La Pr Catherine Barthélémy, ouvreuse de voies

Publié le 14/04/2023
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Une femme bientôt à la tête de l’Académie de médecine, ça ne se voit pas tous les jours. C’est même inédit. L’heureuse élue est la Pr Catherine Barthélémy. Récit d’une vie dédiée à l’autisme.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Catherine Barthélémy est née le jour du printemps de l’année 1946, sous le double signe du renouveau, quand fin de l’hiver rime avec après-guerre. Il y a forcément un peu de facilité à réécrire l’histoire après coup, il n’empêche, la vie de cette éminente spécialiste de l’autisme ne manque pas de ruptures, au sens progressiste du terme. En témoigne encore sa récente élection à la présidence de l’Académie nationale de médecine.

En 2024, la Pr Catherine Barthélémy deviendra la première femme à prendre les rênes de cette société savante deux fois séculaire. « Je n’ai pas été élue parce que je suis une femme, commente l’intéressée. Et d’ailleurs, sur les trois candidats, nous étions deux postulantes. Cette nomination tient davantage à ma triple spécialité, de médecin pédopsychiatre hospitalière, proche des familles et des enfants, d’experte dans le domaine de l’autisme et de chercheuse en neurophysiologie, mes travaux ayant contribué à montrer que des troubles du neurodéveloppement qui affectent le fonctionnement du cerveau sont à l’origine de l’autisme ». Ou l’art de s’effacer derrière la cause. Car même si aujourd’hui, la sémiologie de l’autisme n’est plus guère contestée, en la choisissant, ses coreligionnaires académiciens couronnent également le combat d’une vie pour arrimer cette maladie à la neurobiologie et ouvrir la voie à une approche thérapeutique centrée sur les enfants, en dialogue avec les familles, à qui elle a ouvert les portes de l’hôpital.

Sous l’aile de Gilbert Lelord

Remonter à la source de cet engagement, c’est aller à la rencontre de personnalités qui ont été décisives dans son parcours. Si ce sont souvent les autres qui nous révèlent à nous-mêmes, elle voue, encore aujourd’hui, à celles et ceux qui l’ont inspirée et/ou ont été d’indéfectibles soutiens une affection intacte, et sensible jusque dans sa voix où affleure, à leur évocation, une vibrante jeunesse. Il y a d’abord eu cette pédiatre, médecin scolaire, solaire aussi, à la Ferté-Bernard, dans la Sarthe, où elle a grandi. C’est à son contact qu’elle a su qu’elle s’occuperait d’enfants : « Cette femme d’origine russe était une sorte d’idéal pour moi. Elle était d’une générosité incroyable et j’ai gardé d’elle cette chaleur de la vie en société et en famille ». Comme son modèle, elle fait médecine et s’oriente vers la pédiatrie. Au mitan des années 1960, elle devient externe à l’hôpital Gatien de Clocheville de Tours, « un des meilleurs dans le domaine, avec une approche très pluridisciplinaire de la pédiatrie », précise-t-elle. Alea jacta est : les bords de la Loire vont devenir son port d’attache. Intéressée par la physiologie, elle suit les cours de Gilbert Lelord, pédopsychiatre et chef du service de psychiatrie. « Il faisait de la neurophysiologie, et il avait une façon de nous expliquer comment fonctionnait le cerveau qui m’a passionnée », raconte-t-elle. Assidue, il lui propose d’animer avec lui les cours de travaux pratiques. Le début d’un compagnonnage de près d’un demi-siècle, qui ne prendra fin qu’avec le décès de son maître, en 2017.

Comme son père, instituteur, qui lui a montré tout ce qu’il savait faire, en menuiserie ou à la pêche aux gardons, le Pr Lelord l’emmène partout avec lui. Il la convainc aussi d’ajouter la psychiatrie à son cursus initial. « À l’époque, il n’y avait pas de spécialité de psychiatrie de l’enfant », rappelle Catherine Barthélémy. Ensemble, ils vont monter un service de psychiatrie de l’enfant, après avoir réquisitionné un préfabriqué pour y installer les enfants qui végétaient dans un pavillon du quartier des femmes. C’est encore lui qui, en 1977, l’informe de la possibilité d’effectuer un stage de formation de recherche, en vue de sa thèse de sciences, au Collège de France, à Paris, dans le laboratoire du neurobiologiste Jacques Glowinski. « Lelord m’a ouvert toutes les portes, sans lui, je n’aurais pas eu ces opportunités », souligne celle qui, pour l’éternité, restera son élève.

Plus que jamais active

« Gilbert Lelord est son héros », sourit Pierre Gressens, neuropédiatre, directeur de recherche Inserm et vice-président du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Autisme et troubles du neurodéveloppement », que préside Catherine Barthélémy. « Ce qui est impressionnant chez elle, poursuit-il, c’est qu’elle arrive à combiner la clinique et la recherche de haut niveau, ce qui dans le contexte d’une médecine universitaire largement dominée par les hommes n’était pas évident, auxquelles il faut ajouter un grand charisme, un intellect hors du commun et une bienveillance sincère, rare à ce degré de réussite. » Autant de qualités que le Pr Lelord avait percées, et dont il a témoigné dans ses livres, se dépouillant, une fois n’est pas coutume, de cette réserve, selon le mot du Pr Barthélémy, qui a toujours nimbé leur relation. « Ma force de travail, mon engagement vis-à-vis des patients et mon courage l’ont amené à m’accorder son attention et sa confiance », complète-t-elle. Et il en fallut du courage durant les années 1980 pour imposer, face à la toute-puissance des tenants de la pathologie du lien mère-enfant pour expliquer l’autisme et justifier la psychanalyse comme unique recours, une nouvelle description objectivée de ce trouble. L’année 1985 constitue à cet égard un tournant : « Avoir l’audace de dire, à la tribune du Congrès de neuropsychiatrie de Tours, que l’on devait à ces enfants et à leurs familles la même rigueur scientifique que dans les autres domaines de la médecine a déclenché une hostilité incroyable ». Huées ou non, la brèche est ouverte.

Aujourd’hui, les recommandations de prise en charge de l’autisme, édictées par la Haute Autorité de santé, sont sans équivoque. Faisant suite au 4e plan autisme, une stratégie nationale (2023-2027) vient de démarrer. Mais pas question de se reposer sur ses lauriers. « Je serai maintenant le relais des meilleurs scientifiques au sein de l’Académie, affirme Catherine Barthélémy. Nous allons désormais élargir notre travail à l’ensemble des troubles du neurodéveloppement, en commençant par les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité. » Le travail continue, foi de femme de convictions.

 

Repères

21 mars 1946 : naît à Adriers, dans la Vienne

1972 : devient cheffe des travaux pratiques dans le service de psychiatrie du Pr Lelord, à Tours

Été 1977 : se marie à Tours en août et en septembre fait sa rentrée au Collège de France, à Paris

1985 : rapporteur au Congrès de neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de langue française de Tours, elle apporte de nouvelles preuves que l’autisme est un trouble du neurodéveloppement    

1986 et 1988 : donne naissance à sa fille Lucie puis à son fils Louis-André

1992 : est nommée professeure et entre à la gouvernance de la faculté de médecine de Tours

2015 : est admise à l’Académie de médecine, comme correspondante, sa titularisation sera effective en 2017

2016 : reçoit le prix d’honneur de l’Inserm

2019 : prend la direction du GIS « Autisme et trouble du neurodéveloppement »

2023 : assure la vice-présidente de l’Académie, avant l’an prochain, de devenir sa première présidente

 

Jamais sans les familles : l’ADN de l’Arapi

En 1983, Gilbert Lelord cofonde avec Catherine Barthélémy et une poignée de chercheurs l’Association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations (Arapi). En son sein, des scientifiques et des familles. « Toute décision était prise de manière paritaire au conseil d’administration, ce qui, à l’époque, était à l’avant-garde », rapporte Catherine Barthélémy, qui a présidé l’Arapi jusqu’en 2019. Josiane Scicard, trésorière de l’Arapi, a rejoint l’association en 1995 : « L’originalité de cette association m’a séduite, car ce qui m’intéressait, par rapport à mon fils, c’était d’en savoir plus sur les nouvelles connaissances et d’être en contact avec les bons médecins pour prendre les bonnes décisions. En outre, comme le disait et le dit toujours le Pr Barthélémy, les meilleurs chercheurs, ce sont les familles ». Outre ses qualités d’écoute, Josiane Scicard loue également sa capacité à se mettre au niveau de son interlocuteur. « Elle est très appréciée des familles car elle sait expliquer les choses, en les rendant abordables, précise-t-elle. Monsieur Lelord était pareil. »

https://site.arapi-autisme.fr

Élisabeth Bouvet

Source : Le Quotidien du médecin