Un suicide d’interne tous les 18 jours en 2021 : « Ce qui tue, c’est l’épuisement professionnel », alerte Gaétan Casanova (ISNI)

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Publié le 06/04/2021

Crédit photo : ISNI

Président de l’InterSyndicale nationale des internes (ISNI), Gaétan Casanova alerte une fois encore sur la santé mentale dégradée des futurs médecins, après un nouveau suicide d’interne la semaine dernière – le cinquième depuis le début de l’année 2021. Dénonçant le silence « inacceptable » d’Olivier Véran, l’interne en anesthésie-réanimation réclame le décompte horaire du temps de travail et le respect des 48 heures hebdomadaires, à défaut de quoi l’ISNI appellera « à la grève » dans les semaines à venir. « Ce qui tue, c’est l’épuisement professionnel », explique-t-il.

LE QUOTIDIEN : Depuis le début de l’année, cinq internes ont mis fin à leurs jours, a annoncé l’ISNI ce mardi. Comment en est-on arrivé là ?

GAETAN CASANOVA : Oui, un interne, en dépression profonde, est décédé la semaine dernière. Par respect pour la famille, je n’en dirai pas plus. Mais après un suicide par pendaison à Reims fin février, les modes opératoires sont de plus en plus choquants et violents. En 2021, cela fait un suicide d’interne tous les 18 jours en moyenne.

Ce problème de fond de la santé mentale des internes existe depuis longtemps. Déjà en 2017, nous avions alerté sur le fait que 25 % des internes avaient des idées suicidaires durant leur cursus et 67 % de l’anxiété. Ce qui tue – on le retrouve dans les témoignages laissés par les internes – c’est l’épuisement professionnel. Normalement, le temps de travail des internes est limité à 48 heures par semaine. Aujourd’hui on est toujours à 58 heures en moyenne, et 70 heures ou plus dans des spécialités comme la chirurgie. Dans ces cas-là, il y a un risque pour le soignant et le patient. Ces problématiques ont été renforcées par la crise Covid.

C’est pourquoi nous demandons que la loi soit appliquée et respectée partout, pour permettre aux internes de s’équilibrer humainement, familialement, affectivement. Certains sont des funambules et il suffit d’un coup de vent pour que tout s’écroule.

Vous avez écrit un courrier aux ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur la semaine dernière sur ces sujets. Estimez-vous être entendus ?

La ministre de l’Enseignement supérieur a réagi sur Twitter et s’est exprimée aux côtés des doyens. En revanche, l’attitude du ministre de la Santé Olivier Véran, est inacceptable. Nous l’avons alerté sur les suicides, notamment à Reims car c’était le second en un an, mais n’avons à ce jour aucune réponse. Je ne doute pas qu’il croule sous le travail en ce moment, mais nous aurions apprécié une marque d’intérêt. Nous ne comprenons pas ce silence absolu, c’est une insulte aux familles des internes décédés !

Que demandez-vous ?

Dans le courrier que nous venons d’envoyer, nous demandons une nouvelle fois la mise en place immédiate du décompte horaire du temps de travail des internes, le non-report du semestre de mai 2021 (que le gouvernement souhaite décaler d’un mois, NDLR) et la réquisition systématique des internes réaffectés dans d’autres services pour la lutte contre le Covid : si cela n’est pas appliqué, nous n’excluons pas un mouvement de grève dans les semaines à venir pour exprimer notre colère.

Car au lieu d’assumer ses errances dans la gestion de l’épidémie, le gouvernement est prêt à faire passer la lutter contre le Covid sur le cadavre des soignants. À force de tirer sur la corde et de réaffecter "à la hussarde" les internes en les changeant d’hôpitaux au dernier moment, on va créer d’autres drames. Il est hors de question d’avoir de nouveaux suicides parce que le gouvernement n’assume pas ses responsabilités !

Y a-t-il d’autres moyens de faire entendre la voix des internes sur cette problématique de l’épuisement professionnel ?

Oui, nous avons lancé une campagne, partie sur les réseaux sociaux, #ProtègeTonInterne. L’idée est de casser le plafond de verre de l’entresoi médical et de communiquer avec la population générale sur l’épuisement professionnel, les violences et la rigidité des cursus. Nous voulons faire comprendre aux Français que protéger son soignant, c’est aussi garantir une bonne prise en charge des patients, et que faire une garde de 24 heures n’est pas anodin et peut être dangereux.

Sur ces questions, on ne s’interdira aucun mode d’action. Nous envisageons de faire une marche blanche, peut-être avec les parents des victimes, pour montrer que derrière chaque suicide d’interne, ce sont aussi des drames et des familles brisées.


Source : lequotidiendumedecin.fr