sur leur accomplissement professionnel, anxieux, épuisés, peu satisfaits de leur vie quotidienne ou ayant peu d’activités sociales ou sportives.

Se « mettre à la place » (« Einfühlung » terme employé pour la première fois au XIXe siècle par le philosophe Robert Vischer, qui se traduit par « ressenti de l’intérieur ») permet-il de modifier la relation médecins-patients ? Cette capacité à comprendre ce que l’autre éprouve influe nettement sur le lien tissé entre soignant et malade. Elle permet une meilleure connaissance de la pathologie des deux parts, améliore la satisfaction des patients, majore la compliance et favorise le dialogue sur les symptômes. Cet état d'esprit s’inscrit par ailleurs dans l’éducation thérapeutique, réduit la détresse émotionnelle des patients et participe à une amélioration de la qualité de vie des malades atteints de pathologie chronique. Pour les soignants eux-mêmes – et c’est aussi ce qui a incité l’Université Paris Descartes à mettre en place cette formation – la satisfaction professionnelle est majorée et le risque de burn-out limité.

Quels sont les moyens de sensibiliser les étudiants à l’empathie ? Différentes méthodes ont été recensées dans la littérature anglo-saxonne qui est beaucoup plus prolixe sur le sujet que la littérature francophone : groupes Balint, entraînement à la conscience de soi et de ses sentiments, discussions de groupe autour d’expériences auprès de patients, sur les problèmes de vulnérabilité et de responsabilités dans les situations de soins, focus groupes (modèle d’identification, support social), jeu de rôle…

Un module de formation à la relation thérapeutique

À l’Université Paris Descartes, un module de formation à la relation thérapeutique (FRT) a été mis en place fin 2017 à destination des étudiants de 4e année de médecine (Diplôme de formation approfondie en Sciences Médicale 1e année, DFASM1). Il se composait de 4 parties : deux cours magistraux facultatifs sur l’empathie et la relation médecin-malade, 5 séances de jeux de rôles, 6 séances de groupes type Balint et 2 sessions d’Examens Cliniques Objectifs Structurés (ECOS).

Les étudiants ont été répartis en 30 groupes d'environ 15 personnes. Les séances débutaient par un briefing et s’achevaient par 30 minutes de débriefing. Au cours des jeux de rôle, les étudiants se mettaient à la place du médecin, du patient ou d’un observateur. Le choix du rôle se faisait sur la base du volontariat. Ces séances étaient encadrées par un chef de clinique. Les règles du jeu s’articulaient autour des principes de confidentialité, de bienveillance et de non-jugement, ainsi que des bénéfices formatifs des erreurs expérimentées.

Différents scénarios étaient proposés : annonce d’une mauvaise nouvelle ; accompagnement de la maladie chronique ; gestion d’un patient dit réticent ; gestion des demandes dites abusives ; gestion de situations d’agressivité. Les sujets des ECOS étaient abordés par des acteurs : consultation d’annonce d’un VIH, demande insistante d’antibiotique en médecine générale.

Sur 409 étudiants de la promotion 2017-2018, la moyenne de la satisfaction globale des 316 étudiants qui ont répondu a été de 7,6/10. Le score le plus élevé a été retrouvé pour les ECOS (9.3), puis les jeux de rôle (7.9), enfin les groupes de type Balint (5.6). L’analyse de l’empathie globale pré/post formation a retrouvé une amélioration significative des capacités de dialogue et de « se mettre à la place ».

Alors que le développement de l’empathie des internes semble un point particulièrement important au cours de leur formation, très peu d’Universités françaises proposent des formations spécifiques. Aujourd’hui, de plus en plus d’internes déclarent être en difficulté personnelle et professionnelle du fait d’une formation universitaire majoritairement « technique ». La mise en place de modules de sensibilisation à l’empathie pourrait apparaître comme un élément épanouissant dans la relation à l’Autre et protecteur de l’épuisement.

Exergue : Alors que de plus en plus d’internes déclarent être en difficulté personnelle et professionnelle, très peu d’Universités françaises font ce type de propositions

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin