L’anatomocytopathologie (ACP) s’engage dans une transition verte. Le dernier congrès Carrefour Pathologie en a été une caisse de résonance avec la présentation d’une étude sur l’empreinte carbone du passage au 100 % numérique des laboratoires de pathologie.
Dans son rôle de modératrice, la Dr Lucie Gaillot-Durand (Hospices Civils de Lyon) a posé l’enjeu de cette session médico-technique en s’appuyant sur le rapport de mai 2021 « Impact environnemental du numérique en santé » : « La sobriété numérique ne signifie pas renoncer aux services rendus par le numérique mais consiste à̀ les rendre plus sobres en matière d’impact environnemental ».
Ce travail a été mené par le collectif Transformation écologique en ACP (TEAP), qui a été créé avec le soutien de la Société française de pathologie (SFP) dans le sillage d’une enquête nationale en 2022 auprès des médecins et techniciens en ACP. Énergie, sobriété numérique, « low tech » sont au programme, avec des publications, en particulier sur l’empreinte carbone des techniques d’un laboratoire d’ACP (1), et la place de l’écologie dans la recherche en ACP (2). Autre exemple, une thèse a également questionné la pertinence de 10 techniques complémentaires effectuées systématiquement, quels que soient les renseignements cliniques. « Sept des 10 techniques ont été supprimées définitivement (sans conséquence sur la qualité du diagnostic), tout en améliorant l’impact économique (-22 000 euros/an), écologique (réduction de l’énergie et des réactifs) et social (recentrage des personnels médicaux et techniques sur leur travail), autrement dit les trois piliers du développement durable », pointe la Dr Anne Rullier (CHU de Bordeaux).
Penser « Sobriété »
La numérisation en ACP prend de l’ampleur. Réaliser un diagnostic fiable sur des lames virtuelles est à présent validé dans le cadre d’un premier ou second avis. Partager et échanger des lames numériques en routine ouvre ainsi la voie à la télé-expertise (second avis) ou pour répondre aux besoins d’un laboratoire multisite. L’usage à des fins d’enseignement et de recherche est appliqué depuis plus de dix ans. Les lames numériques alimentent des bases de données pour le développement d’algorithmes d’IA d’aide au diagnostic ou de prédiction (pronostic, réponse à un traitement, mutation…).
Ainsi, en France, la récente enquête nationale Anap/CNPath (2e trimestre 2022), à laquelle 64 des 250 laboratoires contactés ont répondu (73 % publics), révèle que 64 % des laboratoires non équipés souhaitent le faire à court terme, les freins invoqués étant le manque de moyens et d’infrastructures informatiques. Pour les 42 % qui ont déjà franchi le pas, bien que tous soient satisfaits de leur système de numérisation, l’utilisation en routine est encore faible (45 % numérisent seulement 10 lames/jour) et pour 31 % la principale difficulté réside dans la qualité de la lame numérisée (liée aux techniques pré-analytiques). La majorité des laboratoires stocke les données en local.
Quantifier l’impact carbone
Accompagné d’ingénieurs spécialisés en développement durable et de l’Agence du numérique en santé, le Dr Cyprien Tilmant (groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille) s’est lancé dans un travail original et inédit : quantifier l’impact carbone du passage au 100 % numérique de tous les laboratoires d’ACP de France.
Six étapes sont passées au crible : production de lames, scanners, transport des données, stockage, système de gestion des images, poste de travail (au laboratoire ou au domicile, en télétravail).
La quantification de la première étape donne le ton : une lame = 1,5 Go, 28 932 624 lames par an équivalent à 43 400 téraoctets. Vertigineux !
Bien que l’analyse en cycle de vie (ACV) du matériel fasse souvent défaut, l’étude démasque les coûts environnementaux et explique l’engagement de la discipline dans une réflexion sur ses pratiques professionnelles et environnementales.
Des pistes d’amélioration apparaissent, centrées sur la rationalisation de l’usage « au juste besoin » avec des spécificités à chaque étape. Par exemple, pour le stockage : en réduire la durée sauf pour une sélection des lames d’intérêt, éviter la duplication des données, choisir de stocker en France, en data centers ou en clouds éco-conçus, augmenter la durée de vie des équipements, etc. Et tout en sachant qu’en matière de numérique, il n’y a pas que le carbone. L’épuisement des ressources (métaux, terres rares…), la consommation d’eau (fabrication et refroidissement), l’impact social (coût humain lié à l’extraction des matières premières) doivent être également pris en compte.
(1) A. Trecourt et al., Ann Diagn Pathol, décembre 2023:67:152210.
(2) M. Chicaud et al., Annales de pathologie, décembre 2023. doi.org/10.1016/j.annpat.2023.09.006
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