De quoi parle-t-on lorsqu'on évoque les déserts médicaux ? Selon Joy Raynaud, docteure en géographie et en aménagement du territoire spécialisée dans l'accès aux soins, l'expression "désert médical" est souvent utilisée mais en réalité « des difficultés existent partout dans les territoires et de façon multidimensionnelle ». Et les cartes que la géographe a présentées à l'occasion du colloque du syndicat MG France, mercredi dernier, montrent en effet qu'aucun territoire n'est épargné. « On ne peut pas dire que la densité de médecins généralistes est en baisse uniquement dans le centre de la France. Le littoral français ne se porte pas bien non plus », analyse Joy Raynaud. Une carte présentant le taux d'évolution annuel de la densité des médecins généralistes entre 2006 et 2016 montre effectivement que les voyants sont au rouge sur les trois quarts des bassins de vie français, avec un taux d'évolution moyen de -1,4 % par an sur la décennie. La France aurait ainsi perdu environ 11 000 praticiens en dix ans :
En comparaison, l'évolution de la densité des infirmiers libéraux est positive sur la quasi-totalité du territoire, avec un fort taux d'évolution de +5,9 % par an France entière, toujours entre 2006 et 2016 :
La densité des kinésithérapeutes est pour sa part en évolution de +3,3 % par an sur la décennie, et est en évolution positive sur 77 % des bassins de vie de l'hexagone :
Depuis 2004, le nombre de généralistes en activité continue donc de baisser, alors que celui des paramédicaux progresse. Les données en densité sont encore plus parlantes. Depuis 2011, le nombre d'infirmiers pour 10 000 habitants a dépassé celui des généralistes. Et depuis l'écart se creuse, comme le montrent les graphiques suivants :
Le bon maillage des infirmiers libéraux sur le territoire par rapport à celui des médecins généralistes peut en partie s'expliquer par les contraintes existantes pour se conventionner chez ces paramédicaux. Un infirmier libéral ne peut en effet s'installer dans une zone déjà bien dotée qu'à la suite d'un départ d'un autre infirmier, parti en retraite par exemple. La même règle s'applique aux masseurs-kinésithérapeutes mais seulement depuis juillet 2019, date à laquelle l'avenant 5 de leur convention avec la Cnam est entré en vigueur, et ce malgré l'opposition de plusieurs syndicats de kinés.
Le stage obligatoire en cabinet rural inversera-t-il la tendance ?
On comprend toutefois mieux, avec ces cartes et données chiffrées, pourquoi le gouvernement souhaite développer les délégations vers les paramédicaux pour remédier au manque de médecins. Invité du colloque, Gilles Noël, édile de Varzy (Nièvre) et représentant de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), voit en ces chiffres une justification au conventionnement sélectif des généralistes et a rappelé son souhait que les internes de médecine générale réalisent un stage obligatoire de six mois en cabinet rural durant leur cursus. « Cette mesure, inscrite dans la loi de Santé, n'a toujours pas eu de décret d'application et nous déplorons que Mme Buzyn ne le signe pas », a-t-il signifié.
La baisse du nombre de généralistes installés en libéral depuis dix ans s'explique également par le fait que « de plus en plus de jeunes médecins privilégient le salariat (environ 63 % des nouveaux inscrits à l'Ordre) ou l'exercice mixte », poursuit la géographe Joy Raynaud. Une analyse qui a permis au patron de MG France Dr Jacques Battistoni de conclure qu'il était « prioritaire de redonner de l'attractivité à la médecine libérale », en offrant notamment « plus de moyens et une protection sociale équivalente au salariat ».
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