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De l’acte au forfait, les centres de santé au taquet

Par François Petty - Publié le 23/02/2024
De l’acte au forfait, les centres de santé au taquet

Consultation dans un centre de santé à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine
S. Toubon

Et si, en 2024, les planètes étaient alignées pour les centres de santé ? Dans l’attente d’un grand plan les concernant et forts des récentes déclarations d’Emmanuel Macron en faveur d’une dose accrue de capitation, sur le terrain, les grandes manœuvres de ces anciens dispensaires ont commencé. Non sans remous pour la médecine libérale.

Battre le fer tant qu’il est chaud. Depuis la tenue de leur 62e congrès début octobre, les annonces se succèdent en direction des centres de santé. L’ancienne ministre déléguée à la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, y avait annoncé la présentation, « dans le premier trimestre 2024 », d’un grand plan ad hoc pour ces structures porteuses de valeurs sociales, avocates de l'accès aux soins pour tous, qui pratiquent le tiers payant systématique et sont trop souvent réduites à leur image vieillotte de simples dispensaires. Pour ce faire, la ministre voulait s’appuyer sur un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur leurs modes de financement.

Toujours dans les tuyaux, ce travail suscite beaucoup d’attentes parmi les 8 000 médecins salariés des centres qui, comme leurs confrères libéraux, pratiquent le paiement à l’acte. Car c’est bien au niveau du modèle économique de ces structures que le bât blesse. L’urgence à dépoussiérer leur mode de fonctionnement est d’autant plus indispensable que les professionnels de santé eux-mêmes poussent pour changer la donne. « Il faut absolument comprendre que le mode d’exercice unique de la médecine générale à l’acte, en libéral, ne correspond plus ni aux besoins, ni à l’avenir du métier, affirme la Dr Julie Chastang, généraliste à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) et vice-présidente de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS). Je ne dis pas que tous les jeunes médecins veulent être salariés. Mais ceux qui ne sont pas tentés par le libéral n’ont pas de cadre d’exercice où évoluer autrement. »

Le tiers payant, force et faiblesse

Les recettes des centres de santé reposent sur trois postes principaux, explique la présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS, gestionnaires), la Dr Hélène Colombani. Le paiement à l’acte lié à l’activité de soins apporte 80 % des financements. La Cnam verse également une enveloppe aux adhérents de l’accord national, qui s’engagent en retour à réaliser un certain nombre de missions de prévention et de coordination (à la manière de l’ACI des maisons de santé libérales). Cette somme représente entre 15 et 25 % des recettes. Enfin, les pouvoirs publics compensent des charges sociales très lourdes par « une prise en charge très partielle », regrette la Dr Colombani. De fait, les recettes générées par les actes de soins sont quasi intégralement absorbées par les dépenses de personnels. Force et faiblesse des centres, le tiers payant, dont la gestion complexe réclame un surplus d’employés administratifs, finit de plomber leurs finances. Trois sur quatre sont déficitaires.

À l’arrivée, pour Hélène Colombani et ses troupes, la création d’un forfait annuel par patient pour une prise en charge globale constitue la seule solution viable, du fait même du mécanisme inhérent au paiement à l’acte qui rémunère au même niveau la prise en charge d’une angine que la consultation d’un patient polypathologique.

On sent encore que les pouvoirs publics nous snobent

Dr Hélène Colombani, présidente de la FNCS

Sur ce dernier point, une récente étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé sur un nouveau mode de rémunération collectif alternatif au paiement à l’acte apporte de l’eau au moulin de la généraliste de Nanterre. L’expérimentation, dénommée Peps (pour paiement en équipe de professionnels de santé) a été lancée en 2018. Quinze maisons de santé libérales et onze centres de santé se sont joints à l’expérience. Cinq ans plus tard, on ne comptait plus que trois maisons participatives alors que les centres de soins primaires étaient, quant à eux, passés à 16 structures. Pour eux, le paiement au forfait a fait ses preuves. « L’expérimentation a permis d’allonger le temps de consultation des médecins de 15 à 20 minutes », lit-on dans l’étude. Ce qui a permis de stabiliser l’état de santé des populations, souvent précaires, pour qu’elles consultent moins. En outre, les centres associatifs expérimentateurs, majoritairement situés en quartiers prioritaires de la politique de la ville – « dont 86 % ne disposaient d’aucune structure de soins de premier cours en 2019 » – ont rapidement fidélisé leur patientèle.

Pas en manque de Peps

Ces résultats probants ont conduit la Cnam, dans le cadre des actuelles négociations conventionnelles, à proposer aux médecins libéraux exerçant en groupe d’adopter un mécanisme similaire. Deux options étaient mises sur la table. Une capitation sur l’ensemble de leur patientèle ou seulement sur une partie de celle-ci. Tollé unanime des syndicats. Mais les centres, eux, sont preneurs et y voient une solution aux déserts médicaux et au nombre croissant de patients sans accès aux soins.

La prévention est en train de crever toute seule en silo

Dr Julie Chastang, généraliste à Champigny-sur-Marne (94)

« Aujourd’hui, quand un patient vient consulter, il déclare le centre de santé comme médecin traitant. Le changement de paradigme, c’est tout cela », insiste la Dr Chastang. La prévention est en train de crever toute seule en silo, la santé scolaire avec des chaises vides, la PMI qui n’a plus de soignants… et dans un autre silo, on a la médecine de premier recours dans lequel on n’a pensé que le privé. C’est historique. Depuis Debré, les médecins généralistes sont libéraux. » Pour autant, la généraliste ne veut « en aucun cas opposer le centre de santé au médecin libéral ». Reste que les récents propos d’Emmanuel Macron en faveur de la rémunération des médecins au « patient plutôt qu’à l’acte » a manifestement insufflé une énergie nouvelle aux tenants de cet aspect de la médecine salariée. Ils demandent aujourd’hui « l’ouverture immédiate du paiement aux forfaits aux centres volontaires » ainsi que « l’extension du forfait aux autres spécialistes de santé (spécialistes, sages-femmes, kinés, etc.), pas seulement aux généralistes et infirmières ». Des exigences qui interviennent alors même que l’actuelle convention des centres, qui régit leurs rapports avec l’Assurance-maladie, arrive à son terme cette année, ouvrant la porte à de nouvelles négociations en 2025. « On sent encore que les pouvoirs publics nous snobent. On représente un mode d’exercice qui n’est pas dans leur logiciel », relève Hélène Colombani, déterminée à faire bouger les lignes.

Un engouement qui ne faiblit pas

Fin 2022, l’Observatoire des centres de santé recense 1 119 centres médicaux et polyvalents contre 957 en 2021, soit une augmentation de 17 % en un an. En tout, la France compte 3 144 centres, dont 2 875 structures adhérentes de l’accord national, qui régit leurs relations avec l’Assurance-maladie.

Dossier réalisé par François Petty