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Santé des femmes

Les facteurs de risques au féminin

Publié le 18/05/2018
Les facteurs de risques au féminin

Dossier santé des femmes
PICT RIDER/ADOBE STOCK

Pourquoi certaines pathologies sont-elles plus fréquentes chez les femmes ? Comment expliquer leur “vulnérabilité” ou au contraire leur “résistance” face à certains facteurs de risque ? Notre dossier fait le tour de nombreux symptômes et affections, allant à l’encontre de certains a priori. Cela concerne les maladies cardiovasculaires, plus à risque chez les femmes que les hommes, et les affections ostéo-articulaires, plus fréquentes côté féminin mais généralement moins bien prises en charge. Le sujet est complexe, mêlant paramètres physiopathologiques mais aussi socioculturels.

Que sait-on au juste des différences entre la santé des hommes et des femmes ? Sans parler des quelques spécificités anatomiques et physiologiques évidentes propres à ces dames, de nombreux paramètres qui différencient les deux sexes restent méconnus. Côté féminin, la prévalence des pathologies, leurs facteurs de risque sont trop souvent sous-estimés, ou sous-évalués, voire ignorés. Complexe, le sujet n’est pas uniquement médical, mais aussi sociétal et culturel. Avec des conséquences parfois majeures.

Première cause de mortalité

En France, depuis 2004, les tumeurs constituent la première cause de mortalité (BEH, 07/06/2011). Si du côté masculin, le cancer est la principale origine des décès, côté féminin, les maladies cardiovasculaires arrivent en tête depuis l’an 2000. Et contrairement à ce que l’on pensait et lisait il y a encore quelques années, la gent féminine n’est pas particulièrement protégée contre les maladies cardiovasculaires. En 2018, cette réalité reste inchangée, comme l’explique le Dr Éric Drahi, médecin généraliste qui animait une session sur les risques cardiovasculaires au dernier Congrès de médecine générale en avril dernier : « la mortalité cardiovasculaire tend à diminuer davantage chez les hommes que chez les femmes ». Et de préciser : « Les femmes ont davantage d’AVC que les hommes, mais moins d’infarctus du myocarde. » Le BEH du 24 avril indiquait que, chez les femmes, la prise en charge thérapeutique de l’HTA s’est récemment dégradée (lire page ci-contre).

Les accidents vasculaires cérébraux peuvent être liés à des facteurs de risque spécifiques aux femmes, comme une hypertension artérielle survenant durant la grossesse qui implique plus tard le risque d’AVC. Mais d’autres paramètres interviennent, comme des différences de prise en charge de l’accident cérébral chez les femmes, avec des délais plus longs pour arriver à l’hôpital, et un diagnostic moins vite établi. Les raisons ne sont pas totalement connues, mais des facteurs socioculturels pourraient être impliqués (Nature Reviews Neurology, 2017).
 

LE POIDS DES FACTEURS ÉCONOMIQUES

D’après un rapport de la Drees (2013) sur la santé des femmes en France, « la plupart des indicateurs des inégalités de santé suivent la hiérarchie sociale, notamment l’espérance de vie ». Cela concerne aussi certaines pathologies. Les femmes n’ayant pas le bac ont deux fois plus de risque de souffrir d’un surpoids ou d’une obésité que celles étant au moins bac +3. Cependant, les inégalités entre les femmes sont moins marquées que chez les hommes, « et l’espérance de vie d’une femme ouvrière est supérieure à celle d’un homme cadre, illustrant l’importance des inégalités selon le sexe ». En 2014, le ministère de la Santé alertait sur le fait que « les femmes ont un taux de renoncement aux soins pour raison financière plus important ». Les disparités sociales s’observent particulièrement en matière de santé génésique et pour le suivi des grossesses.

La vulnérabilité au tabac

La mortalité cardiovasculaire diminue moins du côté féminin, principalement à cause du tabagisme. Les femmes fument presque autant que les hommes (OFDT, juin 2017). D’un point de vue épidémiologique, cela explique en grande partie pourquoi la réduction de la mortalité prématurée concerne plus les hommes (-23 %) que les femmes (-15 %) sur la période 2000-2013. Autre répercussion de la cigarette, l’incidence du cancer du poumon augmente chez ces dernières, au point que la mortalité qui lui est imputable est sur le point de dépasser celle par cancer du sein.

En outre, les effets du tabac ne sont pas les mêmes selon le sexe. La BPCO en est une illustration avérée. À niveau égal d’obstruction bronchique, chez une femme, les symptômes surviennent plus tôt et sont majorés (plus de toux, dyspnée et expectorations). Les complications sont aussi plus sévères (Observational study BMC Women’s health 2014). D’après Santé publique France et la Drees, chez les femmes, le taux d’hospitalisation pour exacerbation de la BPCO a augmenté de 136 % entre 2000 et 2014. Parmi les explications avancées, on retrouve un ralentissement de la croissance pulmonaire chez les jeunes filles fumeuses (dès 5 cigarettes/jour), une hyperréactivité bronchique et une sensibilité à l’inflammation systémique plus importantes, un calibre des bronches plus petit. Au total, les femmes atteintes sont plus jeunes que les hommes. Pour la Société de pneumologie de langue française, des études cliniques complémentaires s’imposent pour conforter les données sur la BPCO chez les femmes et mieux comprendre ses similitudes et différences entre les deux genres.

Des travaux ont aussi été conduits sur une autre bronchopneumopathie, l’asthme allergique, pour lequel on constate une certaine disparité homme/femme sur sa prévalence. Avant l’âge de 10 ans, cette affection est plus fréquente chez les garçons. La tendance s’inverse à la puberté pour demeurer à l’âge adulte, les femmes risquant de développer plus souvent des formes sévères de la maladie. Ces données épidémiologiques ont donné lieu à un travail sur les liens entre le système immunitaire et les hormones sexuelles. Ainsi a-t-il été montré que la testostérone est capable d’inhiber in vitro le développement de cellules productrices des médiateurs impliqués dans l’asthme allergique, cellules lymphoïdes innées de type 2 (ILC2). Des arguments concernant les liens entre les androgènes et les ILC2 ont été apportés sur des modèles animaux (The journal of Experimental Medicine, 2017). D’autres travaux seront nécessaires pour vérifier et analyser ces spécificités. Si des paramètres biologiques peuvent être rattachés à une spécificité féminine de certaines pathologies, d’autres fois les facteurs impliqués sont de nature très différente.
 

CORRIGER LES A PRIORI

« Les maladies CV concernent davantage les hommes, et les pathologies osseuses impactent beaucoup plus les femmes » : ce type d’a priori biaise notre approche de beaucoup de maladies. Au final, l’infarctus du myocarde serait sous-diagnostiqué chez les femmes car « trop » considéré comme maladie « masculine » (Gender Change in Academia, 2010). L’inverse est observé pour l’ostéoporose, où dans les pays occidentaux elle serait sous-diagnostiquée côté masculin. Même si les risques sont plus importants chez les femmes, la maladie évolue moins favorablement chez les hommes. Tous ces constats ont conduit l’Inserm, le CNRS et l’université Paris Diderot à co-produire six courtes vidéos pour le grand public et les scientifiques – « Genre et santé : attention aux clichés ! » – sur différents symptômes et pathologies, pour aider chacun à sortir des a priori socioculturels. On y rappelle que 56 % des femmes meurent de maladies cardiovasculaires, contre 46 % des hommes.

Des facteurs culturels et sociaux

Pour certaines affections psychiatriques comme l’anxiété ou la dépression, on comprend que des facteurs culturels, sociaux mais aussi économiques puissent peser sur la prévalence des maladies et leur prise en charge. Et ces paramètres peuvent diverger selon le genre. Ainsi, d’après l’enquête Anadep 2005, la prévalence d’un « épisode dépressif majeur au cours des 12 derniers mois apparaît deux à trois fois plus importante chez les femmes (7,1 %) que chez les hommes (2,7 %) ». Parmi les facteurs de risque avancés : « Le célibat, le divorce, le veuvage et (...) vivre seule (...) [sont fortement associés à] la survenue d’un EDM ». Mais attention aux schémas stéréotypés.

En effet, une dépression ne s’exprime pas toujours de la même façon entre un homme et une femme. Côté masculin, les troubles se manifestent davantage par une irritabilité, une agressivité, des comportements à risque, alors que côté femmes par une tristesse, des pleurs, etc. Résultat, la dépression tend à être sous-diagnostiquée côté masculin, indiquent Muriel Salle, maîtresse de conférences en histoire à l’université Claude-Bernard Lyon 1, et Catherine Vidal, neurobiologiste et co-responsable du groupe « Genre et recherche en santé » du comité d’éthique de l’Inserm, dans leur ouvrage « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? » (Belin, 2017). Au final, il n’y a qu’un pas pour estimer que le syndrome dépressif est l’apanage du sexe dit “faible” (comme on le qualifiait il y a peu). En fait, beaucoup de travaux ont montré combien les codes socioculturels peuvent influencer l’expression des symptômes, mais aussi leur perception (lire l'entretien p17).

TROIS QUESTIONS À CATHERINE VIDAL* « Il n’y a pas que les hormones ! »

Pourquoi est-ce difficile d’évaluer les différences entre la santé des femmes et des hommes ?

Catherine Vidal. Le sujet est complexe, car beaucoup de paramètres interviennent. En plus des facteurs biologiques spécifiques liés au sexe, les contextes culturels, sociaux et économiques doivent être pris en compte. Par exemple, l’expression des symptômes et le recours aux soins sont différents selon les représentations sociales liées au genre masculin ou féminin. Il est important de prendre en compte l’articulation entre sexe et genre. Ce n’est pas parce que l’on observe des différences à l’échelle microscopique (génétique, moléculaire, cellulaire) que l’on explique les inégalités à l’échelle des individus dont l’état de santé s’intègre dans une histoire et un environnement donné.

Nous aurions donc parfois une approche biaisée ?

C.V. Les recherches biomédicales sont parfois liées à des courants de pensée, voire des “modes”. Le rôle des hormones est trop souvent considéré comme un déterminant majeur des différences de santé entre les sexes. Ainsi, on a longtemps pensé que les hormones protégeaient les femmes des maladies cardiovasculaires. Cette vision est difficile à concilier avec le fait que les traitements substitutifs hormonaux favorisent la survenue de problèmes cardiovasculaires. Autre exemple, celui de l’ostéoporose considérée à tort comme une maladie de femmes ménopausées. Or, les hommes en souffrent aussi. Cela incite à formuler des nouvelles hypothèses de recherche sur les pathologies cardiovasculaires et osseuses, au-delà du “tout” hormonal.

Quel est l’impact de la société dans les inégalités de santé entre les sexes ?

C.V. Les représentations culturelles et sociales liées au genre ont un rôle avéré dans les inégalités de santé entre les femmes et les hommes. À cela s’ajoute le contexte économique, avec en particulier les situations de grande précarité propres à la population féminine. L’ensemble de ces facteurs conduit à des discriminations dans l’accès au soin et dans la prise en charge médicale. Il s’agit d’un problème important de santé publique, dont le comité d’éthique de l’Inserm a souhaité s’emparer.

* Neurobiologiste, co-responsable du groupe « Genre et recherche en santé » du comité d’éthique de l’Inserm. Directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur

 

Dr Nicolas Evrard