Jusqu’à il y a peu, le Dr Émilie Couderc pratiquait une médecine « plutôt agréable » dans une maison médicale, aux côtés notamment de deux autres omnipraticiens. Installée depuis dix ans à Perthes-en-Gâtinais (Seine-et-Marne), cette généraliste avait trouvé le « bon équilibre » dans son exercice, qui lui permettait d'être satisfaite de sa qualité de vie et de la qualité des soins dispensés à ses patients.
Fin novembre, le décès brutal du Dr Bruno Dognon, confrère avec qui elle n’était pas associée mais qui louait un local dans sa maison médicale, a bouleversé son exercice et sonné le début des ennuis. Au deuil d'un confrère qu'elle côtoyait chaque jour se sont ajoutées une multitude de difficultés. « Les problèmes apparaissent au fil de l’eau », confie le Dr Couderc au Généraliste.
Quid des 2 700 patients sans dossier ?
Premier problème, et non des moindres : que faire des dossiers patients de ce praticien, médecin traitant d'environ 2 700 personnes ? Peu de temps après sa mort, le Dr Couderc avait donc lancé un appel à l’aide sur Twitter pour savoir que faire de ceux-ci. Une initiative utile puisque grâce à ce tweet, la généraliste a appris que n'étant pas associée à ce confrère, elle n'avait « aucun droit » et donc « surtout pas intérêt » à toucher aux dossiers.
À ce jour, la question n'est toujours pas réglée. Si selon le Dr Couderc, l'Ordre départemental « a été présent et témoigné de la compassion », celui-ci n'a pas été en mesure de lui apporter une solution.
Déclenchée seulement la semaine passée, la procédure de succession fait de la compagne du Dr Dognon la propriétaire des dossiers patients. « Tant que la succession n'est pas faite, on peut dire que la patientèle a une valeur », explique Émilie Couderc. De fait, elle et sa consœur ne peuvent réadresser les patients du défunt vers d'autres médecins car sa compagne pourrait — très hypothétiquement — trouver une personne à qui revendre la patientèle. En attendant qu'une solution soit trouvée, les deux généralistes doivent composer avec les patients se rendant à la maison médicale pour récupérer leur dossier.
Une démographie en chute libre
Outre la question essentielle de l’avenir de ces dossiers et les coûts supplémentaires (un loyer en moins et des charges en plus) qu'a impliqués le décès de son confrère le Dr Couderc et ses confrères des alentours doivent également faire face à un afflux significatif de patients, orphelins de leur médecin traitant. Sur la dernière semaine de novembre, en raison d'un volume d'appels traités nettement supérieur à ses habitudes, le Dr Couderc a ainsi vu sa facture de télésecrétariat augmenter de 25 % ! « Nous (les médecins du secteur, ndlr) n’avons pas la capacité d’accepter ces patients, regrette le Dr Couderc. Nous n’avons pas de solution pour eux et nous sentons oppressés, c’est vraiment une situation difficile. »
Pour faire face à cette situation, un dispositif particulier a été mis en place dans la commune voisine de Saint-Fargeau-Ponthierry : les internes en Saspas prêtent main-forte en prenant en charge des pathologies aiguës et des renouvellements d'ordonnance. Émilie Couderc songe quant à elle de plus en plus à devenir maître de stage. « Cela fait un moment que j'y pense, assure-t-elle. Si ça se passe bien, quelqu’un aura peut-être envie de rester avec nous ».
Une pétition a également été lancée pour demander à l'ARS de revoir le zonage et ainsi passer le secteur en zone d'intervention prioritaire, ce qui permettrait aux jeunes médecins d'être éligibles à certaines aides financières. Car ces dernières années, la situation démographique du secteur s'est fortement dégradée. « Énormément de médecins sont partis à la retraite, et deux autres devraient le faire d'ici trois ou quatre ans, détaille le Dr Émilie Couderc. Et en moins de 18 mois, trois praticiens en activité sont décédés. » D'après un article paru dans La République de Seine-et-Marne, un changement de zonage n'est pas à l'ordre du jour.
La tentation du salariat
Pour l'heure, malgré plusieurs annonces postées pour trouver un remplaçant ou un collaborateur, la généraliste confie n'avoir « aucune touche ». Et l'optimisme n'est pas de mise. « Je ne crois pas qu'on trouvera quelqu'un », lâche ainsi le Dr Couderc.
« Après le mois qu’on vient de vivre, même si j’aime bien ma consœur et que je n'ai pas envie de partir, je regarde quand même les annonces pour des postes salariés, poursuit-elle. Et vu ce qui s'annonce pour la retraite et une possible augmentation des charges… ». Et la généraliste de conclure : « Notre métier est déjà assez compliqué. Là, cela devient trop dur. »
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