Depuis l'entrée de leur pays dans l'Union européenne en 2007, des milliers de professionnels de santé roumains sont venus s'installer en France, notamment dans des territoires ruraux désertés, où leur arrivée inespérée ne se déroule pas sans accroc. Dans la salle d'attente du cabinet dentaire de Vigeois, en Corrèze, des patients devisent sur « l'aubaine » d'avoir obtenu un rendez-vous après des dizaines de refus. « J'ai déjà un généraliste malgache. Si je voulais trouver un médecin français prenant encore de nouveaux patients, il me faudrait traverser le pays », s'exclame Guy Fournier, venu du Lot, à une heure et demie de route.
« On a pas mal de patients, parfois en urgence, qui viennent de Brive ou de Limoges, où ils ne trouvent pas non plus de rendez-vous », abonde Alina Baltran. Originaire de Timisoara (ouest de la Roumanie), cette chirurgien-dentiste s'est installée il y a quatre ans dans ce village corrézien de 1 300 habitants. En Roumanie, elle dirigeait son cabinet avant de tenter l'aventure française, à 42 ans, en famille. Attirée par les opportunités éducatives pour ses deux adolescents, elle a rejoint une amie compatriote, généraliste dans ce coin de campagne. Le couple - l'époux, maîtrisant mieux le français, se charge du secrétariat - raconte s'être heurté, à ses débuts, à la « lourdeur » de l'administration française, « remplie d'acronymes », et à un accompagnement au compte-goutte. « On a reçu une seule visite, d'une heure, de la caisse primaire d’Assurance-maladie », pointe Florin Baltran.
En cas de problème, « on échange via des boucles d'entraide WhatsApp » avec d'autres professionnels roumains. Malgré une exonération de charges pendant cinq ans en zone de revitalisation rurale (ZRR) et un revenu multiplié par deux (par rapport à son pays), la dentiste a eu du mal à trouver l'équilibre.
Test de français et équivalence
Avec trois kinésithérapeutes roumains, une psychologue et une orthophoniste français, l'activité médicale de Vigeois tient du « miracle », selon le maire Jean-Paul Comby. Pour remplir une maison médicale restée longtemps vide, la commune a sollicité un chasseur de têtes (moyennant 10 000 euros). Depuis le recrutement d'un généraliste, la pharmacie a été reprise et le cabinet d'infirmiers perdure. Mais « si le généraliste part, tout s'écroule. C'est la loterie », juge l’édile.
En 2023, quelque 5 100 médecins en activité régulière, ayant obtenu leur diplôme en Roumanie, exerçaient en France selon le Conseil national de l'Ordre. Soit une hausse de 166,7 % depuis 2010. Ils sont autorisés à exercer après avoir réussi un test de français et obtenu une équivalence de leur diplôme universitaire. L'adaptation en milieu rural ne va cependant pas toujours de soi : certains souffrent d'injures racistes, de campagnes de dénigrement, du mal du pays, sans compter les accusations d'incompétence et de mercenariat.
La presse locale fourmille d'histoires de médecins roumains à peine arrivés et déjà repartis. Comme à Bénévent-l'Abbaye (Creuse) où un généraliste a tenu un an, six mois de plus que son homologue d'une commune voisine. « Il n'a pas su gagner la confiance de sa clientèle », regrette le maire André Mavigner. Recruter un soignant étranger est un « combat difficile », assure-t-il. « Aider à leur installation n'est ni la préoccupation du Conseil de l'Ordre, ni celle des médecins locaux manquant de solidarité », grince l'élu. « La pénurie arrange tout le monde et notamment les médecins blindés de boulot », abonde Sophie Leroy, cofondatrice de l'agence de recrutement Arime.
Burn-out
Mihaela Denisa Tiganus, généraliste installée en 2012 à Sornac (Corrèze) avant de rejoindre Thiers (Puy-de-Dôme) en 2018, a fait « plusieurs burn-out ». « Je travaille 11 heures-12 heures par jour. Les patients français sont très gentils et polis mais certains trop exigeants », estime la praticienne qui a « tout appris seule ». « La première année, c'était un cauchemar. J'avais peur de faire des erreurs en remplissant les formulaires. J'avais souvent des crises d'angoisse et de panique ». Elle juge « impossible » de « financer un cabinet, de payer les charges et de dégager un revenu » dans une commune de 500 habitants. La recruteuse Sophie Leroy confirme : « On veut faire venir des gens dans des endroits où ils ne pourront pas gagner leur vie. Une fois parachutés, certains cherchent mieux ailleurs ».
Pour que la greffe prenne, il faut « prendre en compte le travail du conjoint ou la scolarisation des enfants ». Sans promettre le miroir aux alouettes. « En Roumanie, un médecin généraliste est salarié avec un carnet de patients. En France, il doit séduire et se faire une clientèle, c'est une tout autre approche. » Selon Sophie Leroy, les candidats pour l'Hexagone seraient désormais « moins nombreux » davantage attirés par la Belgique ou l'Allemagne.
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