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E-santé

Les objets connectés labellisés arrivent

Publié le 24/11/2017
Les objets connectés labellisés arrivent

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Si une partie des médecins (la majorité ?) a encore tendance à classer les objets connectés dans la catégorie “gadgets”, un observateur attentif comme le Dr Guillaume Marchand, président cofondateur de dmd Santé, société spécialisée dans l’évaluation de la santé mobile, constate « une nouvelle dynamique chez les médecins » : « Il ne s’agit plus de pionniers, mais du deuxième cercle de curieux qui fourmillent d’idées d’applications pour la santé connectée », affirme-t-il. Toutes ne sont pas toujours réalistes, convient le Dr Marchand, qui voit passer les concepts sur la plateforme d’auto-évaluation gratuite de dmd Santé. Plus de 300 “éditeurs” lui ont soumis leurs projets. « Et parmi eux, de plus en plus de médecins. Un vrai mouvement de curiosité et d’intérêt. Y compris dans les hôpitaux et les ARS où la mentalité commence à changer. »

D’autant plus qu’arrive une génération de jeunes “smartphone natives”. Selon une récente enquête CLM en partenariat avec le magazine What’s up Doc, la moitié d’entre eux exprime un intérêt pour les objets connectés (glucomètre et tensiomètre principalement). Et l’on voit aussi des médecins qui n’hésitent plus à se lancer dans l’aventure (voir encadré). « Il est temps de faire prendre conscience aux confrères des risques et des avantages de la santé connectée », souligne le Dr Pierre Wolf, président de l’Union nationale des associations de formation médicale et d’évaluation continues (UNAFORMEC) Rhône-Alpes, qui organisait le 18 novembre à Lyon un salon des objets médicaux connectés. Une première.

Des craintes pour le secret médical

L’attribution d’un label officiel aidera-t-elle ce frémissement à se transformer en déferlante ? Tensiomètre, glucomètre, oxymètre de pouls, thermomètre, balance… les professionnels de santé les utilisent depuis longtemps. Mais le fait de les connecter avec des données conservées sur des serveurs distants suscite des appréhensions. Les principales craintes révélées par plusieurs enquêtes récentes (Baromètre Vidal-CNOM 2016, étude MACSF, « Baromètre 2017 du médecin connecté » par Medappcare) concernent le secret médical (40 %) lorsque les informations des patients sont dans le “cloud” avec la question de la responsabilité plus que la fiabilité des objets (27 %). Pour les praticiens, il est également clair que c’est au généraliste (ou au spécialiste) d’analyser les données (72 %).

La confiance n’est pas encore acquise (50/50) et plus de la moitié des médecins seraient enclins à prescrire ces objets à leur patient (10 % d’entre eux en auraient déjà proposé à des patients chroniques) sous réserve d’un label. Or, de l’avis général, les médecins ont un rôle clé à jouer pour recommander, voire prescrire, applications et objets connectés.

Un référentiel de 101 recommandations

La HAS s’est emparée du sujet en formant un groupe de travail de 25 personnes qui a travaillé pendant un an, de novembre 2015 à septembre 2016. Elle a publié un référentiel de 101 recommandations touchant à l’information du consommateur, aux aspects réglementaires, aux spécificités techniques, à la sécurité/fiabilité ainsi qu’à la valeur d’usage. Cette grille a été construite avec des professionnels de santé, des techniciens, des informaticiens. Avec l’idée que le marché s’en s’empare et s’y réfère pour proposer des produits simples à utiliser et ergonomiques, fiables et sûrs, permettant de communiquer et de récupérer les données. La HAS prépare pour début 2018 deux nouveaux documents d’information à l’intention du grand public et des professionnels de santé.

De son côté, le ministère de l’Économie, soucieux du développement du marché de la santé connectée, annoncé comme prometteur, a soutenu la constitution d’un groupe de travail (GT28) du Comité stratégique de la filière santé. Son rapport remis début janvier au ministre de la Santé préconisait la mise en œuvre rapide d’un référentiel de labellisation des objets connectés et des applications mobiles de santé. L’idée du label s’est donc imposée comme une des conditions de la confiance du public et des professionnels de santé. Elle a aussi remporté les suffrages d’Alliance eHealth France qui regroupe des industriels de la santé et du numérique.

Première labellisation d’objets en cours

Quelle forme prendra cette labellisation ? Le Dr Jacques Lucas, vice-président du CNOM et délégué général au numérique, soutient lui aussi la nécessité de créer un label public, construit à la fois avec des professionnels de santé, des usagers, le monde industriel et la HAS.

Les sociétés privées qui avaient joué les pionnières en la matière en lançant leur propre label pour les applications connectées, dmd Santé et Medappcare, sont sur les rangs et se sont mises en conformité avec les recommandations. « Nous avons eu un gros travail pour transformer les recommandations en critères et anticiper la réglementation européenne sur la protection des données privées. Nous sommes opérationnels depuis septembre », explique Gilles Braud, pharmacien, cofondateur en 2012 de Medappcare qui a attribué une trentaine de labels réunis sur le kiosque d’Ag2R La Mondiale. « Labelliser les objets est plus compliqué car les versions changent très souvent. Des ergonomes professionnels nous ont aidés à définir les critères pour être bien en phase avec les recommandations de la HAS. »

« Notre méthode existe depuis trois ans et nous respections déjà 97 des 101 critères, poursuit le Dr Marchand, la gestion des risques était juste un peu différente. Notre plateforme compte 60 applications, y compris pour les professionnels, labellisées mHealth Quality (www.mhealth-quality.eu/store.php), notre label à vocation européenne. Et nous avons démarré la labellisation d’objets connectés. » Ce n’est pas seulement une méthodologie pour vérifier la fiabilité des objets, leur sécurité et leur conformité réglementaire mais pour tester leur valeur d’usage, poursuit le patron de dmd Santé. « C’est plus long que pour les applications car il faut que les objets soient utilisés sur le terrain avec des vraies personnes », ajoute-t-il.

Spécialisé dans l’électronique médicale nouvelle génération, Visiomed est en effet le premier fabricant à se lancer dans le processus avec son application BewellConnect et sa gamme connectée : « Nous considérons que la labellisation crédibilise la démarche et est gage de qualité. Elle permet de générer de la confiance dans l’usage », explique Isabelle Cambreleng, directrice marketing, communication et digital chez Visiomed.

L’Europe s’en mêle aussi

« Le label, c’est un concept marketing qui dit à l’acheteur : vous pouvez y aller, c’est une bonne initiative », reprend Anne Boché, directrice du marketing et de la communication EMEA chez iHealth. Mais l’entreprise chinoise n’a encore rien prévu à ce sujet. Pour les industriels, il faut viser le marché européen et mettre aussi en avant le marquage CE médical des dispositifs médicaux et l’agrément “hébergeur” imposé en France pour le stockage des données santé.

Le référentiel européen qui va sortir en 2018 mettra l’accent sur le fait que toutes les données susceptibles de rentrer dans le dossier du patient doivent être fiables. Le label ne sera de toute façon pas la panacée. Parce que la technologie évolue très vite. Que les solutions connectées vont intégrer de plus en plus d’intelligence artificielle, avec des éléments d’analyse prédictive et des algorithmes de plus en plus puissants. Analyser l’intelligence artificielle n’est pas encore à la portée d’un label ! Le CNOM va justement publier avant la fin de l’année un nouveau livre blanc avec des recommandations sur l’éthique du traitement des données et l’usage des algorithmes en santé.