Bonne nouvelle pour les « cumulards »… à condition d’exercer dans une zone sous-dotée ! Dès le premier jour de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025) au Palais du Luxembourg, les sénateurs ont donné leur feu vert à un amendement du gouvernement qui vise à faciliter l’an prochain le cumul emploi retraite des médecins libéraux dans ces secteurs fragiles.
Reprenant des chiffres de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), la ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a mis en avant la force de frappe des quelque 13 500 praticiens en cumul emploi retraite en 2024, soit 11 % des praticiens en activité et 15 % des retraités, chiffre record. En pratique, ces « cumulards » seront exonérés de cotisations d’assurance vieillesse dues sur les revenus d’activité « perçus en 2025 » au titre de leurs régimes de base, complémentaire et de prestations complémentaires de vieillesse (PCV). Pour être éligibles, les médecins libéraux retraités devront justifier d’un revenu annuel inférieur à un montant fixé ultérieurement par voie réglementaire.
Des effets de bord inévitables
Séduisante sur le papier, cette disposition s’apparente toutefois à une demi-mesure puisque, dans sa formulation actuelle, elle concernerait uniquement les praticiens libéraux « exerçant leur activité dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l’accès aux soins ». Ces zones d’intervention prioritaires (Zip) sont arrêtées par les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS).
Certains sénateurs ont aussitôt alerté sur les effets de bord « inévitables », réclamant une étude d’impact de ces exonérations de cotisations sur les autres territoires. « Parfois, on vide une autre zone ! », a ainsi averti la rapporteure pour la branche vieillesse Pascale Gruny (LR). « Les incitations se multiplient sans qu’il y ait eu jamais d’évaluation réelle sur l’impact que ça avait sur l’installation dans les zones sous-dotées », a aussi pointé la socialiste Émilienne Poumirol évoquant, à l’instar du généraliste Daniel Chasseing (LIRT), le nomadisme médical à l’œuvre.
Le montant maximal de revenu non salarié annuel pour bénéficier de cette exonération de cotisations retraite sera fixé par décret. À quelle hauteur ? Dans la loi Sécu pour 2023, qui avait instauré une mesure du même acabit, le plafond annuel de revenu avait été fixé à 80 000 euros.
De surcroît, l’article voté au Sénat précise que les médecins bénéficiaires de cette exonération ne pourront en aucun cas s’ouvrir de nouveaux droits pour une seconde pension au titre du régime de base des libéraux (la faculté de se constituer de nouveaux droits à une seconde pension n’a pas été déclinée au titre des régimes complémentaires et de PCV gérés par la CARMF).
La Carmf fulmine
Cette mesure votée en l’état n’a pas manqué de faire vivement réagir la Carmf, qui suit le dossier de près et redoute une perte de recettes sans compensation. Fait rare, la caisse s’est fendue de deux communiqués ce mardi pour exprimer tout le mal qu’elle pense de cette initiative.
Pour la Carmf en effet, toute mesure, « même partielle ou limitée dans le temps », d’exonérations de cotisations retraite pour les médecins en cumul sera non seulement « inefficace » (du fait de l’effet d’aubaine pour les médecins en activité qui pourraient gagner autant, voire plus, en travaillant moins) mais aussi « pénalisante » pour toute la profession à cause de la charge « insupportable » pour la Carmf, entraînant une absence de revalorisation des pensions, voire « une baisse » de celles-ci ! D’ores et déjà, devant les « grandes incertitudes » du PLFSS, dont des mesures qui « pourraient avoir des impacts très négatifs », son conseil d’administration a décidé à l’unanimité d’attendre la version définitive du texte avant de statuer sur la revalorisation du point de retraite pour 2025 (et donc des pensions du régime complémentaire). Son prochain CA aura lieu le 25 janvier.
Le gouvernement déterminé
En dépit des critiques de la Carmf, l’exécutif semble déterminé à avancer sur ce dossier du cumul emploi retraite. À l’Assemblée nationale déjà, le gouvernement avait fait adopter un amendement plus large, permettant aux médecins libéraux « cumulards » de bénéficier du régime simplifié des professions médicales, adapté à l’exercice de petites activités (seulement 7 % d’entre eux y sont éligibles actuellement, le plafond de chiffre d’affaires devant être inférieur à 19 000 euros annuels). La mise en œuvre de ce régime simplifié élargi interviendra en 2026, a précisé Astrid Panosyan-Bouvet devant les sénateurs, évoquant des « contraintes techniques ».
Un cumul emploi retraite plus « favorable » : c’était en tout cas la promesse du Premier ministre Michel Barnier (Les Républicains), qu’il avait formulée dans sa déclaration de politique générale. Promesse tenue ?
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