Professions médicales et abus de substances sont hélas bien souvent liés : selon les fonctions, de 5 à 15 % des soignants seraient concernés au moins une fois dans leur carrière (1). Si les protocoles de surveillance de la délivrance des opioïdes mis en place dans les établissements de soins ont permis de tracer l’accès des soignants à ces substances, un transfert de mésusage a été constaté vers des médicaments en accès plus libre tels que le propofol, la kétamine, le protoxyde d’azote ou des anesthésiques inhalés (2). La question du recours au propofol a fait l’objet de plusieurs travaux car la mortalité associée à cette molécule est particulièrement importante : elle peut atteindre 33 % même chez des personnes qui sont bien informées de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique de ce médicament. Le propofol (2,6 di-isopropylphénol) est un anesthésique général d'action rapide (délai d'environ 30 secondes), de courte durée et permettant un contrôle facile du niveau d'anesthésie et un réveil généralement rapide. Son mécanisme d'action est mal connu.
Un usage découvert suite à un décès
Un travail canadien publié en 2023 (1) détaille 24 études rapportant un total de 85 cas de mésusage du propofol (35 ans d’âge médian, autant d’hommes que de femmes). Lorsque l’information du mode de découverte de l’intoxication était disponible, on constate que dans 80 % des cas c’est à la suite du décès que l’usage du propofol a été découvert. Dans cette série, les anesthésistes étaient sur-représentés (n = 42), de même que les infirmiers qualifiés en anesthésie (n = 16). Les infirmiers tout-venant (n = 12) et les médecins non-anesthésistes (n = 12) étaient moins nombreux et les chirurgiens, réanimateurs, urgentistes ou radiologues étaient bien plus rarement concernés.
Cette publication a donné lieu à de nombreuses lettres de réponse auprès de l’éditeur certaines soulignant que « bien que d'autres facteurs externes puissent contribuer à l'abus de propofol et au suicide (facteurs de stress familiaux, pressions d'identité sociale, productivité académique, charge de travail clinique, etc.), les pressions institutionnelles exercées sur les individus et sur l'environnement de travail, qu'elles soient favorables ou non, inclusives ou non, divers ou non, doivent être soulignées ».
Comment aider les confrères ?
L’étude sur les abus de propofol porte sur des travaux menés dans différents pays. Un article (2) confirme que l’abus de substances représente un problème de santé chez les anesthésistes quel que soit leur pays d’exercice : 2,87 pour 1 000 années d’internat aux États-Unis, 20 % durant la carrière en Allemagne, 35 % pendant la formation dans certains pays d’Afrique…
Une enquête auprès des anesthésistes français a révélé qu'au total, 10,9 % d'entre eux souffraient de trouble d’usage des substances (hors tabac), l'alcool étant le plus courant (59 %), suivi des tranquillisants et des hypnotiques (41 %). Il est intéressant de noter que le taux de consommation d’opioïdes était inférieur (5,5 %) à celui signalé dans d’autres régions du monde (2,4).
Que faire si l’on soupçonne un de ses collègues d’avoir un problème d’abus de substances ? L’article de G. Burnett et coll. (2) est clair : ne le confrontez pas vous-même. Contactez plutôt la personne référente en charge de ces questions qui saura intervenir en mettant en avant la santé et les possibilités de soins. Puisqu’ils ont accès à des produits addictifs et dangereux, les anesthésistes doivent être retirés de leurs fonctions cliniques dès que la preuve de mésusage est reconnue. On sait que ces professionnels (3), lorsqu’ils ont un problème de toxicomanie, peuvent tenter – souvent avec succès – de mettre fin à leurs jours quand ils sont découverts. Le traitement initial est fondé sur une hospitalisation associée à une désintoxication médicalement surveillée pendant une période suffisante pour réduire le risque de rechute.
(1) Burnett G, Taree A, Martin L et coll. Propofol misuse in medical professions : a scoping review. Can J Anaesth. 2023 Mar;70(3):395-405.
(2) Burnett G, Fry RA, Bryson EO. Emerging worldwide trends in substances diverted for personal non-medical use by anaesthetists. BJA Educ 2020;20:114–9.
(3) Lorello, G.R., Hawryluck, L. Like patients, practitioners are not cases: (re)humanizing the “case” report. Can J Anesth/J Can Anesth 2023;70:1113–1114.
(4) Dupanloup-Meistelman D. Les risques professionnels liés à la pratique de l’anesthésie en 2018. Oxymag, 2018, 31, pp.8 - 12.
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