En Corse, les pharmaciens testent la prise en charge directe des petits maux, les médecins sont chagrins

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Publié le 06/08/2024
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Une expérimentation donne l’autorisation aux pharmaciens de trente officines corses de soigner six pathologies courantes. Objectif ? Répondre à la pénurie médicale et désengorger les urgences, prises d’assaut en été. Testée dans d’autres régions, cette idée plaît moyennement aux médecins de l’île de Beauté.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Alors que la période estivale est souvent synonyme de pénurie médicale, les pharmaciens corses restent cet été à pied d’œuvre pour répondre aux besoins de la population et ainsi déjouer les pronostics.

À la faveur d’une expérimentation baptisée Osys (Orientation dans le système de soins), inaugurée en janvier à la suite d’un appel à candidatures auquel l’URPS Pharmaciens Corse a répondu, certaines officines de l’île de Beauté peuvent prendre en charge six pathologies courantes pour lesquelles les professionnels ont été formés.

Trente pharmacies mobilisées dans toute la Corse

Les pathologies concernées sont les « plaies simples, brûlures de premier degré, piqûres de tiques, conjonctivites, cystites ainsi que les maux de gorge », lit-on sur le site de l’URPS Pharmaciens Corse. En temps normal, ces types d’affections peuvent être traités par des officinaux mais seulement à titre dérogatoire.

Avec cette expérimentation financée au titre de l’article 51, la prise en charge pour ces six pathologies classiques entre dans le champ conventionnel. L’usager peut ainsi « se rendre dans l’une des trente pharmacies expérimentatrices en Corse pour un entretien sans reste à charge par un pharmacien spécialement formé » qui s’occupera d’évaluer la situation, de conseiller le patient et de l’orienter si besoin vers le médecin ou les urgences.

Pour les cystites et les angines, le protocole de coopération autorise aussi le pharmacien à délivrer, si nécessaire, des antibiotiques, sous réserve qu’un test ait été réalisé et qu’il soit positif.

La prescription d’antibiotiques autorisée, les médecins furieux

Dans tous les cas, le professionnel de santé d’officine doit informer le médecin traitant « du suivi de l’entretien, des résultats du questionnaire et de l’orientation (…) proposée », lit-on.

« Osys permet de détecter sans attendre une situation à risque, d’avoir accès à un professionnel de santé dans un délai raisonnable, de soulager rapidement le patient et d’éviter un passage inutile aux urgences, détaille Pierre Albano, coordinateur du projet et pharmacien à Calenzana. Pour le moment, les résultats sont encourageants car les retours patients sont positifs. »

Ce n’est pas du tout l’opinion du Dr Matthieu Piazza, généraliste à Sainte-Lucie de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), qui estime que cette mesure ne garantit pas une sécurité suffisante pour les patients.

« Les pharmaciens ne sont absolument pas formés à prescrire ou non des antibiotiques ! Ils ne savent pas faire tout simplement car ça ne rentre pas dans leur champ de compétences, peste-t-il. En ce qui concerne la cystite, ils vont se planter une fois sur deux en prescrivant du Monuril, sauf que, dans de nombreux cas, cet antibiotique ne fonctionne pas et, ça, on peut uniquement le savoir si un dépistage par bandelette urinaire a été réalisé, pointe-t-il. Malheureusement, les pharmaciens ne le savent pas et n’y ont presque jamais recours… »

L’omnipraticien insiste : « Les quelques retours de confrères médecins que j’ai eus sont très négatifs. Il y a beaucoup de bêtises qui sont faites ; de mauvaises prescriptions ou des prescriptions abusives, s’agace-t-il. D’un côté, c’est normal, comme ils ne savent pas faire, ils ne prennent pas de risques, mais la conséquence, c’est qu’ils mettent tout le monde sous antibio ! ».

Un premier test concluant en Bretagne

Sur le papier, l’objectif affiché de cette expérimentation, celui de « libérer du temps » aux médecins, de désengorger les urgences et « d’apporter une réponse dans les situations où l’accès à un médecin généraliste est difficile », notamment dans certaines zones stratégiques*, est pourtant louable. Une évaluation du dispositif permettrait de tirer de premières leçons de cette expérimentation.

En Bretagne, le dispositif lancé à l'automne 2021, dont l’URPS Médecins libéraux Bretagne est partie prenante, semble porter ses fruits dans les 74 pharmacies tests. « Nous avons des remontées positives de la part des confrères, affirmait en mai 2022 le Dr Cédric Fabre, généraliste, secrétaire général adjoint de l'URPS Médecins libéraux Bretagne dans un article du Quotidien. Nous devons relancer le binôme médecin-pharmacien grâce à une meilleure circulation de l'information », s’enthousiasmait-il encore.

En janvier, l’expérimentation Osys a été étendue, en plus de la Corse, à l’Occitanie et au Centre-Val de Loire, région où les médecins de terrain se sont montrés plus que réservés sur le sujet. « On s'interroge sur le sens de cette expérimentation », confiait le Dr Alice Perrain, déléguée générale de MG France et vice-présidente de l’URPS Centre-Val de Loire.

Avant une éventuelle généralisation, le dispositif devra donc faire ses preuves pour être accepté par les professionnels de santé concernés.

*Les officines retenues dans l’expérimentation se situent sur des zones urbaines en tension médicale, des zones rurales avec faible accessibilité aux soins ou encore des zones littorales avec suractivité en haute saison. La liste des pharmacies sélectionnées est disponible sur le site de l’URPS Pharmaciens Corse.


Source : lequotidiendumedecin.fr