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Dossier

Organisations professionnelles

Les maisons de santé pluriprofessionnelles ont le vent en poupe

Publié le 14/11/2022
Les maisons de santé pluriprofessionnelles ont le vent en poupe


GARO/ PHANIE

L’avenant signé avec l’Assurance maladie sur les MSP le 4 mars 2022 entre en application à la mi-décembre. De nouvelles dotations leur sont proposées, en contrepartie d’engagements en matière de permanence des soins et d’objectifs de prévention. Ce type de structure séduit de plus en plus les médecins – et d’autres professions de santé –, notamment dans les régions sous-denses en offre de soins.

Les MSP (maisons de santé pluriprofessionnelles) sont-elles une des bonnes réponses aux mutations profondes de la profession de médecin généraliste ? Ces structures permettent de travailler ensemble, au sein d’une équipe associant des médecins, des infirmiers, des pharmaciens, des masseurs-kinésithérapeutes ou d’autres professions médicales ou paramédicales, tout en continuant à exercer en libéral. Ce mode d’exercice séduit de plus en plus de professionnels de santé. Les MSP sont cofinancées par l’Assurance maladie et des collectivités territoriales. Il s’agit d’une approche différente de celle des centres de santé (CDS) qui, eux, font appel à des médecins ou paramédicaux salariés, payés directement par des collectivités locales ou des organismes mutualistes.

Une accélération du nombre de créations

« On a créé 150 MSP au cours des six derniers mois. Le mouvement s’accélère vraiment », s’enthousiasme le Dr Pascal Gendry, président du syndicat AvecSanté, porte-voix des MSP. Actuellement, 2 150 maisons de santé en France regroupent plus de 30 000 professionnels. « Mais ce n’est qu’un début. Ce mouvement va s’amplifier et on peut penser que, dans dix ans, une majorité de médecins généralistes exercera dans une maison de santé », estime-t-il.

La raison de son optimisme ? « Les mentalités évoluent. Les jeunes professionnels plébiscitent cette formule. Ils estiment normal de travailler en équipe, ne veulent plus exercer de façon isolée », ajoute le Dr Gendry. Une étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) réalisée entre janvier et avril 2022 le confirme : les moins de 50 ans sont 24 % à y exercer contre 12 % des 60 ans et plus. Au total, un généraliste sur six travaille dans une MSP.

L’invention des MSP a une quinzaine d’années. Elles sont apparues dans le code de la santé publique en 2007. Leur acte de naissance stipule ainsi : « Les professionnels de santé exerçant en MSP doivent notamment élaborer un projet de santé qui, transmis aux agences régionales de santé (ARS), atteste de l’exercice coordonné ». Mais les débuts sont poussifs, avec seulement 20 MSP en 2008, en raison de procédures lourdes et de critères qui varient d’une ARS à l’autre. « Au départ, cela pouvait prendre quatre à cinq ans pour qu’un dossier soit finalisé. Aujourd’hui, cela va beaucoup plus vite », constate le Dr Pascal Gendry. Tout naturellement, elles se sont surtout développées en zones rurales ou semi-rurales. « Dans ces territoires peu denses, il est plus facile de sensibiliser les élus et les pouvoirs publics pour avoir des appuis financiers. Mais on se rend compte maintenant qu’il existe aussi une demande de la population pour des MSP dans des agglomérations moyennes ou grandes, c’est une vraie piste de développement. On attend beaucoup de la mise en place du nouvel avenant pour accélérer les choses », précise-t-il. Des structures de ce type se sont ouvertes dans des grandes villes, par exemple à Paris, plutôt dans les quartiers populaires, comme la MSP Ménilmontant et la MSP Paris Lilas.

Ce que change le nouvel avenant

Le principe de la MSP reste inchangé. En contrepartie d’un financement de l’Assurance maladie, les professionnels de santé qui la composent s’engagent à remplir un certain nombre de tâches, définies par les pouvoirs publics. Il s’agit d’un modèle « régulé ». L’objectif est de tenir compte de la crise du Covid, qui a révélé des manquements sur le terrain, pour faire face aux besoins de santé de la population, et de façon plus générale de permettre concrètement une amélioration de la prévention. Le financement se fait sous forme de « points fixes » ou « variables », le point étant valorisé à 7 euros.

> Réponse aux crises sanitaires 100 points fixes (quelle que soit la situation sanitaire) pour la rédaction d’un plan de préparation et ses mises à jour. 350 points variables en cas de survenue d’une crise sanitaire grave caractérisée par l’ARS avec, par exemple, une adaptation de la structure pour faciliter la prise en charge des patients « fragiles ».

> Soins non programmés 200 points fixes si tous les médecins de la MSP s’engagent dans un dispositif SAS ou si la MSP prend en charge toutes les sollicitations du régulateur du SAS. 100 points fixes si 50 % des médecins sont dans ce cas.

> Aide à l’embauche d’infirmier en pratique avancée 200 points fixes pour la réalisation de deux missions dès lors que la structure intègre un infirmier en pratique avancée (IPA). Aide jusqu’à 17 000 euros la première année, et 10 000 euros la deuxième année, pour l’embauche d’un IPA.

> Dotation en fonction d’indicateurs et de la patientèle 1 000 points fixes pour une structure ayant atteint des indicateurs (horaires d’ouverture et soins de coordination, système d’information au niveau standard, missions de prévention en santé publique) et dotation variable en fonction de la patientèle : 1 700 points variables jusqu’à 8 000 patients, 1 100 points variables au-delà de 8 000 patients. Ainsi, précise l’avenant, « une structure ayant atteint l’indicateur et ayant une patientèle de 10 000 patients bénéficiera de la rémunération suivante : 4 950 points x 7 euros, soit 34 650 euros ».

Créer du lien entre professionnels

Sur le terrain, les retours sont bons. Pascal Chauvet, infirmier, qui exerce en Charente-Maritime, sur le territoire de Saintonge, travaille au sein d’une MSP qui regroupe quinze professionnels (dont trois médecins, cinq infirmiers, trois pharmaciens, une psychologue). « Le principal intérêt est de disposer de davantage de temps de concertation avec les équipes, et de pouvoir être rémunéré pour faire de la prévention et du dépistage. Par exemple, nous avons mené des actions de type “mieux manger, mieux bouger” auprès des écoliers du primaire et du secondaire, ainsi que des actions de sensibilisation auprès des jeunes pour réduire leur temps passé devant les écrans », ajoute-t-il. Il apprécie aussi « le bâtiment commun, qui crée du lien ». Et ce n’est pas un détail. « Il ne faut jamais oublier l’importance de la machine à café dans les organisations humaines. Elle permet de se dire entre collègues : “ah, ce matin j’ai vu madame X, elle n’est pas en forme, il faudrait faire particulièrement attention à elle ces jours-ci” », ajoute-t-il. Ces MSP présentent aussi un autre intérêt pour les infirmiers : « Ils peuvent mettre en pratique leur formation en prévention, ce qui n’est pas toujours rémunéré ailleurs », observe Pascal Chauvet.

Pour accompagner leur essor, ces maisons de santé pluripro ont pu bénéficier du soutien des associations de patients, réunies dans le collectif France Assos Santé. Gérard Raymond, son président, a cosigné en novembre 2021, avec Pascal Gendry, le président d’AvecSanté, un « manifeste pour refonder les soins primaires » qui mettait les pieds dans le plat en soulignant qu’à cette date, « seuls six millions de patients (pouvaient) bénéficier d’une offre pluri­professionnelle » et en appelant les pouvoirs publics à « impulser le changement ». Ils n’y ménageaient pas leurs critiques vis-à-vis de certains syndicats de médecins : « Le développement des MSP, qui dépend de négociations nationales, est aujourd’hui tributaire d’intérêts monoprofessionnels, éloignés des préoccupations actuelles autour du travail d’équipe et de la participation des usagers ». Le sous-titre du manifeste était à la limite de la provocation vis-à-vis de leurs confrères qui exercent seuls, en cabinet de ville : « passer de l’exercice solitaire à l’exercice solidaire ».

Une tendance accélérée par l’avenant ?

Les pouvoirs publics et une majorité de syndicats leur ont donné en partie raison. Après de longs mois de négociations a été signé, le 4 mars 2022, un avenant 1 à l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) relatif aux structures de santé pluriprofessionnelles, qui datait d’avril 2017. Le texte, publié au Journal officiel début août, a été signé entre l’Assurance maladie d’une part et 27 syndicats représentatifs (soit une majorité sur les 47 syndicats représentatifs) d’autre part. Parmi lesquels MG France, la CSMF, la Fédération des médecins de France. Sa mise en œuvre est effective à la mi-décembre 2022, selon le Dr Gendry.

Ses principales nouveautés sont de renforcer le montant des dotations financières versées par l’Assurance maladie aux maisons de santé pluriprofessionnelles, en fonction des engagements que les équipes prennent en matière de santé publique et d’organisation des soins (voir encadré p. 12). Par exemple, la dotation pour « l’embauche d’un infirmier en pratique avancée » sur deux ans peut aller jusqu’à 27 000 euros. D’autre part, un certain nombre de « points » sont attribués aux MSP si elles s’engagent à faire un suivi très complet de leur patientèle en prévention, que ce soit en termes, notamment, de diabète, d’insuffisance cardiaque ou d’obésité infantile. Mais surtout, ses membres doivent répondre aux impératifs de régulation des soins, exigées par les ARS. C’est sur les modalités de cet accord que la négociation a mis du temps à se finaliser.

Le président de la section généraliste-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, travaille lui-même dans une MSP. « Je suis cogérant du pôle santé libéral de Mayenne. Elle regroupe 106 professionnels de santé dont 18 médecins généralistes, 8 radiologues, plus de 40 infirmiers, un dermatologue, des pharmaciens, des diététiciens, un podologue. C’est très adapté aux besoins des patients, dans une zone sous-dense au niveau médical, mais cela nécessite d’avoir des financements importants des pouvoirs publics car les charges sont importantes en termes administratifs et de mise en place de système d’information ».

La permanence des soins en contrepartie

Le Dr Duquesnel constate toutefois que cette organisation génère des contraintes en termes de permanence des soins : « Nous avons eu des négociations assez difficiles avec l’Assurance maladie. Nous n’étions pas d’accord avec une première version du texte qui disait que, pour percevoir les dotations, l’ensemble des médecins de la MSP devait participer aux démarches d’accès aux soins. Dans l’avenant signé, il est finalement mentionné qu’une maison de santé pluriprofessionnelle pourra percevoir des dotations sans que l’ensemble des médecins participent à ces démarches ». Le texte adopté acte que la structure doit s’organiser pour que « l’ensemble » ou « au moins 50 % des médecins participent au dispositif d’accès aux soins défini par la convention médicale ». Et la MSP doit « prendre en charge toutes les sollicitations du régulateur de l’accès aux soins ». En contrepartie, l’Assurance maladie attribue 200 points fixes (soit 14 000 euros) à la MSP « si l’ensemble des médecins s’engagent dans le dispositif d’accès aux soins » et 100 points fixes (soit 7 000 euros) « si 50 % des médecins s’engagent dans le dispositif ». Les MSP sont donc dans une logique de « bon élève » du parcours de soins. Les pouvoirs publics veulent ainsi s’assurer que les médecins sont bien présents en cas de nécessité, si le régulateur a besoin d’eux.

Une démarche qui est saluée par Marguerite Cazeneuve, directrice générale adjointe de l’Assurance maladie : « Les maisons de santé pluriprofessionnelles représentent un très bon modèle. Cet avenant permet de les aider davantage sur le plan financier en contrepartie d’engagements de leur part, par exemple sur la qualité de soins ou l’implication des usagers. Elles structurent l’offre de soins sur les territoires et favorisent la collaboration entre professionnels de santé. Nous encourageons leur développement. Elles correspondent à l’air du temps, s’inscrivent dans une logique de meilleur parcours de soins et participent à une bonne politique de santé publique ». Leur rôle dans la mise en place d’une politique de prévention en santé publique est mis en avant. « L’avenant propose par exemple un financement dédié pour la mise en place d’un parcours de prévention de l’obésité chez l’enfant et d’un parcours de soins sur l’insuffisance cardiaque. On a encore une dynamique possible pour qu’il se crée de plus en plus de MSP dans les territoires », ajoute Marguerite Cazeneuve. La progression est déjà là : 7,2 millions de patients ont franchi les portes de ces structures en 2021, contre 4,5 millions en 2019.

Ce « modèle » est-il pour autant la panacée ? Pas forcément, mais il présente des avantages indéniables, comme de faire cohabiter dans une même entité différentes spécialités médicales ou paramédicales – mais pas toujours sous un même toit, car une MSP peut regrouper plusieurs professionnels travaillant dans des lieux différents. La seule obligation est de faire partie d’une seule et même SISA (société interprofessionnelle de soins ambulatoires), la structure juridique qui reçoit les dotations de l’Assurance maladie. Différents professionnels peuvent en faire partie, dont des pharmaciens. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, est signataire de l’avenant. « Les MSP ne sont pas la forme d’exercice privilégiée des pharmaciens. Mais quelques milliers d’entre eux en font partie, dans les villages notamment. C’est un atout. Dans les vallées un peu isolées, c’est un plus de se regrouper avec d’autres professionnels. Mais je ne suis pas sûr que ce soit un modèle adapté à des villes de 50 000 habitants ou plus. Dans ce cas de figure, la concurrence est plus importante et ce n’est pas forcément ce modèle qui va permettre au professionnel de s’en sortir sur le plan économique », estime-t-il.

94 millions d’euros versés en 2021

D’autres médecins formulent des critiques sur les MSP en critiquant leur « assistanat ». C’est le cas du Dr Jean-Paul Hamon, président honoraire de la Fédération des médecins de France, qui a pourtant signé l’avenant : « On a signé mais ce n’est pas un blanc-seing. Les maisons de santé pluriprofessionnelles ont un coût important en personnel administratif, pour faire tourner la structure. Elles ne vivent que grâce aux subventions ! ». Une critique à peine voilée d’une médecine « administrée » qui ferait injure à la médecine libérale pure et dure. Il défend un autre modèle : « Nous sommes plutôt favorables à des groupes mono­disciplinaires qui travaillent entre eux : par exemple les médecins avec les infirmiers, sans regrouper toutes sortes d’activités sous le même toit. De cette façon, j’ai l’impression que nous sommes plus efficaces ».

Dans les faits, le montant moyen de la rémunération forfaitaire versée par l’Assurance maladie aux MSP « est de 61 000 euros » selon le rapport Organisation territoriale et réforme du financement des soins de l’Assurance maladie (avril 2022). Ce rapport note que « 72 % de l’ensemble des MSP sont signataires de l’ACI ». 1 548 MSP ont contractualisé avec l’Assurance maladie en 2021, pour un montant global de 94 millions d’euros. Même si tous les modèles peuvent cohabiter, dans ce paysage médical en pleine transformation, il est évident que ces, en groupe et aidées par l’Assurance maladie, sont amenées à se développer fortement avec l’arrivée de nouvelles générations de médecins. Le nouvel avenant permettra-t-il de consolider ces structures et de tendre vers un modèle économique pérenne ?

Marc Payet

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