« Nous ne pouvons, seuls, répondre aux interrogations et aux craintes des étudiants, desquelles émerge désormais l’idée d’un nouveau report d’une réforme », alertent les référents étudiants R2C (réforme du deuxième cycle des études de médecine), dans une lettre ouverte adressée le 17 mars aux ministères de tutelle (Santé et Enseignement Supérieur)*.
À désormais six mois seulement de la mise en place de la R2C, ces référents étudiants de l’ANEMF considèrent néanmoins que le délai reste « suffisant » pour que cette réforme soit « sécurisée », à condition que le dernier semestre soit « exploité à bon escient ». C’est la raison pour laquelle ils jugent « urgent » de publier les textes officiels d’application. Avant de demander aux enseignants de respecter strictement les principes fondamentaux de ce deuxième cycle remanié : réduction drastique des connaissances, apprentissage par compétences, entraînement aux nouvelles modalités docimologique – le tout aboutissant à la fin des ECN.
Carabins paumés
Mais la lettre ouverte des référents étudiants évoque également le désarroi individuel de nombreux carabins qui estiment, eux, que la réforme ne sera jamais prête dans les délais. Celle-ci a déjà été reportée deux fois : en 2019, en raison d’un manque total de préparation, puis en 2020, à cause de la pandémie mondiale « ayant créé un climat anxiogène et éprouvant pour les étudiants ».
Pourtant, cette fois-ci, affirme Jeanne Dupont Deguine, vice-présidente chargée des études médicales de l’ANEMF, « nos interlocuteurs** refusent de reporter cette réforme, car c’est impossible de la repousser d’un point de vue législatif. Nous n’avons donc d’autre choix que de sécuriser sa mise en place. »
Un groupe Facebook qui fait recette
C’est dans ce contexte flou que des centaines d’étudiants en médecine de 3e année ont créé un groupe Facebook réclamant ouvertement un nouveau report de la réforme du deuxième cycle. Composé d’environ 1 900 membres, le groupe a réalisé un sondage auprès de plus de 1 500 étudiants en médecine (95,5 % des votants sont en 3e année). Plus des trois quarts d’entre eux se prononcent aujourd’hui pour le report de cette réforme qui « n’est plus souhaitée par l’immense majorité des étudiants car il y a toujours énormément de zones d’ombre, confie Charlotte (prénom modifié), étudiante en 3e année de médecine à Reims. On souhaite un report pour que l’on ait le temps de retravailler les points qui nous inquiètent. »
Elle redoute en particulier, pour cette promotion, un « bachotage intensif durant deux ans au lieu de trois ans », en raison de la suppression programmée de la sixième année. Selon elle, la préparation des épreuves pourrait représenter « un travail titanesque et inhumain » avec des conséquences sur la santé physique et psychologique des étudiants. Par ailleurs, la réforme du deuxième cycle prévoit sur le papier la suppression des connaissances hyperspécialisées dites de « rang C » pour alléger d’un tiers le programme final. Or, Charlotte – comme d’autres carabins – croit savoir qu’un « infime pourcentage de ces fameux rang C a été supprimé ».
De son côté, Jeanne Dupont Deguine (ANEMF) s’emploie à rassurer sur le programme. « Il s’agit d’un changement de paradigme car il faudra désormais davantage comprendre que bachoter des connaissances de sur-spécialité. » Elle regrette néanmoins que des collèges d’enseignants incluent toujours dans leur propre référentiel des items de sur-spécialité qui ne sont pas inscrits dans le programme officiel. Mais tient à calmer le jeu : « Les étudiants ne seront pas évalués sur le contenu de ces référentiels mais sur le programme officiel. »
Des ECOS flous et inégalitaires ?
Autre sujet d’angoisse pour les juniors : les fameux examens cliniques objectifs structurés (ECOS). Cet outil basé sur la simulation permet d’évaluer de manière standardisée les compétences cliniques et relationnelles des étudiants, afin de répondre à des critères d’objectivité et de reproductibilité. Or, pour Charlotte, « les modalités d’évaluation des ECOS sont très évasives. Les étudiants craignent que cela débouche sur une évaluation subjective dans un concours qui se veut classant. » Et d’ajouter que certaines facs testent déjà les ECOS depuis plusieurs années tandis que « d’autres n’ont pas travaillé là-dessus », ce qui pourrait « renforcer les inégalités entre étudiants ».
Sur ce point encore, l’ANEMF joue l’apaisement. Selon Jeanne Dupont Deguine, « les grilles de notation des ECOS sont totalement binaires », ce qui permettra de satisfaire les impératifs d’objectivité. Et d’ajouter qu’il y aura deux évaluateurs dans chacune des stations d’ECOS. Enfin, l’ANEMF aurait réussi à négocier avec les doyens que six évaluateurs sur dix proviennent de facultés extérieures.
Plus d’excuses
L’association a enfin obtenu la création d’un vade-mecum, sorte de « guide de bonnes pratiques envoyé aux facultés en amont de la parution des textes, pour faciliter la mise en place de la réforme au local : refaire les maquettes, adapter les enseignements et les stages, etc. », précise Jeanne Dupont Deguine. Grâce à ce vade-mecum, « les facultés n’auront plus d’excuses pour la mise en œuvre de la réforme ». Pas sûr que tous les étudiants en soient aussi convaincus.
*La lettre ouverte a aussi été adressée aux enseignants, au président de la conférence des doyens et à la Coordination nationale des collèges d’enseignants de médecine (CNCEM)
**Les ministères de la Santé et l’Enseignement Supérieur, les doyens et la CNCEM.
Le parcours de l’étudiant, autre épine ?
La prise en compte du parcours de l’étudiant est également inscrite dans la réforme du deuxième cycle. Une grille de parcours a été définie pour valoriser les expériences des étudiants : stages à l’étranger, niveaux de langue, doubles cursus type master 1, engagement étudiant, réserve sanitaire, jobs étudiants… Mais tout cela inquiète les jeunes qui craignent de ne pas avoir le temps de travailler leur parcours. De plus, « cela pourrait favoriser les étudiants issus de milieux socio-économiques élevés. Car, contrairement à ceux issus de milieux plus modestes, ils auront plus d’opportunités de faire des stages à l’étranger », craint Charlotte.
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