Aurélien Rousseau savait que le statu quo serait intenable. Après l'échec des négociations en février avec l'Assurance-maladie, puis le règlement arbitral perçu comme une « humiliation », le successeur de François Braun a vu grandir le courroux des médecins libéraux, alimenté par les menaces réelles ou supposées de la proposition de loi Valletoux (lire page 17). La mobilisation unitaire de la profession pour fermer les cabinets et cesser l'activité, le 13 octobre, a montré la détermination des praticiens.
Dans ce contexte tendu, sa lettre de cadrage visant à relancer les négociations conventionnelles avait deux objectifs : déminer le terrain en stoppant le mouvement de grève – ce qui a été obtenu immédiatement – mais aussi éclaircir l'horizon conventionnel avec la promesse d'une nouvelle méthode et de nouvelles priorités.
Perte de sens
Dans ce courrier « court et ciblé », Aurélien Rousseau a fixé des lignes directrices resserrées mais avec un impératif de résultat. « Nous ne pouvons nous résoudre à l'absence de cadre conventionnel », cadre-t-il. Dans nos colonnes, la semaine dernière, le ministre excluait déjà un deuxième échec.
Plusieurs gages en ce sens ont été donnés aux médecins. Aux oubliettes le « contrat d'engagement territorial » qui braquait la profession avec ses contreparties exigées aux revalorisations. Le mantra des « droits et devoirs » cher à François Braun est reformulé en termes apaisés. Le ton a aussi changé. Le locataire de Ségur mise sur une « convention de responsabilité » qui permettra aux médecins libéraux en « perte de sens » de pouvoir « réinventer leur métier ». Pas question non plus que les initiatives parlementaires pèsent sur les négociations, jure-t-il.
La question de l'attractivité de la médecine libérale est replacée en haut de l'affiche « afin que davantage de jeunes médecins s'installent ». Plusieurs leviers existent, énumère le ministre, au rang desquels la rémunération mais aussi la qualité de vie au travail, l'entrée dans la carrière, l'exercice mixte, le travail aidé, la réduction des charges administratives et des consultations évitables ou encore l'accompagnement à l'installation et le soutien, sans oublier la poursuite d'activité des seniors.
Le C à 30 euros ? Sans donner explicitement le feu vert politique à la Cnam, Aurélien Rousseau entérine le principe d'une augmentation, en précisant que certaines « évolutions tarifaires pourront être progressives » sur la durée de la convention. Il souligne la nécessaire valorisation du rôle du médecin traitant pour faire face aux enjeux du vieillissement et des maladies chroniques. L'articulation avec le second recours supposera une réorganisation territoriale de la médecine spécialisée. Le modèle des équipes de soins spécialisés (ESS) prôné par Avenir Spé devrait y trouver sa place.
Pertinence et sobriété
Mais pour investir davantage, le ministre invite les partenaires à trouver des marges de manœuvre. Il s'inquiète des « niveaux atypiques » de consommation de médicaments et réclame « des leviers concrets pour garantir la pertinence des prescriptions ». Les prescripteurs sont invités à investir prioritairement dans la prévention, à limiter les actes inutiles ou redondants et même « à ne faire intervenir des dispositifs curatifs que lorsque ces derniers sont nécessaires ». Pour la première fois, le ministre met en avant le rôle actif des médecins pour la « sobriété du système de santé, levier de sa décarbonation ».
Moins glamour pour la profession très attachée au paiement à l'acte, les partenaires conventionnels devront « faciliter l'évolution » des modalités de rémunération en médecine de ville. Au menu, la simplification des briques forfaitaires accumulées au fil du temps mais aussi la recherche d'idées neuves sur des financements aux parcours ou aux missions (à l'instar de la réforme de la T2A à l'hôpital).
Prise de conscience
« L'impulsion est donnée, salue le Dr Patrick Gasser, coprésident d'Avenir Spé-Le Bloc. Il y a une prise de conscience ». Selon le gastroentérologue nantais, les jeunes spécialistes sont prêts à « modifier » leur façon de travailler, à condition de leur en donner les moyens, via « une rémunération attractive », « le travail aidé » et « moins d'administratif ». Au SML, la Dr Sophie Bauer abonde en ce sens. « Si on transfère 30 % des tâches administratives vers les assistants médicaux, on pourra récupérer du temps médical pour faire davantage de prévention et prendre plus de patients », explique la chirurgienne dont le syndicat revendique… une consultation à 50 euros et le secteur II pour tous.
En dépit de la volonté affichée du ministre, l'enveloppe allouée aux soins de ville (+ 3,5 % l'an prochain) inquiète les syndicats. La CSMF réclame « un choc d'attractivité », qui puisse bénéficier certes à la médecine générale mais à l'ensemble des autres spécialités. Pas question de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Au menu : une hiérarchisation des consultations autour de niveaux valorisés à 30 et 60 euros et la réévaluation des actes techniques, dont certains sont gelés depuis 30 ans. « S'il n'y a que les 30 euros et rien pour valoriser l'expertise du médecin, alors rien n'aura changé », met en garde le Dr Franck Devulder, patron de la CSMF.
Chacun devrait venir avec sa liste de courses. « Si on arrive à valoriser le forfait médecin traitant et sa consultation longue, ce sera déjà bien », cadre la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. La FMF souhaite l'augmentation du point (sept euros), « bloqué depuis 15 ans » qui sert à calculer le forfait structure. L'UFML-S a fait ses comptes. Selon son président Jérôme Marty, « il faut mettre sur la table six milliards d'euros par an pour rendre attractive la médecine libérale ». Le « Ségur » de la médecine libérale ?
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