« 2023 est une année record pour l’Assurance-maladie », s’est félicité le 28 mars Thomas Fatôme, le directeur général de l’Assurance-maladie (Cnam) face à la presse évoquant « un changement d’échelle » dans la lutte contre la fraude. Le 7 avril, le patron de la Cnam renchérit sur TF1 en abordant la chasse aux abus en matière d’IJ. « Les médecins qui prescrivent deux à trois fois plus d’arrêts que leurs collègues sont des sur-prescripteurs. Leurs malades ne sont pas plus malades, ni plus précaires ».
Ces propos ont fait réagir de nombreux médecins. C’est le cas du Dr Dominique Tribillac, généraliste 70 ans, qui exerce depuis 35 ans dans un quartier défavorisé de Dieppe. En mars 2023, sa caisse primaire lui reproche de délivrer « trois fois plus » de jours d’arrêt de travail par patient que la moyenne de ses confrères. D’abord sous le coup d’une mise sous objectifs (MSO), l’Assurance-maladie lui demande alors de réduire de 20 % ses prescriptions pendant quatre mois. Le généraliste s’y refuse, déclenchant alors une procédure de mise sous accord préalable (MSAP). Une décision jugée à l’époque jugé infantilisante, avait-il confié au Quotidien.
À deux mois de la retraite
Les propos du DG de la Cnam sur le contrôle des arrêts de travail et le ciblage des généralistes sur-prescripteurs le convainquent aujourd’hui « de remettre les pendules à l'heure » parce que, juge-t-il, « on ne dit pas n'importe quoi ! » « Je ne vais pas laisser ma langue dans ma poche dans les semaines à venir, c’est certain ! », avance le généraliste joint ce lundi par Le Quotidien.
À deux mois de la retraite, il se déclare « particulièrement bien placé » pour affronter la Sécu. « Personne ne pourra jamais prendre contre moi des mesures de rétorsion puisque je suis à la retraite quand je veux. Cela permet une certaine liberté alors que tous les autres médecins sont obligés de faire profil bas », détaille le médecin de famille.
Il est impossible de critiquer le référentiel qui donne l’impression d’être écrit par Dieu le Père
Dr Dominique Tribillac
Le Dr Dominique Tribillac a donc décidé de « faire de la résistance ». Il envisage de se « remettre dans l’illégalité » à compter de ce lundi 22 avril, quitte à contourner le contrôle préalable de ses prescriptions et à avancer lui-même des indemnités journalières à ses patients, directement et sur ses propres derniers.
Son courroux est alimenté par l’incapacité de la caisse de produire des arguments médicaux solides pour contester ses prescriptions d’arrêts de travail. Ses appels et lettres pour alerter sur ce point sont restés sans réponses. « Je m'adresse à un mur administratif. C’est insupportable », tempête-t-il. S’ajoute à cela la réception d’un mémoire des avocats de la partie adverse avec des arguments… administratifs à ses yeux. « Il est impossible de critiquer le référentiel qui donne l’impression d’être écrit par Dieu le Père. Ni de donner mes arguments quant à la réalité de ma pratique due au quartier défavorisé où j’exerce. »
Selon le médecin, l’Assurance-maladie part du principe que la précarité de la patientèle est homogène, quelle que soit la taille de la commune, alors que « cela n’est jamais le cas dans les grandes communes », avec parfois une très grande variabilité des niveaux de revenus entre quartiers proches. C’est le cas de son bassin de vie, où vivent un grand nombre de personnes particulièrement précaires et vulnérables, explique-t-il.
Lanceur d’alerte ?
Dans ce contexte, le Dr Tribillac a réclamé le statut de lanceur d’alerte depuis décembre auprès du Défenseur des Droits, statut qui lui tient à cœur. « Il offre de grandes possibilités dont une, essentielle, à savoir que les témoins, spécialistes et statisticiens contactés bénéficient de l’anonymat. Je pourrais ainsi obtenir beaucoup plus d’informations », espère-t-il. Le généraliste a obtenu une réponse négative à ce jour. « Mais en râlant de toutes les façons possible, le dossier a été réexaminé, j’attends la réponse… » Son combat entend dénoncer les statistiques de la Sécu pour organiser le contrôle des arrêts de travail. « Elle pointe systématiquement les médecins travaillant dans des quartiers défavorisés, accuse-t-il.
À l’été 2023, la Cnam s’était expliquée sur sa méthode de contrôle et de ciblage. Environ 2 % des généralistes étaient alors concernés par une potentielle mise sous objectifs de leurs prescriptions d’arrêts de travail, première étape avec une éventuelle mise sous accord préalable. Pour cette campagne, avaient été sélectionnés les médecins prescrivant au moins « deux fois plus d’arrêts de travail par patient actif », mais en tenant compte de la structure de leur patientèle (comparaison avec leurs confrères de la même région à patientèle et zone d’exercice comparable avec standardisation des patientèles selon l’ALD, le sexe et l’âge et prise en compte de l’indice de défavorisation du territoire).
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