Soucieux de concilier vie professionnelle et convictions écologiques, certains médecins généralistes décident d’adopter une pratique plus écoresponsable au quotidien. Qui sont-ils ? Quel a été leur déclic ? Quelles sont leurs motivations ? Comment leur pratique a-t-elle évolué et pour quels écogestes ont-ils opté ? Le Généraliste a recueilli leurs témoignages.
En France, le secteur de la santé serait à l’origine de l’émission de plus de 46 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit près de 8 % du total national des émissions de gaz à effet de serre (GES), d’après le quatrième rapport du Shift Project, « Décarboner la santé pour soigner durablement », publié en 2021.
Une première estimation intéressante mais « incomplète », souligne le Dr Alice Baras, chirurgien-dentiste mais aujourd’hui formatrice en santé environnementale, qui a participé à l’élaboration de ce rapport. « Ces chiffres ne prennent en compte que l’empreinte carbone du secteur de la santé. Il ne faut pas oublier qu’à côté, il y a aussi tous les risques environnementaux tels que la pollution de l’eau et de l’air ou encore l’épuisement des ressources ».
Des efforts sur le transport
Si, pour l’instant, le poids du secteur de la ville face à celui de l’hôpital n’a pas encore été mesuré en France, il y a fort à parier que le secteur libéral a, tout comme les hôpitaux, sa part à prendre dans cet effort de réduction des émissions de CO2. Conscients de cela, certains médecins de famille ont déjà décidé d’agir et d’opter pour une conduite plus écoresponsable. Pour le Dr Frédéric Tryniszewski, généraliste à Mulhouse et président de SOS Médecins 68, cela passe par l’utilisation quasi quotidienne, depuis maintenant six ans, d’une trottinette électrique pour ses déplacements « paramédicaux ».
« J’opte pour ce moyen de transport pour me rendre par exemple aux réunions organisées par la CPTS. En ce qui concerne mes activités syndicales à Paris et mes rendez-vous à l’ARS ou à la faculté de Strasbourg, je l’amène avec moi dans le train pour ensuite me déplacer avec ». Un bon moyen « d’être plus écolo » mais aussi de faire des économies. « Faire 120 km aller-retour pour me rendre à Strasbourg me coûte 25 euros en optant pour le train et la trottinette. Vu le prix des carburants actuellement, cela me conforte dans ma démarche », confesse-t-il.
Se déplacer en trottinette électrique présente toutefois des limites, admet le généraliste de SOS Médecins, contraint de prendre sa voiture pour les visites à domicile. « J’assure quotidiennement des visites dans un rayon de 10 km autour de Mulhouse. Utiliser la trottinette n’est alors malheureusement pas envisageable car je transporte beaucoup de matériel (oxygène, électrocardiogramme, etc.). »
Dans certains cas de figure, l’utilisation du deux-roues non motorisé s’envisage plus aisément, comme pour le Dr Valérie Duthil, médecin généraliste à Saint-Georges-d’Oléron, qui opte pour le vélo pour une partie de ses visites. « Il n’y a pas de contrainte particulière, assure-t-elle. Il suffit d’accrocher sa mallette à son porte-bagages à l’aide d’un tendeur. Il faut en revanche être libérée de toute contrainte d’urgence et s’assurer que quelqu’un d’autre est en mesure d’y répondre en cas de besoin. »
Entre les murs du cabinet
Outre les efforts liés aux transports, non négligeables car à l’origine d’une part très importante des émissions de GES du secteur de la santé (16 %), les généralistes agissent aussi dans leur cabinet. Le Dr Valérie Duthil, engagée dans une pratique écoresponsable depuis plusieurs années, a eu le déclic lorsqu’elle s’est aperçue de l’importance de la production des déchets médicaux en cabinet, en raison notamment de l’usage de plastique et de matériel à usage unique.
Apprendre à mieux trier, à optimiser l’utilisation des sacs-poubelles des déchets souillés, à diminuer sa consommation de papier fait donc partie intégrante de son quotidien. À titre d’exemple, elle a considérablement réduit l’usage du drap d’examen, composé de papier mais non recyclable car considéré comme un déchet souillé.
« On s’est rendu compte que l’on en utilisait des quantités considérables sans que ce soit justifié. Désormais, on utilise le drap lorsque le patient nécessite d’être déshabillé, pour un examen gynécologique par exemple. Sinon, on en met uniquement au niveau de la tête. Les patients comprennent très bien quand on leur explique ce changement », assure le Dr Valérie Duhtil. D’après le rapport du Shift Project sur la santé, les « déchets et services » sont tout de même à l’origine de 2 % des émissions de GES du secteur.
Désireuse d’aller plus loin dans sa démarche, la généraliste a aussi opté pour de nouveaux gestes à plus fort impact, notamment l’usage de l’écoprescription, qui consiste à prescrire moins et mieux alors que l’achat de médicaments occasionne le plus gros poste d’émissions de GES du secteur de la santé (33 %), devant l’achat de dispositifs médicaux (21 %), selon le rapport du Shift Project. « Concrètement, j’ai adapté les ordonnances en retirant ce qui n’était pas indispensable », relate-t-elle.
Pour le Dr Jean-Christophe Nogrette, généraliste installé à Feytiat (Haute-Vienne), également adepte du « nettoyage d’ordonnance », cette pratique a, en plus d’avoir des écobénéfices, un intérêt pour la santé des patients. « Dans certains médicaments, on trouve des parabens ou du dioxyde de titane. Ces produits sont soit des cancérigènes, soit des perturbateurs endocriniens connus pour être néfastes pour la santé », relate le médecin, qui préfère privilégier, quand il le peut, des alternatives non médicamenteuses.
Ce qui lui a mis la puce à l’oreille il y a quelques années ? L’incidence de cancers chez certains de ses patients pomiculteurs et de malformations génitales décelées chez plusieurs enfants liés à l’épandage de pesticides agricoles dans le Limousin. Depuis, le généraliste a à cœur de sensibiliser ses patients aux dangers que représente l’exposition aux pesticides et aux produits chimiques.
Le Dr Nogrette adhère au concept de santé planétaire, qui consiste à dire que la prise en charge des individus doit prendre en compte leur environnement global, qu’il soit familial, professionnel, social mais également lié aux écosystèmes et au climat. Il estime que « plus on limitera l’usage des ressources et préservera les écosystèmes, plus cela évitera d’entraîner des conséquences désastreuses sur la santé des populations ».
Un principe défendu aussi par le Dr Julie Zimmerman. Cette médecin généraliste remplaçante à mi-temps, aussi salariée dans un centre de santé à Lille, souhaite développer la « prescription de nature ». « L’ordonnance consiste à écrire des conseils tels qu’aller se balader en forêt en précisant la durée et la fréquence de la balade selon les patients », explique le Dr Julie Zimmerman.
Et si la prescription de nature « ne remplace en aucun cas certains médicaments », elle peut aider à améliorer certains symptômes de dépression, d’anxiété et même l’hypertension artérielle, assure la praticienne, qui prépare une thèse sur le sujet. D’ailleurs, selon elle, ces prescriptions peuvent « encourager les patients à faire de l’activité physique et à reprendre contact avec la nature pour finalement les sensibiliser aux problématiques environnementales ». Un double bénéfice, donc.
Aujourd’hui, la sensibilisation des professionnels de santé à ces enjeux semble être un phénomène qui prend de l’ampleur, notamment avec la nouvelle génération. Toutefois, la demande de formation demeure faible, selon Olivier Toma, à la tête de Primum non nocere, agence de coaching RSEE (responsabilité sociale et environnementale des entreprises) qui accompagne les professionnels de santé dans l’évolution de leurs pratiques : « Pour l’instant, nous enregistrons principalement des demandes de la part des établissements de santé mais très peu de la part des libéraux. Cela n’est toutefois pas étonnant car ils sont déjà débordés… »
Mais, selon lui, réduire l’impact du secteur de la santé sur l’environnement restera un vœu pieux « si les pouvoirs publics n’engagent pas des politiques à la hauteur des enjeux, à travers des lois et des réglementations en faveur de la préservation de l’environnement ».
Pour une formation des médecins généralistes à la hauteur des enjeux
Au regard du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, des pics de pollution et de l’émergence de risques sur la santé que ces changements impliquent, les généralistes vont être amenés à jouer un rôle central auprès des populations. En 2019, déjà, la World Organization of Family Doctors (WONCA) invitait « les médecins généralistes du monde entier à agir en faveur de la santé planétaire »*. L’organisation précisait : « Les médecins de famille, souvent identifiés comme étant une des sources d’information les plus fiables, ont la capacité de communiquer sur les défis planétaires en matière de santé. Ils sont aussi capables de promouvoir auprès de la population les stratégies à adopter pour préserver sa santé et celle de l’environnement ».
Malgré cet état de fait, les généralistes restent insuffisamment formés à cet enjeu. S’il existe bel et bien une offre de formation continue, celle-ci reste encore « confidentielle », estiment les auteurs du rapport du Shift Project sur la santé, publié en 2021. D’ailleurs, selon les auteurs, « aucune étude n’a été réalisée pour estimer le nombre de professionnels formés aux enjeux santé-climat parmi les plus de 1,9 million de professionnels de santé que compte la France ».
L’état des lieux n’est pas plus réjouissant sur le plan de la formation initiale. D’après une enquête parallèle, réalisée dans le cadre de ce rapport, sur plus de 3 300 étudiants en santé (dont plus de 50 % en médecine), le volume horaire total dédié aux enjeux environnementaux en santé représente seulement 0,4 % du volume horaire total d’enseignement des étudiants français. Pourtant, cette étude menée en 2021 par la rhumatologue Marine Sarfati a démontré que 84 % des étudiants interrogés estimaient que les enjeux climatiques devraient être enseignés durant les études en santé.
*La santé planétaire est un domaine médical fondé sur les preuves, centré sur la caractérisation des liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé. Son objectif est de développer et d’évaluer des solutions pour contribuer à un monde équitable, durable et sain, selon la définition du Collège de la médecine générale (CMG).