Le 4 juin, un accord liant les médecins libéraux à l’Assurance-maladie était conclu pour cinq ans. Après six mois d’âpres discussions, la nouvelle convention prévoit un investissement total d’1,6 milliard d’euros, encore assez loin du choc d’attractivité espéré. Au menu, revalorisations tarifaires, big bang forfaitaire, objectifs collectifs… La dynamique devra se poursuivre.
Boucler un accord avec les médecins libéraux à tout prix. Début juin 2024, Thomas Fatôme, le directeur général de la Cnam, accueillait avec un large sourire, au siège de l’Assurance-maladie, les cinq syndicats représentatifs des médecins libéraux signataires de la nouvelle convention médicale (CSMF, MG France, SML, FMF et Avenir Spé-Le Bloc), l’UFML-S l’ayant rejetée. Le patron de la Cnam savourait cet épilogue heureux en forme de succès personnel et pour ses équipes, après avoir redouté un deuxième rejet des syndicats qui risquait de porter un coup fatal au système conventionnel.
Chacun gardait en tête l’échec cuisant du premier round, en février 2023, ponctué d’un règlement arbitral a minima, forcément décevant pour la profession qui réclamait son « Ségur de la médecine de ville », en miroir des investissements octroyés aux hôpitaux publics. La deuxième séquence aura donc été la bonne.
Déséquilibré ?
En juillet 2023, la nomination d’Aurélien Rousseau pour remplacer François Braun au ministère de la Santé avait permis de relancer la machine. Le nouveau cadrage politique en fin d’année se voulait moins clivant avec quatre objectifs clairs : « l’attractivité de la médecine libérale », « le renforcement de l’accès aux soins », « l’optimisation de la qualité et de la pertinence des soins » et « la transformation du mode de rémunération ». Une feuille de route appliquée à la lettre par le DG de la Cnam, Thomas Fatôme, qui a revu sa copie et sa méthode, admettant avoir sous-estimé le malaise de la profession.
Le feuilleton reprend donc début 2024. La reprise des négos est soigneusement préparée en janvier par une quinzaine de réunions et groupes techniques ou thématiques. De l’avis général, l’atmosphère se révèle « plus apaisée » et « plus transparente » même si chacun fourbit ses armes avant d’entrer dans le dur. La séance plénière du 8 février démarre très fort avec la proposition d’une consultation de référence à 30 euros, un prérequis pour les généralistes, mais aussi l’avis ponctuel de consultant (APC) à 60 euros pour les spécialistes, sans compter une série de revalorisations ciblées présentées par Thomas Fatôme (lire ci-contre).
Malgré tout, la mise en bouche est jugée « insuffisante » par les syndicats, faute de calendrier d’application précis. Sur le terrain, des collectifs de médecins, qui visent toujours la consultation à 50 euros, s’engagent dans un mouvement de « déconventionnement collectif », lancé par l’UFML-S pour accroître la pression. Les autres syndicats, dont la CSMF, ne soutiennent pas cette fronde, préférant accompagner certains confrères engagés dans la contestation tarifaire.
Bisbilles
Côté spécialistes, la colère monte en raison d’un sentiment d’iniquité dans les premiers arbitrages tarifaires. Malgré une copie « améliorée » de la Cnam mi-mars, les syndicats de spés jugent le projet de deal « très déséquilibré ». La question de la cotation de l’APC à 60 euros – que le syndicat Avenir Spé veut élargir au maximum – ravive la tension avec MG France, qui redoute le détricotage du parcours de soins autour du médecin traitant (lire page 12).
Les négos vont-elles échouer ? Coup de théâtre, à la veille d’un nouveau round décisif, le 4 avril, quatre organisations de spécialistes claquent la porte pour exprimer leur mécontentement. Ces syndicats veulent soutenir les cliniques vent debout de leur côté contre les arbitrages sur les tarifs hospitaliers 2024, une situation qui risque d’avoir des répercussions sur les praticiens qui exercent au sein des établissements privés.
Parallèlement, les déclarations fracassantes de Gabriel Attal sur la santé obscurcissent à nouveau le climat général. Outre la menace à peine voilée d’un retour de l’obligation de garde si la profession ne s’organise pas, le Premier ministre annonce l'expérimentation de l’accès direct aux spécialistes, un nouveau casus belli pour MG France. L’organisation suspend sa participation et réclame une clarification. La Cnam reporte sine die les discussions, tout en déplorant « le retard » pris dans l’aboutissement des négociations.
Le texte ouvre la possibilité d’opter en groupe pour une rémunération intégralement forfaitaire
Face à ces blocages sérieux, l’exécutif prend des engagements pour sortir du bourbier conventionnel. Frédéric Valletoux, alors ministre délégué à la Santé, réaffirme dans une lettre à MG France sa volonté de « conforter la place des médecins libéraux » et de « soutenir les missions du médecin traitant ». Pour calmer les cliniques et les syndicats de spécialistes, l’ancien président de la FHF promet « le principe d’équité de traitement entre les différents acteurs de l’hospitalisation ». Thomas Fatôme s’engage à bouger les curseurs, ce qui conduit les syndicats à reprendre le chemin de la Cnam.
168 pages et négo finale de 48 heures
Le 16 mai, une « séance de clôture » est programmée, un marathon de 48 heures qui aboutit à la présentation d’un texte définitif. Quelques jours plus tôt, les syndicats avaient reçu une version provisoire de 168 pages… Au menu pour les généralistes : G à 30 euros, consultation longue ponctuelle, nouveau forfait médecin traitant calibré par patient (pouvant représenter 21 500 euros par an), fin de la Rosp et du forfait structure ou encore nouvelle dotation numérique. Plus symbolique, le texte ouvre la possibilité d’opter en groupe pour une rémunération intégralement forfaitaire. Plusieurs missions spécifiques sont valorisées comme la maîtrise de stage, la prise en charge des patients AME, la participation à la PDS-A et au service d’accès aux soins et la collaboration avec des IPA.
Du côté des spécialistes, la Cnam a aussi musclé ses propositions. Outre l’APC à 60 euros (avec une application légèrement élargie), toutes les disciplines au bas de l’échelle des revenus (psychiatres, pédiatres, gériatres, endocrinologues, dermatologues, rhumatologues) héritent de revalorisations ciblées. Le projet prévoit la réévaluation des actes techniques (environ 500 millions d’euros) via une augmentation du « point travail » et une revalorisation spécifique des actes de chirurgie, d’anesthésie et d’obstétrique de secteur 1 et 2 à tarifs maitrisés, avant la refonte de la nomenclature de 2026 (provisionnée pour 240 millions d’euros). Un soutien aux équipes de soins spécialisés (ESS) est acté.
La Cnam assure que les engagements ne seront pas opposables individuellement
Mais en contrepartie, les médecins devront s’engager sur des objectifs collectifs et mesurables sur l’accès et la pertinence des soins. Pas question pour autant de « rejouer le match » du contrat d’engagement territorial (CET) ayant conduit à l’échec en 2023. La Cnam assure que les engagements ne seront pas opposables individuellement. Dix indicateurs d’accès aux soins (patientèle médecin traitant, file active, délais d’accès, etc.) et quinze programmes de pertinence/qualité des soins (arrêts de travail, bon usage des produits de santé, sobriété des pratiques d’imagerie ou de biologie, etc.) sont identifiés et seront monitorés par deux observatoires qui, le cas échéant, proposeront des « mesures correctives ».
Les ultimes blocages portent sur le calendrier des revalorisations, dévoilé au tout dernier moment, avec les premières étapes fortes dès 2024. Thomas Fatôme revendique un accord inédit dans son ampleur et son rythme d’application. L’effort de la Cnam s’élève à 1,6 milliard d’euros pour cinq ans. Pressés par le contexte politique et économique incertain, cinq syndicats signent alors un « accord de raison ».
Tarifs : ce qui change au 22 décembre
Médecine générale : 30 euros pour la consultation de référence (G et VG pour la visite au même tarif) au lieu de 26,50 euros ; 54 euros pour les trois consultations obligatoires avec certificat pour les enfants (puis 60 euros au 1er juillet 2025), au lieu de 47,50 euros actuellement.
Pédiatrie : 54 euros pour les trois consultations obligatoires avec certificat pour les enfants, puis 60 euros en juillet 2025 (contre 47,50 euros) ; 45 euros pour les autres examens obligatoires des enfants de moins de 2 ans (puis 50 euros en juillet 2025) ; 39 euros (CEH) pour les consultations de suivi courant pour les enfants de moins de deux ans ; enfin 35 euros pour les consultations de suivi et examens obligatoires des enfants de deux à six ans (CEK) et 31,50 euros pour les 6 ans et plus (CEG).
Psychiatrie : 55 euros pour la consultation majoration incluse (puis 57 euros en juillet 2025), au lieu de 51,70 euros aujourd’hui ; et 67 euros pour la consultation de pédopsychiatrie (puis 75 euros en juillet 2025), étendue aux jeunes patients jusqu'à 25 ans (au lieu de 16 ans auparavant).
Gynécologie : 37 euros pour la consultation (puis 40 euros en juillet 2025) au lieu de 33,50 aujourd’hui.
Dermatologie : 54 euros pour la consultation (CDE) coordonnée du dépistage du mélanome (puis 60 euros en juillet 2025), au lieu de 47,50 euros.
Gériatrie : 37 euros pour la consultation (puis 42 euros en juillet 2025), au lieu de 31,50 euros.
Endocrinologie : la majoration MCE pour certaines consultations, auparavant de 22 euros, sera valorisée à hauteur de 26,50 euros (puis 30 euros à partir du 1er juillet 2025).
Neurologie : 55 euros pour la consultation majoration incluse (puis 57 euros en juillet 2025), au lieu de 51,70 euros.
Médecine physique et de réadaptation : 36 euros pour la consultation coordonnée majoration incluse (puis 40 euros en juillet 2025).
Avis ponctuel du consultant (APC) : 60 euros pour cette consultation d’expertise (au lieu de 56,50 euros) ; 67,50 euros pour l’APY, désormais ouverte aux gériatres.
Soins non programmés : majoration (SHE) de 5 euros pour prise en charge entre 19 h et 21 h sur demande de la régulation SAS ou régulation urgences (en sus de la cotation SNP ou MRT de 15 euros).
La convention a aussi prévu de recadrer la facturation des majorations de soins non programmés non urgents, hors régulation, en période de PDS-A, qui fait l’objet de dérives. Mais devant le tollé syndical, l’application des nouvelles règles prévues au 22 décembre pourrait être assouplie.