Guillaume Bailly (Isni) : « Notre double statut est très beau sur le papier mais la réalité est tout autre »

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Publié le 25/10/2023
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Élu en septembre président de l'Intersyndicale nationale des internes (Isni), Guillaume Bailly énonce les priorités de son mandat. Mobilisé contre la 4 e année du DES de médecine générale, il affiche sa fermeté sur le respect du temps de travail par les CHU. Autres dossiers : l'évolution du statut des internes, leur parentalité, les violences sexistes et sexuelles et le suivi des négociations conventionnelles.

LE QUOTIDIEN : Début octobre, l'Isni a déposé un recours gracieux pour demander le report de la réforme controversée de la 4e année. Où en est-on ?

GUILLAUME BAILLY : Nous restons sans réponse officielle du gouvernement. Passé un délai de deux mois, l'Isni se réserve donc le droit d'engager d'autres procédures (recours devant le tribunal administratif notamment, NDLR). Les conditions pour que cette 4e année se passe au mieux sont loin d'être réunies. Cela fait des mois que nous réclamons une écriture plus rapide des décrets. À ce jour, seule la nouvelle maquette du DES de médecine générale a été publiée. Les internes sont pourtant en droit de connaître leur futur statut et le montant de leur rémunération.

Précisément, quels sont les points de crispation ?

Le nombre de maîtres de stage des universités pouvant superviser un docteur junior en médecine générale, les conditions d'accès au secteur II, les choix de stage ainsi que les modalités de participation à la permanence des soins ambulatoires. Tout est flou, ce qui inquiète énormément les étudiants. D'ailleurs, les derniers choix de spé montrent une perte d'attractivité de la médecine générale. Dans un monde où l'on parle de dépistage et de prévention, la médecine générale est le pilier de notre système de santé. Sans cette spécialité forte et attractive, nous ne parviendrons pas à remonter la pente. Nous n'avons plus le droit de nous louper !

Vous bénéficiez du statut d'observateur dans le cadre des négociations entre la Cnam et les syndicats représentatifs de médecins libéraux. Qu'en attendez-vous ?

Nous attendons des négociations beaucoup plus ambitieuses que les précédentes ! La revalorisation d'1,50 euro a été vécue comme une offense, un manque de considération des libéraux, en particulier des généralistes. Nous comptons 40 % d'internes en médecine générale. Parmi eux, une immense majorité se prédispose à l'exercice libéral. Nous serons donc très vigilants ! Les mesures décidées devront être en adéquation avec les missions qu'on leur demande d'assurer. Nous veillerons aussi à ce qu'aucune disposition coercitive relative à l'installation des jeunes médecins ne soit mise sur la table.

Comment améliorer l'accès aux soins ?

Il faudrait valoriser le contrat d'engagement de service public et le proposer de manière plus large à toutes les spécialités, notamment celles à accès direct comme la cardiologie ou l'ophtalmologie. Bien encadrés, ces contrats pourraient séduire davantage d'étudiants.

Avez-vous été surpris par le classement des choix de spécialités cette année ?

Pas vraiment ! Les spécialités qui arrivent en tête sont souvent celles qui permettent aux futurs médecins d'opter pour une activité mixte. Ce mode d'exercice va devenir prépondérant. Une récente étude montre que les externes priorisent dans leur choix de spé le fait de pouvoir assurer un lien direct avec le patient. La rémunération n'arrive qu'en cinquième position. Les jeunes ont besoin de trouver du sens dans ce qu'ils font.

Beaucoup d'étudiants se lancent dans les études de médecine à 17 ou 18 ans avec l'envie d'ancrer leur métier dans une dimension humaine et sociale. Puis les années passent et les désillusions s'enchaînent. On arrive à la fin de l'externat vers 25, 26 ans et le choix de spécialité devient déterminant. Beaucoup d'étudiants se rendent compte qu'ils désirent pratiquer une médecine qualitative et non plus quantitative, avec une pratique centrée sur le patient. Ce qui leur est proposé ne le permet pas toujours. Les médecins sont souvent amenés à faire beaucoup plus de tâches administratives. Tous ces éléments entrent en jeu dans le choix de spécialité.

Comment expliquer que des spécialités cliniques comme la psychiatrie ou la gériatrie arrivent aussi bas dans le classement ?

La gériatrie est une spécialité passionnante. Il n’y a pas plus humaniste. C’est aussi une spécialité difficile qui fait appel à des soins à la fois aigus et chroniques. Les prises en charge sont particulièrement complexes. Il faut contrôler l’AVC, l’infarctus, les problèmes de vessie, de prostate, d’ovaires, dépister les cancers. Les patients âgés sont plus vulnérables et souvent isolés. Être gériatre, c’est être généraliste et spécialiste de tout ! C'est aussi être dépendant d’une organisation surtout hospitalière. C'est l’une des spécialités où les conditions d’exercice au quotidien sont les plus difficiles.

La psychiatrie n’est pas non plus une spécialité de tout repos. Les gardes sont éprouvantes, les conditions de travail difficiles. Souvent, les psychiatres sont physiquement pris à partie lorsqu’ils interviennent aux urgences. 

Quelles sont vos autres priorités ?

Comment concilier la parentalité avec l'internat est une question essentielle. Les femmes représentent 60 à 65 % des internes. Rien n'est prévu pour leur permettre de vivre sereinement leur grossesse. Elles se retrouvent victimes d’une inégalité de traitement car, en prenant l’intégralité de leur congé maternité (16 semaines), elles se voient dans l’incapacité de valider leur stage qui prévoit quatre mois de présence obligatoire et seulement deux mois d’absence. Ce système dissuade beaucoup d’internes de devenir parent.

Lors du clinicat, les conditions ne sont pas plus adaptées. Il n’existe pas de lieux d’allaitement dans les hôpitaux. Dans une société où les femmes sont victimes de discrimination, la médecine ne fait pas exception et les postes de chef de clinique sont très souvent attribués aux hommes. Des discussions sont en cours avec la ministre Agnès Firmin Le Bodo. 

Plus globalement, nous continuerons à travailler sur le sujet des violences sexistes et sexuelles, véritable "épidémie" dans le milieu médical. Il faut se saisir de ce sujet à tous les échelons, de l'externat au clinicat.

Qu'en est-il du statut d'interne ? 

L’un de nos combats sera de porter une vraie réflexion sur le statut d’interne. Notre double statut, mi-étudiant mi-professionnel de santé, est très beau sur le papier mais la réalité est tout autre. Nous cumulons les désavantages des deux statuts. Nous devons être considérés comme des professionnels de santé sans que soit pour autant oublié le fait que nous sommes en formation, en voie de spécialisation, en train d’apprendre notre métier.

La santé mentale des étudiants est un autre sujet préoccupant…

Nous travaillons à la création d'un SOS national avec une déclinaison locale dans chaque subdivision. Cette structure, complémentaire au Centre national d'appui à la qualité de vie des étudiants en santé, permettrait aux internes en souffrance de bénéficier d'une ligne d'écoute et d'aide assurée par un réseau de soignants. Nous croyons à ce pair à pair car les personnes au bout du fil auront potentiellement vécu la même chose à un moment de leur vie. Ce projet a été présenté à Agnès Firmin Le Bodo, qui a été séduite. 

Le décompte horaire du temps de travail des internes est un combat historique de l'Isni. Constatez-vous une amélioration depuis la décision du Conseil d'État d'imposer aux établissements un décompte fiable et objectif ?

Depuis cette décision, nous avons déposé, aux côtés de l'Isnar-IMG et de la Fédération nationale des syndicats d'internes en pharmacie et biologie médicale, 28 plaintes auprès de CHU qui ne respectaient pas cette injonction. Certains CHU ont accepté ces procédures, d'autres les ont refusées. Dans le cadre des médiations, tout l'enjeu est d'évaluer si les avancées sont assez ambitieuses pour que nous décidions de lever la plainte.

Nous avons également lancé une enquête sur le temps de travail des internes à laquelle 1 100 étudiants ont répondu. Les résultats nous permettront de dire s'il y a une amélioration notable alors que la dernière enquête montrait que 70 % des internes dépassaient les 48 heures légales par semaine. Cette enquête sera aussi l'occasion de savoir ce que les internes attendent de ce décompte horaire. Souhaitent-ils valoriser les heures supplémentaires ? Ces heures sup doivent-elles mener à un repos en plus ? Est-il prioritaire d'ouvrir des postes aux spécialités qui font le plus d'heures afin d'équilibrer la charge de travail ? Toutes ces questions seront sur la table.

Propos recueillis par Aude Frapin

Source : Le Quotidien du médecin