Roumanie, Belgique, Allemagne, Espagne, Suisse… Plusieurs milliers de jeunes Français étudient actuellement la médecine à l’étranger, le plus souvent pour contourner une sélection drastique. Gouvernement et élus rêvent de les rapatrier. Pas si simple…
Combien d’étudiants français s’expatrient-ils pour faire leurs études de médecine ? Après avoir enquêté pendant plusieurs mois et contacté les autorités étrangères concernées, Le Quotidien est en mesure d’avancer des chiffres exclusifs : 2 614 étudiants en médecine français se trouvent en Roumanie – pays qui a mis en place une filière francophone organisée –, 681 en Belgique, 493 en Allemagne, 435 en Suisse, 110 en Espagne… Plusieurs dizaines de carabins français tentent aussi leur chance dans d’autres pays de l’Est. Au total, plus de 5 000 étudiants français suivent un cursus de médecine à l’étranger – tous cycles confondus, dans des facs publiques ou privées, en Europe ou ailleurs –, un chiffre sans doute sous-estimé.
Sources : Roumanie (ministère de l’Éducation, 2023/24) ; Belgique (Cref, 2021/22) ; Allemagne (Destatis, 2022/23) ; Suisse (BFS, 2023/24) ; Croatie (Enseignement supérieur, 2023/24) ; Slovaquie (SCSTI SR, 2022/23) ; République tchèque (Éducation, 2022/23) ; Bulgarie (Éducation, 2023/24) ; Hongrie (gouvernement, 2023/24) ; Irlande (Enseignement supérieur, 2022/23) ; Lituanie (Éducation, 2023/24) ; Lettonie (Éducation, 2023/24)
Dans un pays en proie à la désertification médicale, le rapatriement de ces forces vives est devenu une priorité. Dans son discours de politique générale du 30 janvier, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait même cité la proposition de loi portée par le député LR et cardiologue Yannick Neuder visant à faciliter le retour des carabins français exilés. « Il faut trouver les moyens de les faire revenir », avait avancé le locataire de Matignon.
Pas si simple. Sur le plan logistique, un tel objectif suppose d’assurer les moyens d’accueillir ces étudiants en formation dans les universités et dans les terrains des stages. « Augmenter l’offre de soins, oui, mais pas au détriment de la qualité de la formation », recadre le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). En dix ans, les maîtres de stage des universités (MSU) sont déjà passés de 5 000 à quasiment 12 000 et les besoins ne cessent de croître avec la quatrième année de médecine générale… Sur le plan éthique ensuite, le Pr Benoît Veber, président de la Conférence nationale des doyens de médecine, n’apprécie guère ce « contournement » du cursus français, agrémenté d’une inégalité financière entre les étudiants. « Cette solution de rapatriement doit rester très marginale », assume-t-il.
Peu de retours au moment de l’internat
La sélection toujours impitoyable de l’accès aux études de santé et l’interdiction du redoublement en Pass produisent des effets pervers. Par crainte de la compétition ou de l’échec, nombre de jeunes Français parient d’emblée sur une filière étrangère, avant même de tenter leur chance dans une fac tricolore. Et ce, malgré le remplacement du numerus clausus en numerus apertus, ayant augmenté de 13 % les effectifs par rapport à 2020.
Une partie de ces étudiants français expatriés tentent de revenir au moment de l’internat. Mais en réalité, le nombre de ces retours reste limité, a appris Le Quotidien en consultant les données du Centre national de gestion (CNG). En 2023 par exemple, seuls « 107 Français » ayant étudié dans un autre pays européen ont été affectés aux ECNi, soit 1,15 % des nouveaux internes. La très grande majorité d’entre eux (92) viennent de Roumanie mais aussi d’Espagne, Belgique et Tchéquie, Portugal, Irlande, Bulgarie. Ces carabins français revenus de l’étranger ont choisi en grande majorité la médecine générale (72), puis la psychiatrie (15) et la gériatrie (10). Plus récemment, seuls 65 jeunes Français issus de formations à l’étranger se sont inscrits aux nouvelles épreuves dématérialisées nationales de la sixième année (EDN) d’octobre 2023 (61 de Roumanie, trois de Belgique et un de Hongrie). La note minimale requise de 14/20 désormais exigée a dissuadé nombre de candidats au retour.
Au-delà du parcours du combattant, la qualité des cursus dans certains pays interroge. En 2023, le classement moyen des étudiants français formés en Roumanie était 9 081e ; le mieux classé se hissant à la 3 184e place. À titre de comparaison, la moyenne des étudiants de Montpellier est au 4 186e rang. Le président du Collège de la médecine générale (CMG), le Pr Paul Frappé, pointe aussi les difficultés de ces étudiants candidats au retour « qui doivent se réapproprier le système français » (son offre de soins, sa législation, ses recommandations).
Les maires ruraux prêts à s’engager
Le sujet n’est pas seulement une affaire nationale. Sur le terrain, à l’instar des collectivités locales qui courtisent les étudiants français partis à l’étranger, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) s’intéresse à la question. Son vice-président chargé des questions de santé, Gilles Noël, a même commandé à la Banque des territoires une enquête sur les étudiants français en Roumanie, confiée au cabinet Acsantis. Inquiet de la désertification, l’édile de Varzy (Nièvre) constate que l’Allemagne et la Suisse offrent déjà de grandes facilités aux carabins qui font leur internat chez eux pour qu’ils s’y installent ensuite.
Les résultats de cette étude sont éloquents. Sur les 286 étudiants français (issus de 80 départements) dans les facs roumaines de Iasi ou Cluj-Napoca ayant répondu, seuls 54 % souhaitent s’installer en France au terme de leurs études. Mais les trois quarts d’entre eux aimeraient être approchés par les collectivités locales pendant leur cursus en Roumanie. De quoi renforcer la volonté d’action de Gilles Noël car « il ne faut pas considérer ces étudiants comme des sous-médecins ».
Tant que l’on s’assure de l’homogénéité des maquettes de formation, je ne vois pas d’inconvénient à leur retour »
Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom
Pendant des années, pourtant, les étudiants ayant contourné le numerus clausus ont été mal perçus, notamment par l’Ordre des médecins, opposé à l’idée qu’ils rentrent effectuer leur internat en France. En 2012, son président de l’époque, le Dr Michel Legmann, les qualifiait même de « tricheurs ». Depuis, la position de l’institution a changé. « Vous n’entendrez pas de notre part des propos stigmatisants, clame le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom. Comment pourrait-ce être le cas si l’on croit à un destin commun européen ? Tant que l’on s’assure de l’homogénéité des maquettes de formation, je ne vois pas d’inconvénient à leur retour. »
Des retours limités à ce stade… En 2023, parmi les 26 364 praticiens en activité régulière diplômés à l’étranger exerçant dans l’Hexagone, seuls 788 sont « nés en France », soit moins de 3 % d’entre eux, selon l’Ordre. Si l’on rapporte cette proportion aux quelque 200 000 praticiens, le chiffre chute à 0,39 %. Ces médecins nés en France ont été diplômés au sein de l’Union européenne (UE) pour 441 d’entre eux, en majorité en Belgique (229), en Roumanie (76) et en Italie (52). Ils sont 347 à s’être formés hors UE, principalement en Algérie (166), en Tunisie (47) et en Syrie (21). Et parmi les 1 651 primo-inscrits à l’Ordre diplômés à l’étranger exerçant en France en 2023, seuls 63 sont nés dans l’Hexagone (certes deux fois plus qu’en 2010).
Ces chiffres traduisent une situation peu enviable en période de pénurie médicale : non seulement plusieurs milliers d’étudiants français découragés partent faire médecine à l’étranger mais la France, moyennement attractive, peine à les faire revenir. La donne pourrait-elle changer ?