Lors de la troisième séance multilatérale de négociations, la Cnam a dévoilé son jeu de manière assez précise. Son directeur général, Thomas Fatôme, a proposé aux médecins un « accord global » autour de l’attractivité – dont la consultation à 30 euros sans calendrier – l’accès aux soins, la qualité et la pertinence des soins. L’Assurance-maladie revendique un « investissement massif », même si le flou demeure sur l’agenda des revalos et l’enveloppe finale. « Il y aura un accord sur tout, ou il n’y aura d’accord sur rien », a cadré le patron de la Cnam. Voici ce qu’il faut retenir à ce stade des propositions de l’Assurance-maladie.
G à 30 euros en étendard mais…
C’est la mesure tarifaire emblématique proposée pour espérer créer un effet de souffle : la consultation généraliste G (C + MMG) – hors téléconsultations – est revalorisée à 30 euros, sans que l’Assurance-maladie ne précise le calendrier de cette augmentation, pourtant une des clés du paquet final. La Cnam défend ici un « choc d’attractivité libérale » susceptible d’inciter les jeunes à s’installer. Autre incertitude, qui n’est pas neutre : le « périmètre » de la consultation qui bénéficiera du tarif à 30 euros (effecteurs, lieu, modalités d’exercice).
Second recours : l’APC à 60 euros
C’est le corollaire de la mesure précédente pour le second recours. L’avis ponctuel de consultant (APC), qui valorise l’expertise à la demande du médecin traitant, passe à 60 euros (au lieu de 56,50 euros). Même schéma de revalorisation pour l’APY des psychiatres ou neurologues. Lors des négos complémentaires, la question du périmètre des médecins concernés (secteur d’exercice) et de la fréquence de cotation sera étudiée.
Revalos ciblées pour les spécialités cliniques au bas de l’échelle
Pour les pédiatres, les consultations obligatoires avec certificat (COE) et sans certificat (COH) pour les moins de deux ans sont revalorisées respectivement à 60 euros (au lieu de 47,50 €) et à 50 euros (versus 38,50 €). La Cnam propose aussi une « consultation de recours » au pédiatre tarifée 60 euros sur adressage de la PMI, de la médecine scolaire ou d’une sage-femme. La Cnam affiche un tarif de 40 euros pour les 0-2 ans, 35 euros pour les 2-6 ans et inchangé au-delà de cet âge.
Pour les psychiatres, la mesure la plus forte est le passage de la consultation de référence (CNPsy et majorations associées) de 51,70 à 57 euros (+10 %). Au menu aussi, un seuil spécifique de téléconsultations en psychiatrie (40 % voire 50 % localement), une revalorisation de la pédo-psychiatrie (majoration pour les enfants à 10 euros contre 3 euros aujourd’hui) et des bonus sur certaines consultations de synthèse (MAF et MPF) qui passent de 20 à 25 euros. Quatre autres spécialités bénéficient d’avancées tarifaires sur leurs consultations ciblées : les gériatres, les praticiens MPR, les gynécologues médicaux et les endocrinologues.
Interrogé sur les critiques des spécialistes, Thomas Fatôme a défendu des mesures « très substantielles » pour les disciplines au bas de l’échelle des revenus. « La copie est injustement perçue comme insuffisamment ambitieuse », confie-t-il.
Cumul d’actes, nouvelles règles
Sur le modèle de la colposcopie (l’acte CCAM est majoré d’un supplément de 15 € pour valoriser le temps et le diagnostic), de nouvelles dérogations sont au menu en matière de cumul consultation + actes CCAM. Elles bénéficieraient aux endocrinologues, rhumatologues et MPR, gynécologues et MG.
CCAM technique, coût de la pratique : ça bouge enfin
La classification commune des actes techniques (CCAM) est en cours de refonte globale par le Haut conseil des nomenclatures (HCN). Mais sans attendre l’échéance prévue début 2025, la Cnam propose qu’un groupe de travail soit chargé de réévaluer le coût de la pratique « d’ici à la fin 2024 », un chantier réclamé de longue date par les spécialistes concernés.
Et sur les actes CCAM eux-mêmes, deux étapes sont envisagées : à court terme, un bonus de « 1 ct » sur le point travail médical sur toute la nomenclature ; et à moyen terme, une « enveloppe fermée » de revalorisation de cette CCAM technique (les crédits seraient débloqués après la fin des travaux du HCN).
Médecin traitant : forfait unique annuel individualisé, exit la Rosp et le forfait structure !
Les forfaits qui se sont empilés pour le MT ont conduit à une « rémunération un peu complexe », euphémise Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam. D’où la volonté de simplifier ce bloc de rémunération. Schématiquement, l’idée serait d’instaurer un forfait médecin traitant « unique calibré annuellement au titre de chaque patient », individualisé selon les caractéristiques de chaque patient suivi (indépendamment donc du niveau de consommation de soins et de l’activité du praticien). Parallèlement, le forfait structure et la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) du médecin traitant sont « supprimés ».
Selon le schéma proposé, le nouveau forfait comporterait un socle (part fixe) calibré comme le FPMT actuel selon la complexité du patient (âge, ALD, etc.) mais aussi une « part variable » (avec des bonus prévention cumulatifs de +5 euros/indicateur validé selon le niveau de réalisation des vaccins, dépistages et examens obligatoires). Diverses majorations significatives (10 à 30 %) complètent le dispositif (précarité, désert médical/ZIP, praticiens au-delà de 67 ans, jeunes installés). Chaque patient C2S (complémentaire santé solidaire) est comptabilisé.
« On bascule d’une logique par patientèle à une logique par patient », insiste le DG Thomas Fatôme. Chaque médecin traitant bénéficierait d’un tableau de bord nominatif affichant les indicateurs. Pour illustrer cette approche, la caisse fournit quatre exemples de patients dont le suivi annuel MT serait valorisé à « 15 euros » pour le plus « simple » à « 150 euros » pour le plus complexe, selon le profil.
Dotation resserrée à l’équipement et aux usages numériques
La Cnam remet ici tout à plat et supprime cinq indicateurs du forfait structure (horaires, codage, service aux patients, équipements, exercice coordonné) pour réaffecter la totalité de ces crédits sur le forfait médecin traitant (ci-dessus). Elle conserve à la place une dotation spécifique recentrée (équipement et usages numériques) composée de deux volets. Le premier (280 points) : être équipé d’un logiciel à jour (Ségur certifié, LAP, etc.), remplir un taux de FSE et atteindre des taux d’utilisation des principaux téléservices (AAT, protocoles de soins ALD). Le second volet (140 points) décline 7 indicateurs de 20 points chacun, comme l’usage de l’appli carte Vitale, l’alimentation du DMP ou encore l’usage du certificat ATMP en ligne.
Capitation intégrale possible en groupe : la petite révolution Macron
Sans doute la proposition la plus « disruptive » de la Cnam : la possibilité pour les médecins libéraux volontaires exerçant en groupe et en équipe d’être rémunérés sous une forme « intégralement forfaitaire ». Exit dans cette option le paiement à l’acte et la rémunération forfait médecin traitant. Les médecins ont ainsi le choix d’opter pour cette « capitation intégrale » en une fois, par patient suivi. Possibilité est offerte aussi de choisir la taille de la patientèle sur laquelle le dispositif s’applique (totalité, patients chroniques). Un cahier des charges devra permettre d’éviter « tout phénomène de financiarisation ».
Assistants médicaux : une aide boostée de 5%
Fin janvier, 6 000 contrats d’assistants médicaux avaient été signés. La Cnam veut accélérer la dynamique vers l’objectif 10 000 en assouplissant encore les modalités du dispositif. Premier point : la possibilité d’avoir un assistant médical additionnel (deuxième contrat) à mi-temps ou en équivalent temps plein pour les médecins ayant respecté leurs objectifs. Des aménagements d’objectifs sont prévus pour les généralistes âgés de plus de 67 ans et les primo-installés. La mutualisation des contrats d’assistants médicaux entre médecins pour les cabinets de groupe est aussi favorisée. Mais surtout, la Cnam propose d’augmenter de 5 % l’aide pérenne versée aux médecins (année 1, 2 et suivantes). Par exemple, la prime à l’emploi temps plein d’un assistant médical passerait, la première année, de 36 000 euros à 38 000 euros (et de 18 000 à 19 000 pour ½ ETP).
Accès aux soins : des engagements collectifs mais mesurables
Contrepartie aux revalorisations, des engagements collectifs chiffrés sont fixés sur la période de la convention. La Cnam veut par exemple stabiliser la part de patients ALD sans médecin traitant au « seuil frictionnel » de 2 % dès 2025 ; augmenter le nombre de primo-installés en médecine générale au rythme de +5 % par an ; les effectifs de médecins installés dans les zones sous-dotées devront progresser de 7 % par an. Le nombre annuel moyen de consultations et d’actes cliniques doit, lui, être maintenu a au moins 5 000 par an. Quant à la patientèle médecin traitant moyenne d’un généraliste, la caisse souhaite qu’elle puisse augmenter de 2 % chaque année. Une progression identique de la file active moyenne est attendue.
Côté tarifs, l’adhésion des praticiens à l’option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam) doit croître de 5 % par an. Enfin, la caisse exige 100 % du territoire couvert par la PDS-A et le SAS.
En route vers les équipes de soins spécialisés
Pour favoriser l’expertise de second recours, la Cnam débloque des crédits en direction des équipes de soins spécialisés (ESS). Via un crédit d’amorçage de 40 000 euros dès l’acceptation de la lettre d’intention simplifiée, pour rédiger le projet de santé. Et une dotation annuelle (à partir de la première année), comprise entre 50 000 euros et 100 000 euros en fonction du nombre de professionnels de santé. Des compléments pourront être obtenus en regard des missions optionnelles acceptées.
Pertinence et qualité des soins : des IJ aux produits de santé, les travaux d’Hercule
La Cnam propose aux syndicats de définir ensemble une quinzaine de programmes/objectifs collectifs de pertinence et de qualité des soins, à fort enjeux de santé publique, en s’appuyant sur des référentiels de bonnes pratiques. La sobriété des prescriptions de médicaments afin de réduire leur impact carbone est aussi au menu.
Sont cités, entre autres, la diminution de la consommation d’antibiotiques (-10% dès 2025), la diminution du nombre de patients polymédiqués (-20%), l’accompagnement des prescriptions dans les ITR (pour atteindre 100 % de prescriptions conformes), les biosimilaires (objectif 80 % de pénétration) ou encore le renforcement du respect de l’ordonnancier bizone. L’imagerie, les actes infirmiers, les transports sanitaires ou les examens de biologie feront l’objet d’engagements communs de pertinence.
Les IJ ne sont pas oubliées. Avec une assiette de 16 milliards d’euros, la caisse entend ralentir l’évolution de la dépense de 2 % par an en agissant auprès des employeurs, des assurés et des prescripteurs. « Une logique gagnant-gagnant », explique Marguerite Cazeneuve.
Un compromis dès mars ?
Les partenaires conventionnels débattront de ce projet global à l’occasion de nouvelles bilatérales. En attendant la prochaine plénière prévue pour la première quinzaine de mars. « En espérant qu’on ne soit pas très loin de l’atterrissage », veut croire le DG de la Cnam, qui ne fixe toutefois aucune date butoir.
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