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Dossier

Que vaut la nouvelle convention ?

Par Loan Tranthimy et François Petty - Publié le 14/06/2024
Que vaut la nouvelle convention ?

La CSMF, MG France, le SML, la FMF et Avenir Spé-Le Bloc ont signé,le mardi 4 juin, la nouvelle feuille de route conventionnelle avec la Cnam
Anton Karliner / Phanie

Le « vote de raison » de cinq syndicats représentatifs de médecins libéraux sur six a validé la nouvelle convention pour cinq ans. Décryptage d’un contrat qui divise.

Le pacte conventionnel qui liera pour cinq ans les praticiens libéraux à l’Assurance-maladie a certes obtenu un large accord sur le papier – seule l’UFML-S l’a rejeté – mais les signataires eux-mêmes (CSMF, MG France, SML, FMF, Avenir Spé-Le Bloc) ont souligné les insuffisances de ce compromis, souvent paraphé du bout du stylo. Si généralistes comme spécialistes soulignent que ce contrat à 1,6 milliard d’euros pour la Cnam est perfectible, la comparaison avec le règlement arbitral en vigueur tourne nettement à l’avantage de ce nouvel accord. Où est le bon grain ? Où est l’ivraie ? Analyse.

Pourquoi c’est (beaucoup) mieux que le règlement arbitral

Sans accord, le règlement arbitral minimaliste en vigueur – rédigé en février 2023 – aurait continué de s’appliquer jusqu’en 2028, sans possibilité de revalorisations ni d’avenants tarifaires, dont l’un très attendu par les spécialistes pour réévaluer la classification commune des actes médicaux (CCAM). Impensable pour les syndicats, qui ont assumé leurs paraphes « de raison » en gardant en tête que le pouvoir d’achat médical était largement écorné par l’inflation. « Chacun doit mesurer la différence entre un accord sur la table et pas d’accord du tout », avait mis en garde le DG de la Cnam, Thomas Fatôme, qui a été entendu sur ce point.

Calendrier convention 2024

Sans attendre, la nouvelle feuille de route conventionnelle apporte son lot d’avancées sur le plan des honoraires (lire page 11), la Cnam ayant mis au pot 900 millions de plus que pour le règlement arbitral (700 millions) afin de financer, dès décembre, le paquet tarifaire programmant le G à 30 euros (vs 26,50 euros) et l’avis ponctuel de consultant (APC) à 60 euros (vs 56,50 euros). L’accord acte des revalorisations ciblées pour plusieurs spécialités cliniques en perte d’attractivité, instaure une première consultation longue du médecin traitant à 60 euros dans trois situations chronophages pour les patients de plus de 80 ans et apporte un soutien global, à terme, de 500 millions d’euros pour valoriser les actes techniques. Le contrat simplifie et valorise le forfait médecin traitant (FMT) en supprimant la Rosp si décriée par les syndicats, améliore la subvention pérenne allouée au dispositif des assistants médicaux (+ 5 %) et dope les aides à l’installation en zones fragiles. Plusieurs missions spécifiques sont valorisées (maîtres de stage, SAS, collaboration avec un IPA). « On constate des avancées, sans contraintes supplémentaires », synthétise le Dr Franck Devulder, patron de la CSMF (lire aussi page 12), qui assume avoir mis « un pied dans la porte d’une ère nouvelle ».

Un contrat à 1,6 milliard d’euros : pourquoi c’est insuffisant

Les syndicats rêvaient de leur « Ségur » de la médecine de ville, un investissement massif qui se rapprocherait des 19 milliards d’euros dégagés à partir de 2020 pour l’hôpital. C’est un texte de compromis qu’ils ont signé, loin du « choc d’attractivité » réclamé par la profession. Dans sa lettre de cadrage initiale, Aurélien Rousseau avait fait du maintien des médecins libéraux en activité et de l’incitation à l’installation ses priorités absolues. Pas sûr que cet objectif soit atteint. Certes, en injectant 1,6 milliard d’euros – une enveloppe en hausse de 50 % par rapport à la convention 2016 –, la Cnam revendique à juste titre un effort « historique ».

L’accord est perçu par les syndicats comme un « rattrapage » de l’inflation et d’années, parfois de décennies, de gel tarifaire

 

Mais l’accord est perçu par les syndicats comme un « rattrapage » de l’inflation et d’années (parfois de décennies) de gel tarifaire. L’effet « saupoudrage » de certaines mesures alimente tout autant les critiques. L’UFML-S, qui a rejeté le texte, étrille une convention « sans vision, et sans ambition », la « volonté d’asphyxier le secteur 2 » ou encore l’absence de garanties de progressions tarifaires de la CCAM. Pour le syndicat du Dr Jérôme Marty, la convention « caporalise » les médecins libéraux « aux exercices fléchés, encadrés, mesurés, normés ».

Ce texte manque également d’ambition pour les jeunes. Si l’accord prévoit des bonifications pour les nouveaux installés, d’autres leviers sont absents, comme la qualité de vie au travail, la réduction des charges et l'accompagnement à l'installation. Et les remplaçants restent toujours exclus du conventionnement.

Faut-il craindre les engagements chiffrés de l’accord ?

Selon la règle des « droits et devoirs » chère à l’ancien ministre de la Santé François Braun, en contrepartie des investissements financiers, la convention acte des engagements sur l’accès et la pertinence des soins, avec des indicateurs mesurables. Mais ne voulant en aucun cas « rejouer le match » du contrat d’engagement territorial (CET) ayant conduit à l’échec en 2023, les objectifs chiffrés sont collectifs et non opposables individuellement. Bref, pas de tarifs conditionnels ou de lettres clés flottantes en perspective.

En revanche, dix indicateurs pour l’accès aux soins et quinze programmes de pertinence et qualité des soins sont prévus noir sur blanc : augmentation de 2 % par an de la patientèle médecin traitant, stabilisation de la part de patients en ALD sans médecin traitant au seuil frictionnel de 2 %, hausse de 7 % par an des installations dans les zones sous-dotées mais aussi ralentissement de l’évolution des jours d’arrêt de travail prescrits (2 % par an), moindre prescription d’antibiotiques (- 10 % dès 2025), etc. Le suivi sera effectué par deux observatoires qui, le cas échéant, proposeront des « mesures correctives ». Rien n’empêchera la Cnam d’intensifier ses campagnes de contrôle sur les plus prescripteurs ou de prévoir de nouveaux outils par avenant. En revanche, les résultats ne pourront pas conduire à la réduction des rémunérations individuelles.

Le début de la fin du paiement à l’acte ?

On est très loin de cette hypothèse, même si l’évolution du mode de rémunération en ville fait partie du deal. La part forfaitaire représente déjà 15 à 18 % de la rémunération globale du médecin et ne progressera pas significativement (en proportion) avec la nouvelle convention. De fait, le nouveau FMT fusionne l’ancien, le forfait structure et la Rosp, à hauteur de « 21 500 euros par an et par médecin traitant pour une patientèle de taille moyenne ». Ce n’est donc pas une révolution mais une clarification. L’investissement calibré sur les actes coûtera 750 millions d’euros à la Cnam, versus 175 millions d’euros pour les forfaits (le reste se répartissant sur les aides et subventions diverses).

Il demeure qu’un chapitre nouveau instaure un dispositif collectif de rémunération « intégralement forfaitaire » à expérimenter. Il permettra à une équipe volontaire (trois généralistes et un infirmier minimum) d'être rémunérée collectivement par un forfait substitutif à l'acte. Un cahier des charges (éligibilité, modalités de calcul, gestion) sera défini par les partenaires conventionnels, réponse au paiement par capitation (au patient) réclamé par Emmanuel Macron.

Des querelles syndicales réveillées ?

Le sort de ces négociations a en partie été suspendu à la décision des deux syndicats monocatégoriels – MG France et Avenir Spé-Le Bloc –, la Cnam prenant garde de ne froisser aucun des deux poids lourds. Ainsi, les modalités de cotation de l’APC à 60 euros ont réveillé des crispations historiques entre généralistes et spécialistes portant sur le respect du parcours de soins et le passage préalable par le médecin traitant, même si la Caisse a trouvé une voie de compromis (élargissement très limité, groupe de travail).

Mais au-delà de l’affaire de l’APC s’est exprimée une querelle de légitimité sur la représentativité « réelle » des spécialistes. Forte de sa prédominance dans ce collège (près de 40 % des voix), l’union Avenir Spé-Le Bloc a dénoncé l’« arrogance » des centrales polycatégorielles ayant revendiqué la signature de la convention sans attendre l’expression de toutes les spécialités… Un « signe de faiblesse », tacle le Dr Patrick Gasser, coprésident d’Avenir Spé, qui avait quitté la CSMF en 2020 pour fonder son syndicat dissident. La CSMF a eu beau jeu de répliquer que la convention n’avait même pas eu besoin du vote d’Avenir Spé puisque la majorité requise chez les spécialistes (avec le SML) était déjà acquise. Ambiance…

François Petty et Loan Tranthimy