Courrier des lecteurs

Elucubrations autour de la taxe foncière

Publié le 07/03/2019

La Boétie disait qu’il y avait chez tous les peuples une certaine complaisance à accepter la tyrannie des gouvernants1. Mais derrière ce qui peut passer pour de l’obligeance, n’y a-t-il pas souvent juste l’effet anesthésiant des choses établies ?

Quand on est locataire on paye sur le bien que l’on loue une taxe d’habitation, quand on est propriétaire, on paye sur le bien que l’on a acquis une taxe foncière.

Et lorsque l’on habite un logement que l’on a acheté, on est ainsi redevable des deux.

Voyons un peu d’un peu plus près de quoi il retourne et explorons le domaine, car il faut toujours se méfier des évidences.

Acheter un bien immobilier est un acte ponctuel. C’est une démarche isolée dans le temps que la signature chez un notaire authentifie. C’est le fruit d’une négociation entre un vendeur est un acheteur qui conduit a l’acquisition d’un bien et à la délivrance d’un titre de propriété. Mais, au final, c’est un achat, un achat comme un autre. Sa seule particularité est que l’on devient propriétaire ou d’un lopin de terre ou de murs, érigés dessus. Résider dans ce même bien est une action qui dure, au moins des mois, souvent des années, parfois une vie.

Deux taxes jumelles ?

Payer une taxe d’habitation annuellement parce qu’on réside dans ce bien n’a donc rien de choquant et semble tout à fait logique. Le logement étant obligatoirement situé sur le territoire d’une commune où d’une ville, il est compréhensible que le locataire soit redevable d’un tribut car résider engendre des frais pour la municipalité où se trouve le bien immobilier : entretien des voiries, des réseaux, des espaces verts, etc.

Mais qu’en est-il de cette autre taxe que l’on nous fait volontiers passer pour sa jumelle, qui porte le nom de « Foncière » et dont on devient redevable dès le jour où on a fait l’acquisition d’un bien.

Il y a très longtemps qu’on nous laisse croire (du moins en France car la taxe foncière existe peu à l’étranger) que les sigles TF-TH sont du type tandem, associant deux entités réunies par un lien si solide, qu’il serait presque inconvenant de citer l’une sans l’autre.

Payer une taxe foncière c’est donc payer une taxe par ce que l’on est devenu propriétaire de foncier.

Mais d’abord, que signifie le terme foncier ? D’où vient ce mot ? Foncier vient de fond, « fond de quelque chose, partie essentielle d’un tout ».

On peut comprendre que la terre soit essentielle. En effet, sans la terre sur laquelle l’humanité tout entière repose, que serions-nous ? Et, que ce qui est construit dessus devienne essentiel à son tour ! Pourquoi pas… De là à se dire que cet argument justifie l’existence d’une taxe… il n’y a qu’un pas… un tout petit pas, que l’on pourrait volontiers franchir. Sauf que, si l’on est rationnel, on se pose très vite la question suivante :

Foncier = fond = essentiel. Mais, cet argument justifie-t-il pour autant le paiement d’une taxe ? Parce que, si l’on veut chercher une justification, en s’appuyant sur le mot « essentiel », on peut aussitôt se dire que…le fond de mon pantalon est aussi un contenant et qu’il est également essentiel ! Donc, le fond de mon pantalon pourrait lui aussi mériter une taxe ! Alors, pourquoi l’État ne ferait-il pas payer une taxe foncière sur tous les pantalons… achetés. L’affaire serait juteuse !

Et puis, si l’on accepte le principe de cette taxe sur les pantalons, on pourrait ainsi bien accepter le principe d’une kyrielle de taxes sur tous les achats « essentiels » que l’on fait. Ainsi, parmi les achats essentiels, on pourrait trouver les meubles que l’on met dans la maison, l’électroménager dont la présence est essentielle pour notre existence au quotidien, mais aussi la voiture qui essentielle pour aller travailler, faire ses courses, partir en vacances.

Une belle longévité

À la réflexion, les arguments « fond », « contenant », « chose essentielle » ne sont pas très convaincants.D’où l’idée d’aller chercher ailleurs une justification, en l’occurrence dans le passé de cette taxe, qui la rendrait légitime !

Au fait, à quand remonte-t-elle ? La taxe foncière a été instituée à l’époque de la révolution, à la fin de la monarchie de droit divin, au temps de l’abolition des privilèges, à l’arrivée de la monarchie constitutionnelle, puis de la jeune république. L’aube d’un monde plus juste qui fait fi des privilèges. On a créé alors pour tous les citoyens qui accédaient à la propriété, une taxe que l’on a baptisée « taxe foncière ».

Alors, on se dit : ok, mais est-ce fait qui justifie son existence ? Voulait-on responsabiliser les acheteurs, leur faire payer un impôt correspondant à une quelconque dépense pour l’état ? De ce côté, on ne trouve pas grand chose non plus ! On finit par conclure que l’objectif n’était peut-être rien d’autre, comme c’est souvent le cas, que de faire rentrer un nouvel impôt, dont la toute jeune monarchie constitutionnelle ou la république naissante avait besoin.

En tout cas, voilà une bien belle longévité pour cet impôt en service depuis plus de deux siècles. Mais, il est vrai, quel gouvernement aurait été assez ballot pour supprimer une entrée que le peuple payait avec tant de complaisance sans jamais se poser la moindre question sur sa légitimité.

Une injustice majeure

Et, tandis que l’on se dit tout cela, une nouvelle interrogation pointe aussitôt le bout de son nez. Payer une fois cette taxe est déjà une injustice majeure.

Mais quel qualificatif donner au fait qu’elle est redevable annuellement… durant toutes les années de possession du bien ?

On se dit que c’est tout simplement effarant, totalement incongru, absolument illogique, foncièrement* inepte, gigantesquement malhonnête, que c’est le comble, le summum, l’apothéose de ce qui peut se faire dans en matière de taxes : la pérennisation insensée !

Je reviens au pantalon. Payer une taxe sous prétexte que vous avez fait l’acquisition d’un pantalon, vous trouvez cela déjà fort. Eh bien, vous la paierez à toutes les dates anniversaires de votre achat jusqu’au jour où vous pourrez prouver qu’il est hors d’usage et, par dessus le marché, elle sera indexée sur le coût de la vie !

Et de même avec tout ce qui est essentiel…

Que diriez-vous ?

La Boétie avait quand même un peu raison…                                                                 

«Comment établit-on le montant de la taxe foncière ?

Le calcul est alambiqué ; rien de tel pour asseoir un effet anesthésiant et le faire perdurer l

La « valeur locative cadastrale » représente le montant du loyer annuel que le propriétaire pourrait théoriquement obtenir de son bien, s’il le louait. Mais on s’en tape !

On retire ensuite 50% de charges fictives de ce montant, pour retenir le loyer net de charges. Et c’est sur cette valeur locative théorique, qu’on applique un pourcentage d’imposition, voté par les collectivités locales : les communes essentiellement. Rien moins que de l’arbitraire !

A ce titre on pourrait aussi nous faire payer une taxe correspondant au loyer de la voiture que l’on a achetée si celle-ci était louée alors que ce n’est pas le cas puisqu’on l’a achetée.»

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1Discours sur la servitude volontaire

Dr Bernard Riou, Vern-sur-Seiche (35)

Source : Le Quotidien du médecin: 9730