Médecine libérale, les grandes manœuvres

Négociations conventionnelles, alliances : les syndicats se positionnent sur le nouvel échiquier

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Publié le 23/04/2021
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Après les élections chez les médecins libéraux, place à l'enquête de représentativité syndicale. Pour peser dans les futures négociations conventionnelles, chaque organisation réfléchit à sa stratégie et à d'éventuels rapprochements.

Plus de 15 jours après les élections aux URPS, marquées par une abstention historique, une poussée des forces monocatégorielles et une balkanisation, les syndicats de médecins libéraux attendent le deuxième acte du renouvellement : l’enquête de représentativité qui déterminera qui est qualifié pour participer aux prochaines négociations conventionnelles.

Sauf coup de théâtre, six organisations (CSMF, MG France, AvenirSpé-Le BLOC, UFML-S, FMF et SML) devraient se retrouver autour de la table des discussions avec l’Assurance-maladie, sans Union collégiale (UC) ni Jeunes médecins (JM). D’ores et déjà, le ministre de la Santé a souligné que les élections professionnelles chez les médecins libéraux « ouvrent une nouvelle page des discussions conventionnelles », à un an de l'élection présidentielle. 

Un Ségur de la ville, vraiment ?

Au moins trois dossiers majeurs attendent les syndicats.

Le premier est la concrétisation de l'avenant n°9 à la convention médicale. Ce texte « fourre-tout », censé incarner le Ségur ambulatoire, prévoit des avancées sur les soins non programmés, les visites, la revalorisation de spécialités cliniques (pédiatres, psychiatres, neurologues, gynécologues, endocrinologues et rhumatologues) mais aussi diverses adaptations tarifaires (télé-expertise, consultation handicap, évolution des contrats OPTAM et OPTAM-CO). Entamées en septembre 2020, mais suspendues au bout de deux mois à cause de la campagne électorale, ces négos avaient abouti en décembre à un « paquet financier » de 550 millions d’euros, jugé « très insuffisant » par les syndicats. La CNAM est-elle en mesure d'aller plus loin pour la médecine de ville ? La profession réclame un investissement massif alors que le gouvernement a continué de décliner par milliards les mesures à destination du secteur hospitalier.

Deux autres accords (interpro cette fois) concernent d'une part le soutien aux CPTS et d’autre part les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Là aussi, des points de blocage (niveau des moyens, formalisme des équipes de soins primaires, assistants médicaux) devront être levés.

Côté médecins, l’Assurance-maladie devra en tout cas prendre en considération la nouvelle équation pour trouver la voie d'accords majoritaires. Et ce ne sera pas une mince affaire : car si la CSMF reste la centrale dominante (en voix), le poids accru des discours monocatégoriels (MG France chez les généralistes, Avenir Spé-Le BLOC chez les spécialistes), sans oublier l'irruption de l'UFML-S, ont créé de fait une situation inédite et peu lisible pour l'exécutif.

Des alliances, pour quoi faire ?

Sur le papier, dans le cadre actuel de la convention médicale unique, aucun syndicat ne pourrait signer seul un avenant (il faut avoir au moins 30 % des suffrages exprimés dans chacun des deux collèges). Pour éviter un blocage, chacun devra donc réfléchir à d'éventuelles alliances ou compromis.

Conforté dans son collège, MG France (37 % des voix généralistes) se montre déterminé à reprendre le plus rapidement possible les discussions dans le cadre de l'avenant n°9, espéré comme le « Ségur de la ville ». « Il n'y aura pas de signature sans moyens significatifs pour financer les avancées souhaitées par les généralistes », prévient son chef de file Jacques Battistoni, qui se projette aussi vers juin 2022, après la présidentielle, pour la négociation de la nouvelle convention. 

Soucieuse de reprendre la main, la CSMF appelle de ses vœux une convergence de vues pour avancer. « Si on poursuit cette division, on sera de plus en plus affaibli devant le gouvernement et la CNAM, analyse le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération. Je me donne comme mission de rapprocher les structures représentant la profession. » Selon le néphrologue, cela veut dire : « Est-ce qu'il y a des terrains d’entente pour être efficace ? ».

L’union Avenir Spé-Le BLOC (39 % des voix dans son collège) se déclare prête à « travailler avec tout le monde » et revendique un « équilibre » entre la médecine générale et les autres spécialités. « Il faut voir sur quels points il est possible de s'accorder », plaide le Dr Patrick Gasser, président d'Avenir Spé. Pas si simple alors que ce syndicat considère que les spécialités libérales ont été délaissées lors des derniers accords, qu'il s'agisse des honoraires ou du parcours de soins. 

Plus libéral que moi tu meurs 

Avec 17 % des suffrages dans chacun des collèges, l'UFML-S espère pousser des idées neuves à la faveur d'une reconfiguration. Le syndicat du Dr Jérôme Marty envisage« un front commun avec le SML et la FMF » pour défendre les fondamentaux de l'exercice libéral, voire « une sorte de GIE où chacun garderait son existence propre » . Une façon aussi de récréer un bloc polycatégoriel évitant le risque de deux conventions séparées (généralistes et spécialistes). « On ne laissera pas les deux organisations monocatégorielles discuter de tout. Et surtout, on refuse le modèle que nous proposent la CSMF et MG France. La ROSP, les paiements forfaitaires ou à l'épisode de soins… ce n’est pas la médecine libérale », avance le généraliste de Fronton.

Si elle sort affaiblie de ce scrutin (après ses bons scores de 2015), la FMF entend conserver son « cap libéral et polycatégoriel », sans exclure elle non plus des alliances, explique sa présidente Corinne Le Sauder. Quant au SML, il ne fera cause commune qu'« avec de vrais libéraux ». Lesquels ? Pour son président, le stomatologue Philippe Vermesch, « la FMF, l'UFML et Avenir Spé-Le BLOC, c'est assez proche. Mais pas la CSMF, qui a changé son discours ». L'axe syndical qui structura longtemps la vie conventionnelle (au moment du plan Juppé, de la réforme du médecin traitant ou de la loi Bachelot) semble définitivement révolu.

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin