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Dossier

Déconfinement

Le difficile retour à la normale

Par Amandine Le Blanc - Publié le 19/06/2020
Le difficile retour à la normale

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GARO/PHANIE

Le quotidien reprend petit à petit ses droits pour beaucoup de Français, mais en va-t-il de même dans les cabinets de médecine générale ? Malgré un fort ralentissement de l’épidémie, le retour à la normale semble prendre du temps. Les conséquences de la crise se font déjà sentir fortement dans les consultations. Retards de prise en charge, aggravation des pathologies, décompensations psychiatriques : les médecins de famille doivent désormais gérer une deuxième vague qui n’est pas directement liée au coronavirus.

Va-t-il vraiment y avoir un « monde d’après », ou les schémas pré-Covid vont-ils naturellement reprendre leurs droits ? Dans le monde de la santé et les cabinets de médecine générale, la question se pose aussi.

Si les omnipraticiens restent prudents, tous les signaux sont pour l’instant au vert. En effet, si l’on en croit les retours de terrain, l’épidémie s’éteint et il n’y a pour l’heure aucunes prémices d’une deuxième vague. Selon une enquête de MG France, menée auprès de 1 751 généralistes sur la semaine du 25 mai, 4 633 cas possibles de Covid-19 ont été vus en consultation. En extrapolant au niveau national, cela donne un total de 150 000 cas, soit 10 000 de moins que la semaine précédente. Et 3,1 % des tests RT-PCR prescrits par les MG sont revenus positifs contre 5,6 % deux semaines auparavant. « Je n’ai plus aucune suspicion depuis plus de 15 jours », confirme le Dr Isabelle Cibois-Honnorat, généraliste à Mirabeau (Vaucluse). Idem pour le Dr Fabien Quedeville, son confrère de Chilly-Mazarin (Essonne) qui n’a vu « aucun cas de Covid depuis le déconfinement ».

Mais pour autant, depuis le déconfinement, l’heure n’est pas à un retour à la normale dans les cabinets. Sur le plan de l’organisation, les règles de distanciation et les gestes barrières restent en vigueur et par conséquent, la téléconsultation est toujours plus utilisée qu’avant le confinement. D’après les chiffres de l’Assurance maladie, après un pic à 1 million de téléconsultations remboursées la semaine du 6 au 12 avril, le nombre d’actes réalisés à distance a diminué depuis le 11 mai pour finalement stagner autour de 600 000 actes les dernières semaines de mai. Malgré cette diminution, le niveau des téléconsultations est bien supérieur à l’avant-crise. « Nous continuons à voir environ 50 % de nos patients en téléconsultation, explique le Dr Frédéric Villebrun, généraliste en centre de santé à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). C’est une question d’organisation pour éviter l’encombrement des salles d’attente et le temps de nos consultations est également augmenté pour prévoir notamment une désinfection. Sur le mois de juin, nous avons maintenu un passage obligé par une première consultation téléphonique, sauf pour les urgences. »

Fréquentation restreinte

Si, dans le centre de santé du Dr Villebrun, les sollicitations des patients sont plus nombreuses qu’habituellement, ailleurs, le retour à la fréquentation d’avant-crise n’est toujours pas d’actualité. D’après les chiffres de l’Assurance Maladie, sur les trois semaines de mai ayant suivi le déconfinement, une reprise a été constatée mais le nombre de consultations reste globalement en deçà des mêmes périodes pour 2019 (voir graphique). Il est inférieur de 17,1 % pour la semaine du 11 au 17 mai, de 27,5 % pour celle du 18 au 24 mai et très légèrement supérieur (+1,3 %) pour celle du 25 au 31 mai. Une enquête de l’URPS-ML Île-de-France montre également que 66 % des généralistes font encore face à une activité réduite depuis le déconfinement. 

Sur le terrain, les généralistes constatent aussi que les patients n’ont pas encore retrouvé le chemin des cabinets (voir encadré). Le Dr Cibois-Honnorat estime être toujours à la moitié de son nombre habituel de patients. « Je trouve la reprise en présentiel à mon cabinet très frileuse. C’est vraiment trop calme, avec un maximum de huit patients par jour », souligne de son côté le Dr Véronique Labbe, généraliste à Paris. À Chilly-Mazarin, le Dr Quedeville n’a pas non plus constaté « une reprise franche de l’activité, qui reste réduite de 30 à 40 % par rapport aux années précédentes ». Dans sa MSP de Réalmont (Tarn), l’activité du Dr Margot Bayart est toujours 15 % en deçà de l’ordinaire. « Il y a plusieurs raisons à cela. Nous avions chaque jour des consultations sans rendez-vous et il n’est pour l’instant pas possible de rouvrir cette plage. Une partie des patients a également toujours peur de revenir », explique-t-elle.

Retards de suivi et aggravation de pathologies

Mais malgré une activité qui est toujours réduite pour certains généralistes, les consultations depuis le déconfinement demandent du temps. La période d’après-crise consiste aussi à gérer les conséquences du confinement, et sur ce point-là, le travail a déjà commencé pour les omnipraticiens. Après plusieurs mois sans voir de médecin, certaines pathologies ont « évolué », se sont « aggravées » et « le nombre de motifs de consultations augmente », explique le Dr Villebrun. C’est notamment le cas pour les patients chroniques. « J’ai vu beaucoup de décompensations de diabète (…) des patients qui ne marchaient plus pendant le confinement par exemple », souligne le Dr Bayart. « Le suivi des pathologies chroniques reprend, souvent avec des kilos en plus », note aussi le Dr Yannick Schmitt, généraliste à Lingolsheim (Bas-Rhin). Pendant le confinement, des examens ont également été décalés et la situation actuelle ne permet pas forcément le retour à un suivi nécessaire. « Il y a des renoncements aux soins très importants qui nous inquiètent. En cardiologie, notamment, les patients essaient d’appeler et obtiennent un rendez-vous en décembre, pour les échographies c’est compliqué également donc les gens abandonnent », détaille le Dr Bayart. « Les files d’attente aux laboratoires d’analyses découragent beaucoup de patients pour faire leur bilan », note également le Dr Quedeville. Le Dr Bayart s’inquiète aussi des retards pour les enfants ayant des problèmes psychomoteurs ou du langage et pour l’aggravation des addictions : « C’est terrible, certains patients commençaient à sortir le nez de l’eau et là ils sont repartis au fond, surtout avec l’alcool. »

ET LES MÉDICAMENTS ?

Pendant le confinement, la consommation de médicaments de ville en France a baissé de 39 % pour les antihypertenseurs, 48,5 % pour les anti-diurétiques et 49 % pour les statines.
En fin de confinement et post-confinement, l’utilisation d’hypnotiques (+ 6,9 %) et d’anxiolytiques (+ 1,2 %) a augmenté.
Étude du GIS EPI-PHARE à partir des données du Système national des données de santé (SNDS)

De nombreuses conséquences psy

De manière générale, les patients que les généralistes revoient dans leur cabinet ont besoin de parler, de raconter ce qu’ils ont vécu ces derniers mois. Les médecins de famille constatent un trop-plein d’émotions et doivent aussi prendre en charge des décompensations psychiatriques, y compris chez des patients sans antécédents. « Globalement, je vois deux types de phénomène. Il y a d’un côté la personne de plus de 80 ans qui a mal vécu l’isolement et l’ambiance anxiogène. J’ai eu des tentatives de suicide chez des patients qui n’en avaient jamais fait par exemple. Et je vois aussi pas mal de troubles anxiodépressifs chez la jeune femme qui télétravaille à la maison et doit gérer en plus les enfants, la maison, etc », relate le Dr Schmitt.

Il y a les personnes de plus de 80 ans qui ont mal vécu l’isolement. Je vois aussi pas mal de troubles anxiodépressifs chez la jeune femme qui télétravaille et doit gérer en plus les enfants, la maison…

Dr Yannick Schmitt, généraliste à Lingolsheim

Burn-out, dépression, troubles du sommeil, développement de phobies… les conséquences liées au confinement et au télétravail sont observées dans les cabinets de médecin générale. « On ressent une sidération ambiante et une incapacité à se projeter dans l’avenir qui créent un mal-être considérable. Certains ont des difficultés à repartir au travail et se cherchent des causes de vulnérabilité, d’autres ont peur de ressortir par peur du Covid. Il y a aussi des deuils mal vécus. Nos patients psy décompensent seulement maintenant car ils étaient dans un cocon sécurisant, et avec le déconfinement, ils se sentent déstabilisés », explique le Dr Catherine Arnold.

Dans ce contexte, les généralistes apprécient donc de pouvoir prendre le temps et de coter la consultation de déconfinement PCV à 46 euros. « Nous faisons ce boulot-là d’habitude, mais nous avons l’impression qu’on nous le reconnaît enfin », souligne le Dr Bayart. D’autant plus que les généralistes eux-mêmes sont « crevés et touchés émotionnellement ». « Nous avons aussi été percutés dans nos schémas, dans nos organisations. D’habitude, nos salles d’attente regorgent d’enfants, ça crie, ça rentre, ça sort ; là elles sont vides, les gens sont masqués… »

Intégrer l’expérience Covid à sa pratique

Si les généralistes ont donc à cœur de retrouver une certaine « normalité » dans leur cabinet, ils espèrent aussi que certains enseignements pourront survivre à la crise. « Une des leçons a été de constater notre dépendance aux appels des patients. Quand on se retrouve soudainement avec une salle d’attente vide, on se dit : "il y a un problème". Ce n’est pas toujours au patient de décider ce dont il a besoin et quand. C’est notre rôle de médecin de dire : "il faut venir car vous avez tel examen, tel vaccin à faire" », explique le Dr Bayart. Dans sa MSP, les professionnels ont donc décidé d’être proactifs, sur la vaccination des nourrissons notamment. Pendant la crise sanitaire, tous les profils des patients ont été passés en revue, et les parents appelés un par un pour venir faire les vaccins. Ce qui évite aujourd’hui un rattrapage massif.

Une des leçons a été de constater notre dépendance aux appels des patients. Ce n’est pas toujours au patient de décider ce dont il a besoin et quand. C’est notre rôle de médecin de dire : "il faut venir car vous avez tel examen, tel vaccin à faire"

Dr Margot Bayart, généraliste à Réalmont

La capacité des professionnels à se fédérer et s’organiser rapidement sur le terrain pendant l’épidémie servira aussi d’expérience positive à l’avenir. Au centre de santé de Champigny-sur-Marne, le Dr Villebrun a apprécié « l’esprit et la dynamique d’équipe renforcés » au sein de la structure pendant la crise sanitaire, mais aussi la coordination avec les autres professionnels en dehors. « Travailler dans les CPTS, avec nos collègues libéraux, avoir des moyens de communication, gérer l’afflux, a été un élément très positif. Aujourd’hui, nous nous connaissons mieux et cela nous amène à réfléchir à un système de coordination plus développé ».

Dossier réalisé par Amandine Le Blanc