Revalorisation des visites ou gardes obligatoires ? Le Sénat cherche des solutions pour la prise en charge des urgences et soins programmés

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Publié le 16/02/2022

Crédit photo : Senat

Pour appréhender les difficultés de l'organisation de la prise en charge des soins urgents et non programmés, la commission d’enquête sénatoriale sur l’hôpital a mené une audition auprès des acteurs libéraux et hospitaliers du secteur de la médecine d'urgence.

Les Drs Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), Serge Smadja, secrétaire général de SOS médecins, et Olivier Richard, chef de service du Samu des Yvelines, ont insisté, chacun dans leur registre, sur la perte d’attractivité de cette activité d'urgence, qui implique de fortes contraintes horaires, de pénibilité et de responsabilité, et donc sur la nécessité de trouver des leviers de revalorisation en ville comme à l'hôpital. 

La visite à domicile, denrée rare

« Le dysfonctionnement ne remonte pas à aujourd'hui », constate le Dr Patrick Pelloux, qui évoque ouvertement la décision, au début des années 2000, de supprimer l'obligation de permanence des soins des médecins libéraux. « Quand la structuration de la ville, qui était l'obligation de faire des gardes, tombe en 2002, tout a été détruit sans aucune alternative », diagnostique-t-il. Dans ce contexte de désengagement des libéraux, « il est extrêmement difficile de motiver la jeune génération à venir faire des gardes aux urgences », avance-t-il. Pour le célèbre urgentiste, « la visite à domicile reste essentielle, mais elle est également en danger », faute de politique tarifaire attractive. 

Le Dr Serge Smadja (SOS Médecins) insiste lui aussi sur la nécessité de conforter la visite à domicile, activité menacée à cause d'une politique tarifaire qui a désorganisé l'offre. Outre les tarifs des visites, jugés insuffisants, il considère que l'expansion de la téléconsultation – valorisée comme une consultation présentielle – a un effet pervers. « Si le médecin est rémunéré de la même façon, selon qu’il soit chez lui dans son canapé devant l’ordinateur, ou qu’il monte les étages à 4 heures du matin pour voir une personne âgée en décompensation… plus personne ne voudra faire de consultation à domicile ! », objecte celui qui est aussi président de SOS Médecins Paris. « Il ne faut pas brandir la téléconsultation comme la réponse à tout, aux déserts médicaux, aux urgences… On ne peut pas tout faire à distance », martèle-t-il.

Ces acteurs de l'urgence pointent aussi le risque d'un système de soins à deux vitesses. « Faites attention à ne pas construire une médecine où des gens qui ont les moyens pourront toujours voir leur médecin, et une autre où on aura recours aux téléconsultations ou à des infirmières en pratique avancée », alerte le Dr Pelloux.

« On loupe le virage ambulatoire »

Alors que l'avenant n° 9, signé fin juillet 2021, avait privilégié la revalorisation des visites à domicile auprès des plus de 80 ans en ALD (au tarif de 70 euros), comment rendre la visite « classique » plus attractive ? « 35 euros, ce n’est plus possible ! », se désole le Dr Olivier Richard (Samu des Yvelines). « Et ça ne peut pas être quelques centimes d’euros, c'est un investissement majeur, on est en train de louper le virage de l’ambulatoire ! » Quant à l'association SOS, écartée de facto de l'avenant 9, elle revendique prioritairement une hausse de la majoration de déplacement (MD) en journée, à hauteur de 20 euros (au lieu de 10 euros, tarif bloqué). 

Point positif pour les médecins libéraux, l’astreinte de 12 heures dans le cadre de la permanence des soins ambulatoire (PDS-A) a bénéficié d'un coup de pouce financier en janvier, passant de 150 à 180 euros au minimum (+20 %). 

Interrogés par ailleurs sur la mise en place du service d'accès aux soins universel (SAS), plateforme de régulation des appels urgents et non programmés, expérimentée dans une quinzaine de sites pilotes, les médecins auditionnés ont un avis mitigé. Le Dr Olivier Richard, qui participe à un projet dans les Yvelines, constate des avancées mais encore timides. « La coopération entre la ville et l'hôpital, avec des échanges d'information, permet d'anticiper et d'éviter que des personnes aillent aux urgences », juge-t-il, tout en reconnaissant que l'outil démarre à peine. « Pour l'instant, cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences car le système est complexe », affirme de son côté le président de l'Amuf.

Faux remède  

Faut-il, dans ce contexte, envisager le retour des gardes obligatoires pour les libéraux, une piste qui revient parfois dans la campagne présidentielle ? Pour Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne, cette évolution est « une évidence ». « Je ne comprends pas pourquoi l'exigence qui existe pour les urgentistes concernant les gardes ne s'appliquerait pas aux médecins de ville, déclare-t-elle. On doit donc supprimer le décret Mattei pour pouvoir partager cette obligation. Cette contrainte pèsera moins sur une poignée de professionnels. »

Le Dr Patrick Pelloux (Amuf) défend de son côté « une obligation de gardes avec un contrat d’objectifs et de moyens » dès lors que « la population ne comprend pas la désorganisation actuelle ». Mais cette solution radicale, qui remettrait en cause le principe du volontariat dans la permanence des soins, acquis de haute lutte au début des années 2000, ne convient pas du tout au Dr Smadja (SOS). « La médecine doit rester libérale, recadre-t-il. Il faut de l’attractivité, si vous mettez des obligations, vous n’attirerez jamais les jeunes. »


Source : lequotidiendumedecin.fr