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Dossier

Coordination

Les équipes de soins primaires pointent le bout de leur nez

Par Stéphane Lancelot - Publié le 04/12/2020
Les équipes de soins primaires pointent le bout de leur nez


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Issues de la loi de santé de Marisol Touraine en 2016, les équipes de soins primaires n’en sont qu’à leurs balbutiements. La faute à l’absence d’un cadre conventionnel et de rémunérations dédiées. Convaincu de l’intérêt de ce nouvel outil de coordination entre professionnels de santé, le gouvernement souhaite les voir se déployer. Mais avant cela, il lui faut convaincre les syndicats de médecins libéraux, qui déplorent une protocolisation excessive et l’insuffisance des moyens.

MSP, CPTS, PTA, ESP, soit maison de santé pluridisciplinaire, communauté professionnelle territoriale de santé, plateforme territoriale d’appui et équipe de soins primaires… Des noms si longs qu’on préfère bien souvent désigner ces structures par leur acronyme. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics misent sur la coordination des professionnels de santé sous toutes ses formes.

Ces toutes dernières années, les deux premiers types d’organisation se sont fait une place dans le paysage sanitaire français. La plateforme territoriale d’appui et l’équipe de soins primaires, en revanche, issues toutes deux de la loi de modernisation de la santé de Marisol Touraine de 2016, sont bien moins connues. Et si les CPTS ont, certes, fait l’objet d’un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) en 2019, le nombre de communautés en ordre de marche reste marginal : 73 sont en fonctionnement, dont 31 ont signé l’ACI.
Tout le travail reste donc à faire. Le gouvernement l’a reconnu lui-même à l’occasion du Ségur de la santé, cet été. Convaincus que le cap fixé par le plan « Ma Santé 2022 » pour développer la coordination entre les professionnels de santé – et par là même faire de l’exercice isolé des médecins l’exception – est le bon, les pouvoirs publics ont prié les partenaires conventionnels de mettre les bouchées doubles.

Une soixantaine d’ESP reconnues

Mais au juste, c’est quoi une ESP ? Plus de quatre ans après l’introduction de cette notion, seul le Code de santé publique la définit : « Une équipe de soins primaires est un ensemble de professionnels de santé constitué autour de médecins généralistes de premier recours, choisissant d’assurer leurs activités de soins de premier recours [...] sur la base d’un projet de santé qu’ils élaborent. Elle peut prendre la forme d’un centre de santé ou d’une maison de santé. »

Plus petit échelon de la coordination, les équipes de soins primaires ont vocation à améliorer la prise en charge des patients sur une ou plusieurs thématiques grâce à une communication améliorée entre les différents professionnels intervenant auprès d’eux. « Cela peut concerner des problèmes de santé publique ou liés à la localisation particulière dans laquelle se trouvent les professionnels engagés (…), il s’agit souvent de pathologies liées au diabète, aux pathologies chroniques, aux sujets âgés », indique le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le Dr Jean-Paul Ortiz. Ces équipes sont généralement composées du triptyque médecin traitant-infirmier-pharmacien, auxquels peuvent ensuite s’ajouter des kinés, des podologues, etc.

En l’absence de cadre conventionnel et de financement dédié, il n’existe pour l’heure qu’une soixantaine d’ESP réparties entre les régions Pays de la Loire (56 projets reconnus, cinq en attente de reconnaissance) et Centre Val-de-Loire (6 ESP reconnues, une dizaine d’autres en attente de reconnaissance ou en cours d’élaboration). « Certains diront qu’il y en a plein d’autres mais tant qu’elles ne sont pas formalisées, on ne peut pas les compter », précise le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Dans ces deux régions, une association a été créée afin d’aider les professionnels de santé dans leurs démarches et pour leur donner accès à des financements via le Fonds d’intervention régional de leurs ARS respectives (lire l’interview du Dr Teddy Bourdet).

« Ça améliore l’efficience et la qualité des soins »

Installée aux Clouzeaux (Vendée), petite commune située en périphérie de La Roche-sur-Yon, le Dr Élodie Cosset fait partie de la première équipe de soins primaires ayant signé avec l’ARS Pays de la Loire, en 2018. L’ESP de la généraliste regroupe l’intégralité des professionnels de santé du village : trois médecins généralistes, un pharmacien, deux kinés, deux infirmières et un podologue. Tous les mois, l’équipe organise une réunion au cours de laquelle les professionnels ciblent collégialement un thème pour lequel ils souhaitent améliorer leur pratique. « Pour les patients diabétiques, ça peut être le fait que nous, médecins généralistes, modifions notre façon de rédiger nos ordonnances afin que l’objectif d’hémoglobines glyquées soit indiqué et que tout le monde puisse échanger avec le patient sur cet objectif, que ce ne soit plus quelque chose qui reste entre le médecin et son patient », explique le Dr Cosset. Plus récemment, son ESP s’est intéressé aux lombalgies. « Le pharmacien est venu avec différents types de ceintures, a présenté ce qu’il pouvait faire, les kinés nous ont dit comment ils pouvaient prendre en charge les patients, et nous, médecins, leur avons dit ce qu’on attendait d’eux », relate-t-elle.

La prise en charge des patients est également meilleure grâce à la communication des professionnels entre eux, souligne le Dr Cosset. « Depuis que nous sommes en ESP, on communique entre nous et plus à travers les patients. Il y a moins de freins, de perte de temps. Les échanges sont plus riches, plus faciles. Et forcément, ça améliore l’efficience et la qualité des soins », estime-t-elle. Aux Clouzeaux, la communication est si bonne que des membres de l'ESP se sont inscrits ensemble à une course à pied organisée dans la commune.

Un point de blocage des négos interprofessionnelles

Le Dr Cosset n’a que de bonnes choses à dire au sujet de son implication dans une équipe de soins primaires. De leur côté, les syndicats de médecins libéraux semblent également convaincus de l’apport potentiel d’une meilleure coordination entre professionnels de santé locaux. « Les ESP favorisent la meilleure connaissance entre les professionnels et améliorent la prise en charge des populations concernées. Donc ça va dans le bon sens », confie le Dr Jean-Paul Ortiz. « C’est un levier très important pour améliorer la qualité des soins », abonde son homologue de MG France, Jacques Battistoni.

D’où l’intérêt d’un appui conventionnel. Car sans financement, les ESP resteront au point mort. « Si je devais encourager un confrère, je ne mettrais pas en avant l’aspect financier en premier. Ce que m’a apporté mon engagement dans une ESP va bien au-delà de ça, confie le Dr Cosset. Pour autant, l’aspect financier est vital pour que le sujet avance. »

C’est ici que les choses se compliquent. Car les syndicats et l’Assurance maladie ne sont pour l’heure d’accord ni sur la forme que doivent prendre les ESP, ni sur la manière de les financer.

Début novembre, la Caisse a formulé de premières propositions aux syndicats de soignants, afin de « sortir d’un débat théorique ». La Cnam a soumis une liste de missions que pourraient remplir les ESP (telles que le maintien à domicile des personnes âgées, la prévention des hospitalisations et l’accompagnement des sorties précoces d’hospitalisation, la prise en charge des personnes à haut risque d’iatrogénie) et une rémunération à hauteur de 20 euros par patient dans la limite de 20 % de la patientèle du médecin traitant.

Avec cette solution, « une ESP suivant une patientèle de 300 patients percevrait une rémunération de 6 000 euros par an », a fait valoir l’Assurance maladie.

Une protocolisation jugée excessive

Ces premières pistes ne conviennent absolument pas aux médecins libéraux, qui appellent de leurs vœux un système plus informel et simple. « La Caisse propose toujours d’imposer aux professionnels de santé libéraux voulant former une équipe de soins de rédiger des protocoles, puis d’adhérer à une association gestionnaire de leur rémunération forfaitaire », déplorait ainsi mi-novembre en conférence de presse le Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML).

La Fédération des médecins de France (FMF) peste également contre la lourdeur administrative supplémentaire que représente la rédaction d’un projet de santé, nécessaire à la mise en action d’une ESP. « On y arrive plus, on fait de la médecine, pas de l’administratif. Plus on complexifie l’administratif, moins il nous reste de temps à faire de la médecine », regrette la présidente du syndicat, le Dr Corinne Le Sauder.

Thomas Fatome avait souligné début novembre que la nécessité de rédiger un projet de santé figurait dans la loi. « Notre proposition se veut la plus simple possible en matière d’écriture du projet de santé et de réalisation puisque ce projet a simplement vocation à être déposé auprès de l’ARS et de la Cpam, il ne s’agit pas de faire de formalisme excessif là-dessus », s’était-il défendu. Soulignant que les discussions sur les ESP étaient loin d’être finies, le DG de l’Assurance maladie devait évoquer à nouveau le sujet fin novembre. Un groupe de travail avait été nommé pour avancer sur la question. Mais la dernière séance de négociation de l’ACI CPTS a été annulée. Et n’avait pas été reprogrammée au moment de rédiger ces lignes. « Des bruits de couloir disent que c’est en raison des divergences majeures au sujet des ESP et des ESS (équipes de soins spécialisés) », soufflait au Généraliste un syndicaliste, au lendemain de cette annulation.

Dossier réalisé par Stéphane Lancelot