Effrayés par les contraintes à l’installation ou désireux d’affiner leur projet professionnel, de plus en plus de jeunes généralistes optent pour le remplacement dès la sortie d’études. Si ce mode d’exercice offre de la flexibilité, il est souvent synonyme d’instabilité et de précarité.
C’est une tendance de fond qui ne se dément pas. Entre 2010 et 2023, le nombre de médecins remplaçants inscrits au tableau de l’Ordre a bondi de 42 %, passant de 9 054 à 12 894*, d’après les derniers chiffres de l’atlas de la démographie médicale 2023 publié par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Les généralistes représentent la très grande majorité (62 %) de ces bataillons de remplaçants.
Parmi les primo-inscrits au 1er janvier 2023, ils étaient plus de 27 % à choisir l’activité remplaçante contre 21 % en 2010. Cet intérêt pour le remplacement consacre aussi l’importance croissante de ces forces vives dans le système de santé. Participation à la permanence des soins ou au service d'accès aux soins (SAS), dépannages de confrères pendant leurs congés ou arrêts maladie, les remplaçants ont acquis de longue date un rôle capital pour maintenir la continuité des soins, notamment dans les zones fragiles, mais pas seulement. « En leur laissant les clés de la boutique, on peut en principe partir en congés en toute sérénité. C’est essentiel pour garantir le droit au repos », soutient le Dr Luc Duquesnel, généraliste en Mayenne et président des Généralistes-C SMF.
Les généralistes représentent la très grande majorité (62 %) de ces bataillons de remplaçants
Aspirations nouvelles
Selon la dernière étude Remplact 4, chaque praticien a remplacé en moyenne sept médecins installés en 2022. Un rapport de la Drees (ministère de la Santé) publié en décembre 2021 intitulé « Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques » recommandait de mieux financer et de consolider cette activité clé pour lutter contre les carences médicales dans les déserts. Leur force de frappe s’est aussi révélée essentielle pendant la crise sanitaire.
Mais comment expliquer cet attrait puissant de la nouvelle génération pour ce mode d’exercice hybride ? Dans sa thèse soutenue en 2019 – Je suis médecin généraliste remplaçant et je le reste ! Pourquoi ? – Arnaud Bonnard énumérait les principaux arguments avancés par les 15 généralistes remplaçants thésés interrogés pour son travail de recherche. Le « sentiment de liberté » et la « flexibilité » figuraient parmi les principales raisons évoquées.
Affiner son projet d’installation, voir du pays
Pour le Dr Olivier Cadiou, généraliste remplaçant et secrétaire général du syndicat Reagjir, la souplesse et la diversité permises par ce statut sont les principales raisons de son choix. « Depuis deux ans, j’effectue des remplacements à Nancy et aux alentours. En général, je fais des semaines complètes, ça me permet d’être libre, davantage que si je faisais des remplacements fixes », expose-t-il. Cette organisation présente aussi un avantage de taille pour le praticien, celui d’organiser son emploi du temps. « Habituellement, je travaille à 70 % mais en ce moment je suis plus à mi-temps pour potasser ma thèse que je n’ai pas encore soutenue ».
Pour la majorité des jeunes médecins, cette période de transition – en moyenne trois ans – est aussi l’occasion d’affiner leur projet d’installation, un cap redouté. C’est le cas de la Dr Anaïs Werestchack, médecin généraliste et ex-Miss Auvergne, qui a entamé début janvier avec son conjoint kiné un « tour de France » des remplacements. « C’est une opportunité pour nous de diversifier nos expériences, de voir comment nos confrères travaillent, de tester divers logiciels et organisations pour déterminer ce qui nous plaît, illustre-t-elle. C’est aussi un moyen de découvrir de nouvelles régions pour une éventuelle future installation. Qui sait ? On aura peut-être un coup de cœur ! »
C’est une opportunité pour nous de diversifier nos expériences, de voir comment nos confrères travaillent
Dr Anaïs Werestchack, médecin généraliste
Périodes d’inactivité
Souplesse, mobilité, diversité, allègement administratif, moindres charges… Les avantages des « remplas » semblent nombreux sur le papier. Sur le plan financier et statutaire, la réalité est beaucoup plus nuancée. « Certains soutiennent que les remplaçants sont des mercenaires grassement payés, s’agace le Dr Olivier Cadiou. On a tous entendu parler de ces histoires où des remplaçants réclamaient 100 % de rétrocession mais c’est vraiment une minorité », recadre-t-il. De fait, le revenu annuel moyen imposable (BNC) d’un médecin généraliste remplaçant s’élevait à 62 700 euros en 2022 (contre 90 k€ pour un confrère généraliste installé).
Contrairement aux praticiens installés, les remplaçants ne bénéficient pas de congés payés
Avec une moyenne de 31,8 semaines travaillées par an selon la dernière étude Remplact 4, l’activité remplaçante est rarement la panacée, encore moins une manne financière. La recherche de remplacements peut même s’avérer plus ardue que prévu. « Il n’existe pas de site officiel qui répertorie l’ensemble de l’offre et la demande. Et malgré la pénurie de médecins, on rencontre beaucoup de difficultés pour trouver des missions quand on ne vient pas de la région et qu’on ne connaît pas les différents groupes Facebook sur lesquels s’informer, avance la Dr Anaïs Werestchack. C’est très chronophage ». Conséquence, de nombreux intérimaires enfilent la blouse principalement pendant les périodes scolaires, lorsque la demande est la plus soutenue. « Pour l’instant, ça ne me pose pas de soucis car je n’ai pas encore de vie de famille établie, avance le Dr Olivier Cadiou. Mais si un jour j’étais amené à ne pas travailler durant cette période, ça serait extrêmement préjudiciable pour ma comptabilité annuelle ! »
L’autre inconvénient majeur reste l’absence de certains droits et avantages sociaux. Contrairement aux praticiens installés, les remplaçants ne bénéficient pas de congés payés, à l’exception de ceux qui effectuent des missions régulières dans un cabinet, ni d’assurance chômage. Ils sont exclus de certaines aides spécifiques, telles que l'avantage supplémentaire maternité (ASM), pouvant les fragiliser pendant les périodes de congé parental (lire page 11). Une iniquité reconnue par leurs aînés. « Pour une remplaçante, une grossesse compliquée peut conduire à six mois sans revenu », déplore le Dr Luc Duquesnel. Le sujet très sensible du conventionnement des remplaçants – refusé par la Cnam à ce jour – reste un combat prioritaire.