Le Dr Gilles Arous, « 70 ans et demi », est le dernier des trois mousquetaires à l’origine de ce service de médecine polyvalente niché entre les murs du centre hospitalier de Hayange (Moselle) à y être encore en activité. Et tout comme les héros d’Alexandre Dumas, ces médecins généralistes, alors à l’aube de la retraite, étaient non point trois, mais quatre.
Leur aventure débute en 2017, avec une réunion à l’agence régionale de santé (ARS) qui convoque les différents acteurs de santé du territoire pour tenter de trouver une réponse au problème croissant de la désertification médicale. « Nous avions tous les quatre prévu de cesser notre activité libérale en 2019 mais avons spontanément proposé d’aider en prenant, chacun, un temps partiel dans les locaux de l’hôpital », se souvient le Dr Arous.
Plus de 11 000 consultations en 2023
C’est ainsi qu’en 2019, le service de médecine polyvalente de l’hôpital de Hayange voit officiellement le jour. Les patients peuvent y consulter du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 12 heures et de 13 h 30 à 17 heures. Sonia et Stéphanie, les secrétaires qui prennent les rendez-vous, évaluent à plus d’une soixantaine le nombre de consultations quotidiennes assurées par les huit généralistes en cumul emploi-retraite qui se relaient dans la structure. Mais avec un total de 11 200 consultations réalisées l’an passé, le service de médecine polyvalente, victime de son succès, ne peut plus faire face. « Nous continuons, bien sûr, à assurer les soins non programmés, mais nous n’avons plus les capacités pour être médecins traitants de nouveaux patients. D’un service initial de dépannage pour un meilleur accès aux soins de la population, nous sommes devenus indispensables », relève le Dr Arous. Avant que toute l’équipe, médecins et secrétaires, ne se réunisse pour partager la pause déjeuner.
D’un service initial de dépannage, nous sommes devenus indispensables
Dr Gilles Arous
À les écouter échanger dans le réfectoire de l’hôpital, force est d’admettre que le centre hospitalier de Hayange, qui compte environ 80 lits, a réussi, en cinq ans, avec le concours de ces généralistes retraités, à développer de nouvelles activités. « J’interviens ponctuellement dans le service de gériatrie et à l’Ehpad, nous avons aussi un service psychiatrie qui n’existait pas avant », témoigne le Dr Vincent Crocitti. Ce généraliste de 71 ans, qui a lui aussi passé tout son exercice libéral dans la région, fait partie de l’équipe depuis janvier 2022. Il a choisi la formule du quart temps, une semaine par mois. Il perçoit 1 000 euros mensuels de salaire, que lui verse le centre hospitalier. Et comme ses confrères, qui ont tous choisi leur volume horaire, il ne manque pas d’idées pour renforcer la puissance d’accueil du service. En premier lieu, faire évoluer leur statut de collaborateur. « Comme nous ne sommes pas titulaires, nous ne pouvons pas être maîtres de stage », déplore le Dr Crocitti. Même s’il reconnaît qu’il est possible de contourner partiellement la difficulté en demandant aux collègues hospitaliers « officiels » d’envoyer les futurs médecins faire un tour de quelques jours dans le service de médecine polyvalente.
Pas d’accès aux majorations ou aux revenus forfaitaires
Autre écueil, l’impossibilité pour ces médecins salariés en cumul emploi-retraite de coter les majorations pour les consultations ALD, des enfants en bas âge, ou encore de percevoir les revenus forfaitaires, comme l’ex-rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp), réservée… aux médecins libéraux. Ce ne serait en aucune façon de l’argent supplémentaire qu’ils souhaitent se mettre dans la poche mais « des revenus perdus que nous pourrions reverser à l’hôpital qui, en retour, pourrait salarier avec ces recettes de nouvelles recrues dans notre unité », suggère la Dr Marie-Paule Keuffer.
La généraliste de 70 ans y voit aussi un moyen d’augmenter les horaires de la radiologie, qui n’est ouverte qu’un jour par semaine. « Mais ce qui est certain, c’est que la piste du salariat, qui semble attirer les jeunes, contribuerait à assurer la pérennité du service de médecine polyvalente », diagnostique celle qui est membre de l’équipe depuis deux ans.
« Hayange a tout de même obtenu le statut d’hôpital de proximité. Nous percevons à ce titre une dotation de l’ARS et, pour le moment du moins, on ne nous parle plus de rentabilité », relativise le Dr Arous. La petite troupe savoure un café dans la cour de l’hôpital face à l’un des hauts fourneaux de cet ancien bastion sidérurgique de la vallée de la Fensch, où vivent quelque 100 000 habitants. « Au plus fort du boom de la sidérurgie, jusque dans les années 1980, Hayange avait l’un des meilleurs services de pneumologie de France. Les urgences étaient ouvertes H 24. Ce sont les locaux de ces anciennes urgences qui abritent aujourd’hui le service de médecine polyvalente », évoque le Dr Arous.
Si la digue que nous avons construite pour l’accès aux soins n’est pas consolidée par les plus jeunes, tout s’écroulera
Dr Marie-Paule Keuffer
À deux doigts de la fermeture
Pourtant, quelques années avant l’ouverture du service de médecine polyvalente, tout a bien failli s’arrêter. En août 2011, l’hôpital, à la suite de ce que la petite équipe nomme des « malversations financières » passées inaperçues, se retrouve à deux doigts du dépôt de bilan. Pour alerter sur la situation, le Dr Arous organise une « journée ville morte pour la médecine de ville » et adresse l’année suivante un courrier à la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine. Peine perdue. C’est en définitive l’élu local, le désormais sénateur de Moselle Khalifé Khalifé, ancien chef du service de cardiologie du CHR de Metz-Thionville, qui contribuera à éviter la fermeture de l’hôpital. « Les personnels ont accepté de baisser leurs salaires et il n’y a pas eu de licenciements », se réjouissent les généralistes. Mais c’est parvenir à recruter qu’il leur faut réaliser maintenant pour transformer l’essai. « Si la digue que nous, médecins retraités, avons construite pour l’accès aux soins n’est pas consolidée par les plus jeunes, tout s’écroulera », résume la Dr Marie-Paule Keuffer. Une issue que refuse d’envisager le Dr Arous. « C’est chez nous, lieu historique de la métallurgie, qu’ont été forgés les anneaux olympiques mis sur la tour Eiffel cet été », révèle-t-il. Qu’on se le dise, Hayange a de la ressource.
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