Les médecins libéraux vont-ils perdre au change avec la réforme des retraites ? Le chantier piloté par Jean-Paul Delevoye doit faire l’objet d’un projet de loi programmé avant l’été. Ce texte vise à instaurer un régime universel pour tous les cotisants jusqu’à trois fois le plafond de Sécurité sociale (PASS), soit environ 120 000 euros. La réforme concernerait ainsi la quasi-totalité des médecins généralistes français. Exit le régime spécial des médecins libéraux composé d’un régime de base, du régime complémentaire de la Carmf et de l’allocation supplémentaire vieillesse (ASV).
Disparition de la solidarité professionnelle
Les syndicats de médecins libéraux viennent d’entamer une série de concertations auprès du Haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye, mais à ce stade, de nombreuses interrogations subsistent. La refonte va-t-elle aspirer les avantages liés au régime autonome des médecins libéraux ? Le rapport de l’économiste Frédéric Bizard, commandé par le syndicat UFML-S et rendu public la semaine passée, alertait en ce sens, notamment sur le devenir de la réserve Carmf de près de 7 milliards d’euros qui pourrait être noyée dans un pot commun. « Il est hors de question que ces réserves ne reviennent pas à la profession », estime pour sa part le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Le patron de MG France, le Dr Jacques Battistoni, s’inquiète également de perdre avec cette réforme « la notion de solidarité de la profession » inscrite dans le système actuel.
La Carmf défend ne pas être une simple caisse de retraite et souhaite que la réforme prenne en compte les actions sociales qu’elle mène. « Que vont devenir les IJ, l’invalidité, l’indemnité de décès à 60 000 euros que nous versons ? », se demande son président, le Dr Thierry Lardenois. Le gouvernement n’a pour l’heure pas fourni de réponse sur ce point.
L’uniformisation des retraites fait par ailleurs craindre aux médecins une hausse des cotisations et une baisse de la valeur du point. « Nous ne voulons pas payer plus pour avoir moins », prévient le Dr Philippe Vermesch du SML. Il faudra « veiller à ce que les généralistes aient un niveau de retraite équivalent à l’actuel à l’issue de la réforme », ajoute le Dr Battistoni. La retraite moyenne versée à près de 70 000 médecins libéraux retraités s’élevait à 2 643 euros en 2018.
Sur ce point-là non plus, les deux premières réunions avec Jean-Paul Delevoye n’ont pas rassuré. Le Dr Olivier Petit de la FMF regrette qu’ « aucune étude prospective actuarielle » n’ait été fournie afin de « garantir la faisabilité de cette réforme en l’état ».
L’avenir de l’ASV, prise en charge aux deux tiers par l’Assurance maladie pour les médecins conventionnés, est aussi incertain. « On nous dit qu’elle ne va pas disparaître, mais je me demande comment elle va s’articuler techniquement avec cette réforme. Cet avantage a été négocié en échange du respect des tarifs conventionnels, sa pérennité doit être garantie », affirme le Dr Ortiz. L’ASV représente aujourd’hui 35 % de la retraite des libéraux. La gouvernance du dispositif sera aussi un point à éclaircir, selon les syndicats. Quant à la Carmf, si elle ne disparaît pas, elle devrait garder un rôle considérablement réduit en devenant un simple organisme de recueil des cotisations.
Peu de marges de manœuvre
Les syndicats sont donc sceptiques quant à la marge de manœuvre restante pour ajuster la réforme. L’ensemble des représentants demande que le plafond de trois PASS soit abaissé à un seul. La FMF dénonce des discussions qui « ne sont pas des négociations ». Le Dr Jacques Battistoni a pour sa part l’impression que le projet de loi « est déjà bien ficelé ».
Le patron de la Carmf est encore moins optimiste. Le Dr Lardenois déplore que « l’expertise de la caisse » n’ait pas plus été écoutée et affirme avoir été auditionné seulement deux fois par le Haut-commissariat avant d’être écarté des discussions. « Cette réforme est bouclée et faite par l’État seul, sans avis autour de lui », déplore-t-il. La réforme de la retraite "en temps choisi" pour les médecins, mise en place début 2017, répond pourtant aux critères du futur régime universel. « Il est en points, avec un rendement à 5 %, à l’équilibre avec un âge de la retraite à 62 ans… Nous l’avons théorisé et appliqué avant tout le monde et aujourd’hui, on veut nous fondre avec tout le reste », conclut le Dr Lardenois, amer.
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