Le mal-être au travail et la perte d'emploi font partie des facteurs déclencheurs de suicide, et la perspective d'une envolée du chômage après l'épidémie de Covid-19 inquiète les experts du 4e rapport de l'Observatoire national du suicide (ONS), qui vient d'être publié. « Le lien entre taux de chômage et suicide est connu depuis la crise de 1929 aux Etats-Unis, et de nombreuses publications portant sur la crise de 2008 ont aussi montré un lien incontestable entre suicide et perte d'activité et précarité », a souligné le Pr Michel Debout, psychiatre, et l'un des auteurs de ce rapport. « Il est urgent qu'un comité d'experts se mette en place, comme cela a été le cas pour le risque épidémiologique, mais cette fois sur le risque suicidaire, pour formuler des préconisations en termes de santé et de prévention. »
Une situation qui demeure préoccupante
Même si de façon générale, on observe un recul des suicides en France, la situation demeure préoccupante. Selon le 4e rapport de l'ONS, la France comptabilisait en 2016 près de 9 300 décès par suicide, une proportion certes en forte baisse (14 pour 100 000, contre 21/100 000 en 2000), mais qui fait de l'Hexagone un des pays européens où on se suicide le plus (9e rang sur 28).
Ce rapport s'est particulièrement intéressé aux liens entre le suicide, le travail et le chômage. « Même si le lien de causalité avec les conduites suicidaires n'est pas direct, le travail peut être mis en cause dans le processus suicidaire », indique l'ONS. « Le travail ne peut être considéré comme cause unique et simple du suicide, mais il y a de nombreux cas où le travail est en cause dans le passage à l'acte », précise le sociologue Christian Baudelot.
Le procès de France Télécom et de ses ex-dirigeants, qui a retenu en décembre dernier pour la première fois le délit de « harcèlement managérial » a mis en lumière le risque posé par les nouvelles formes de management depuis les années 1990, relève Christian Baudelot.
Des métiers plus à risque
Agriculteurs, ouvriers et employés ont un risque deux à trois fois plus élevé de décéder par suicide que les cadres. Parmi les secteurs d'activité les plus à risque figurent les personnels de la santé et de l'action sociale (34,3 suicides pour 100 000, selon des données de 2005) et ceux de la police (sur-risque de 41 % pour les hommes, 130 % pour les femmes, selon une enquête menée entre 2013 et 2016).
Plusieurs études montrent que les personnes les plus impliquées dans leur travail, avec une forte charge émotionnelle et qui font face à des injonctions contradictoires (soigner mieux avec moins de temps, par exemple), sont à risque, indique le Pr Michel Debout.
Les médecins devraient mieux s'informer de la situation professionnelle des patients
Si le travail peut être à risque, l'absence de travail l'est encore davantage, avec un impact avéré sur la santé. « Or, depuis le rapport de l'association Solidarités nouvelles face au chômage il y a deux ans, rien n'a été fait », constate le Pr Michel Debout.
Ce 4e rapport de l'ONS insiste sur le rôle des médecins généralistes, en particulier sur celui de détecter une souffrance chez les personnes ayant perdu leur emploi. « Les médecins généralistes auxquels s’adressent souvent ces personnes en détresse doivent être sensibilisés aux problèmes de santé des chômeurs : encore trop de praticiens ignorent la situation de travail de leurs patients sans rappeler qu’ils évaluent trop rarement le risque suicidaire que les chômeurs présentent », souligne ce rapport.
Une étude de la Fondation Jean Jaurès de 2016 montre que 30 % des chômeurs interrogés « ont sérieusement songé à se suicider », contre 19 % chez les actifs.
Un manque de données
Plus généralement, les données statistiques manquent. « La remontée des données sur les décès est difficile, avec seulement un décès sur cinq certifié électroniquement », souligne Fabrice Lenglart, directeur de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). La mise en relation du fichier démographique permanent avec celui des données de santé doit permettre de mieux cerner les causes de suicides, avec de premières études attendues début 2021.
(Avec AFP)
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