Subventions anti-déserts médicaux : tops et flops des collectivités territoriales

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Publié le 14/03/2023
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Crédit photo : S.Toubon

Communes, départements ou régions, il n'y a pas que l'État et l'Assurance-maladie qui apportent leurs contributions financières à la lutte contre les déserts médicaux. Mais avec des succès très variables selon les modalités d'intervention des collectivités territoriales, tacle la Cour des comptes dans un chapitre de son rapport annuel. Même si les sommes en jeu ne sont pas colossales, il faut « mieux coordonner et hiérarchiser les interventions des collectivités territoriales dans l'accès aux soins de premier recours », jugent les magistrats de la rue Cambon.

La Cour a fait les additions. Les collectivités – qui n'ont sur le papier qu'une « compétence limitée » pour agir sur la disponibilité ou l'organisation des soins de premier recours – dépensent annuellement autour de 150 millions d'euros dans ce domaine. C'est six fois moins que l'enveloppe des fonds d'intervention régionaux (Fir) à la main des ARS, sans compter les aides conventionnelles versées par les caisses primaires. Pour autant, cet argent public ne doit pas être jeté par les fenêtres : ces sommes peuvent « utilement compléter les interventions de l'État ou de l'Assurance-maladie en ciblant plus précisément des besoins locaux mal satisfaits », peut-on lire. 

Modèle viable dans un cas, déficitaire dans l'autre 

Plusieurs collectivités, à commencer par le conseil départemental de Saône-et-Loire ou la région Centre-Val de Loire, se sont lancées dans le salariat de médecins à grande échelle, réponse qui a l'avantage d'être simple et, sur le papier, immédiatement efficace. Mais les résultats sont-ils au rendez-vous ? Et quelles sont les conditions du succès ?

Côté réussite, en 2018, la commune de Vierzon (Cher) crée un centre de santé qui emploie 14 équivalents temps plein dont quatre de médecins, un modèle qui s'est révélé « viable » selon la Cour des comptes. Une file active de 7 200 patients dont 20 % de bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (ex CMU-C) et une trentaine de consultations par médecin : le contrat est rempli.

L'évaluation est plus sévère pour le département de la Saône-et-Loire qui s'est lancé à corps perdu, dès 2017, dans l'ouverture de centres de santé recrutant des généralistes salariés : pas moins de six centres territoriaux avec 22 antennes implantées dans des locaux mis à disposition par les mairies et 19 projets en cours ! Les patients s'y sont précipités (de 22 000 consultations en 2018 à 100 000 trois ans plus tard) et les centres ont pris part à des missions relevant de la compétence départementale (PMI, suivi des enfants de l'aide sociale à l'enfance). Mais l'équilibre financier n'est pas du tout atteint, une critique récurrente à l'endroit de ce modèle. Chaque consultation coûte au département plus de 30 euros en reste à charge, après remboursement de l'Assurance-maladie. En outre, les professionnels n'y réalisent en moyenne que 11,4 actes par jour et par équivalent temps plein. De quoi apporter de l'eau au moulin des détracteurs de ces centres subventionnés, qui pointent leur manque de productivité. 

Rémunération sans relation avec l'activité

Plus embêtant encore : « quand les critères de bonne gestion ne sont pas réunis, les résultats financiers et l'effet sur l'accès aux soins sont souvent décevants ». Un exemple édifiant : la commune de Châteaudun (Eure-et-Loir) avait créé un centre de santé municipal alors qu'une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) voisine connaissait des difficultés de recrutement. Sauf que le centre n'a jamais décollé… Chaque consultation coûte en moyenne 13 euros à la ville en reste à charge pour une cinquantaine d'actes par jour d'ouverture en moyenne, répartis entre cinq médecins. « On note que la rémunération des médecins est fondée sur l'échelle indiciaire de la fonction publique, sans relation directe avec leur activité », s'interroge la Cour des comptes.

Ne vaut-il pas mieux, dans ce contexte, miser sur le libéral ? Oui, mais pas à n'importe quelles conditions non plus, met en garde la Cour. « Les résultats sont positifs quand l'aide conforte un projet médical solide et l'engagement effectif des professionnels mais ils sont beaucoup plus décevants, voire médiocres, en l'absence de ceux-ci », synthétisent les auteurs du rapport. Exemple de réussite parmi des dizaines dans toute la France : à Casteljaloux (Lot-et-Garonne), l'installation d'une MSP en 2014 a « permis de limiter la baisse rapide de l'effectif de médecins généralistes que connaissait le territoire ». Dans cette histoire, la clé du succès a été clairement « l'initiative conjointe » de la communauté de communes et d'une association de professionnels de santé.

Coquilles vides

Mais trop souvent les collectivités territoriales apparaissent comme « de simples intermédiaires immobiliers », dit la Cour, ce qui peut être une aubaine pour les libéraux. Ce fut le cas à Mayenne où les professionnels de santé avaient un projet de pôle de santé qui était déjà mûr. Ailleurs, faute « de moyens humains et financiers pour mener des projets complexes », nombre de communes se sont retrouvées à bâtir des maisons de santé restées des coquilles vides.

Ainsi, à l'aune de ces constats, la Cour appelle le ministère à une « structuration plus forte au niveau national » pour remédier à ces interventions financières trop dispersées. Pas sûr que les collectivités apprécient le conseil. Les hauts magistrats pourraient bientôt en remettre une couche dans un autre rapport en préparation sur l'organisation des soins de premier recours.


Source : lequotidiendumedecin.fr