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Traitements anti-Covid : où en est-on ? Posez vos questions au Pr Gilles Pialoux

Publié le 30/10/2020

Près d’un an après le début de l’épidémie de coronavirus, la quête aux traitements contre le Covid-19 se poursuit. Antipaludéen, anticorps monoclonaux, antiviraux, transfusion de plasma, immunomodulateurs… les scientifiques cherchent encore la bonne formule. Les multiples essais cliniques menés à travers le monde ont toutefois permis de tirer les premiers enseignements. Quelles sont les pistes les plus prometteuses ? Comment prend-on aujourd’hui en charge les malades du Covid ? Le Pr Gilles Pialoux, chercheur-clinicien et chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, fera un état des lieux sur le sujet.

Pr Gilles Pialoux Live chat

Journaliste QDM (PT)
Bonjour à toutes et à tous.
Le Live chat va bientôt commencer. Nous accueillons aujourd’hui le Pr Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon (AP-HP). Il répondra à vos questions sur l’état des connaissances en matière de traitements et de prise en charge des malades du Covid.

Signalons que le Pr Pialoux a raconté son vécu de praticien hospitalier durant la première vague dans un ouvrage paru aux Éditions JC Lattès : « Nous n’étions pas prêts. Carnet de bord par temps de coronavirus ».

Exceptionnellement, ce Live chat est organisé à distance et non pas à la rédaction du « Quotidien ». Le Pr Pialoux répondra en direct à vos questions depuis son bureau de l’hôpital Tenon. Encore quelques minutes avant le début de la séance. Nous avons déjà reçu de nombreuses questions. Merci à tous de votre participation active !
Le Pr Gilles Pialoux s'apprête à répondre à vos questions depuis son bureau de l'hôpital Tenon (AP-HP)
 
Journaliste QDM (PT)
Bonjour Pr Gilles Pialoux. Merci d’avoir accepté notre invitation à ce Live chat et de partager votre expérience avec vos confrères.
Pr Gilles Pialoux
Bonjour, c'est un plaisir d'échanger avec les lecteurs du "Quotidien du Médecin". Sachez qu'on a appris de la première vague que :
1) Ce qui est dit aujourd'hui peut être contredit demain;
2) Il faut intégrer dans notre approche de la deuxième vague une bonne dose d'incertitude sur cette maladie qui nous livre ses données au fil de l'eau;
3) il me semble à titre personnel qu'il n'y a plus de place pour la polémique et encore moins pour un prétendu courant "rassuriste".
Journaliste QDM (PT)
Pr Pialoux, comment allez-vous ? Et surtout comment vont vos équipes dans ces heures difficiles ? Craignez-vous les conséquences psychiatriques et psychologiques de cette crise chez les soignants des CHU ?
Courage !
Pr Gilles Pialoux
Aujourd'hui, notre hôpital d'environ 300 lits est à 97 lits Covid+, réanimation incluse. Le personnel est tendu par cette seconde vague précoce, intense et brutale, avec des prévisions inquiétantes pour les 3 semaines à venir.

Nous sommes très vigilants sur les conséquences psychosomatiques de cette période de crise pour les soignants et nous avons réactivé les cellules éthiques, psychologiques et d'encadrement des soins palliatifs dans ce sens.
Dr Lilian
L'aggravation des patients prend parfois plusieurs jours. Quels sont les critères pronostiques qui permettent de savoir si un patient qui arrive au cabinet avec des symptômes modérés à sévères doit être adressé aux urgences ?
Pr Gilles Pialoux
En premier lieu, il faut être extrêmement vigilant sur les facteurs de comorbiditées des formes graves : âge, diabète, IMC sup à 30, greffe d'organe, etc.
Les recommandations des différentes sociétés savantes privilégient une anticoagulation préventive, y compris en ambulatoire. Certaines plates-formes comme COVIDOM en Île-de-France aident au suivi ambulatoire et l'achat d'un saturomètre individuel est un outil majeur pour les besoins de l'oxygénothérapie et la prescription de dexaméthasone.
Astrid Leduc
La dexaméthasone est-elle entrée dans la prise en charge courante des patients en réanimation ? Pour quels résultats ?
Pr Gilles Pialoux
Oui, la dexaméthasone est entrée en soins courants sous l'impulsion de l'OMS et de sa méta-analyse (JAMA du 2 septembre 2020), qui montre une diminution de la mortalité à 28 jours entre 30 et 34%. Ce n'est pas une prescription exclusive de la réanimation : elle est prescrite dès que le besoin en oxygène est supérieur à 3 litres par minute pour obtenir une saturation supérieure à 94%.
Astrid Leduc
On entend tout et son contraire au sujet des patients de cette deuxième vague qui seraient plus ou moins jeunes que ceux de la première, plus ou moins sévères et qui resteraient plus ou moins longtemps en réanimation. Quelle est votre impression ?
Pr Gilles Pialoux
On a surtout atteint le pic de bêtise... Les patients en réanimation et en hospitalisation ne sont ni plus jeunes, ni moins comorbides que ceux de la première vague.
Pour donner un chiffre : au 31 octobre, en réanimation, 47,9% des patients Covid+ en réanimation avaient 70 ans et plus, selon les données GEODES de Santé publique France.

Par contre, il est vrai que la modification de la prise en charge en réanimation (dexaméthasone, anticoagulants, oxygénothérapie à haut débit...) a conduit à une diminution de la durée moyenne de séjour. A l'AP-HP, elle est actuellement de 7 à 10 jours, contre 18 à 21 lors de la première vague, avec moins d'intubations (28 à 30% actuellement contre près de 80% lors de la première vague). Ces chiffres peuvent toutefois se modifier avec la poussée de la pandémie.
-- JPaul
Quel intérêt de prendre de la vit D comme évoqué dans un article du Quotidien ? Merci NDLR : Covid-19 : l'Académie de médecine recommande la vitamine D comme adjuvant aux autres thérapeutiques
NDLR : Covid-19 : l'Académie de médecine recommande la vitamine D comme adjuvant aux autres thérapeutiques
 
-- Marie LN
Indication HBPM en ville ? Intérêt du zinc/ vitamine D en préventif ?
Pr Gilles Pialoux
Dans la mesure ou c'est recommandé par l'Académie de médecine, en présence d'une maladie inflammatoire, qui plus est en pleine période automne hiver, la prescription de vitamine D est logique.

Pour ce qui est des héparines de bas poids moléculaire, nos recommandations de Tenon stipulent que s'il y a des facteurs de risque de thrombose et de contre-indication (risque hémorragique), on peut proposer, par exemple, du rivaroxaban 10mg par jour pendant 28 jours.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec le Pr Gilles Pialoux
 
Journaliste QDM (PT)
De nombreuses questions sur le traitement basé sur l'hydroxychloroquine associée ou non à l'azithromycine :
 
-- Doc974
Existe t il une (ou des) étude(s) de référence, en double aveugle ou pas, prouvant l’efficacité ou l’inefficacité du strict protocole (dans le temps, la population concernée et avec les doses officielles des promoteurs) tel que celui ci fut proposé et utilisé par l’équipe de l’IHU. Je ne parle pas de la toxicité mais de la stricte valeur thérapeutique du protocole. En clair : si on suit le protocole ..Ça marche ou pas ?La légende persiste et les parties s’affrontent à coups d’arguments spécieux. Quelle étude scientifique irréfutable et quelque part « définitive » pourrait-on se prévaloir pour un choix éclairé par la seule science avec un grand S.Merci.
 
-- leelou
Un grand nombre d'études montre les bénéfices de l'association azithromycine-hydroxychloroquine, alors pourquoi, au prix des vies humaines et de la saturation des hôpitaux, interdire aux médecins de traiter les patients par ces médicaments en amont des complications?
 
-- semin
Effectivement la piste hydroxychloroquine. Comment nous situer, nous médecin en conscience en dehors "des combats de chapelles" ?
Pr Gilles Pialoux
Il faut comprendre qu'au-delà de la communication scandaleuse via Youtube par son promoteur, l'association hydroxychloroquine/azithromycine est sortie à la fois des essais Discovery et Recovery pour l'HCQ, et aussi des recommandations nationales et internationales (ANSM, FDA, OMS, EMA, etc).

Bien sûr, ce n'est pas la dernière étude qui a raison. Toutefois, la méta-analyse de Fiolet et al publiée dans Clinical Microbiology and Infection est très claire sur l'absence totale de l'effet de cette association, quel que soit le stade de la maladie, incluant le traitement préventif de la maladie chez les soignants.

On peut aussi saluer un très beau travail français chez le primate dans le Nature daté du 10 juillet 2020, avec un signataire de l'IHU parmi les auteurs qui contredit l'efficacité de l'association en traitement comme en prophylaxie pré-exposition.
Journaliste QDM (SL)
Quelle prise en charge des patients en ville. De nombreuses questions reviennent sur le sujet...
 
-- laurence doutriaux
Quel traitement peut-on donner en ville autre que doliprane ?
 
-- Annpesch
Quelle prise en charge de base en ville devant un test positif ? Vit C + Vit B12 + Vit D + Zinc (lequel ?), stromectol ? Lavages de nez ou pas ? Merci pour votre réponse.
 
-- Joseph
En première intention, pour un tableau pseudo grippal fortement suspect de COVID, quel traitement préconiser, en dehors du paracétamol et des recommandations d'usage, pour des formes apparemment sans gravité, au-delà de la phase d'état? Une radiographie pulmonaire s'impose-t-elle si la toux persiste, sans fièvre?
Pr Gilles Pialoux
Pour ce qui est de l'imagerie, il faut privilégier le scanner thoracique avec, sauf contre-indication, un angio TDM en cas de facteur de risque thrombotique, d'aggravation en deux temps ou de D-dimères supérieur à 10.

En ce qui concerne l'ivermectine, nous sommes dans l'attente des résultats d'étude. C'est une des 96 molécules testées actuellement dans les 2 443 études répertoriées sur www.clinicaltrials.gov.
radiols
Certaines études préconisent l'ivermectine en début de maladie associée ou pas à aspirine. Faute de mieux, ne serait-ce pas une solution ?
Pr Gilles Pialoux
Comme répondu précédemment, l'ivermectine est encore en phase d'évaluation et ne figure pas dans les recommandations de la pratique courante.
righi
Le traitement anticoagulant est-il indispensable devant toute forme symptomatique ? Dès le début ? HBPM, AVK, NACO, quelle est la meilleure option ?
Pr Gilles Pialoux
Comme je l'ai expliqué dans une précédente réponse, seule la présence de facteurs de risque de thrombose justifie la prescription d'anticoagulants. La HAS a validé un tutoriel avec le collège de médecine général, la SPILF et le CNGE de réponse rapide en ville.Corteg
Corteg
Bonjour. Quel est selon vous le traitement en développement le plus prometteur en dehors des vaccins ?
Pr Gilles Pialoux
La réponse est compliquée. Compte tenu de la physiopathologie de plus en plus complexe de l'infection à SARS-CoV-2, il est possible qu'il n'y ait pas un traitement prometteur, mais des associations thérapeutiques différentes selon le stade de la maladie.

Les différentes approches sont les suivantes, outre la dexaméthasone déjà abordée : les antiviraux avec le remdesivir en chef de file (aux résultats contrastés certes), l'approche par thérapie cytokinique avec les anti-IL6 (le tocilizumab), anti-IL1, anti-JAK et bien d'autres molécules déjà utilisée dans les maladies inflammatoires et les cancers. Une autre approche est l'utilisation de plasma de convalescent (162 études dans le monde dont 4 en France). Il existe aussi une autre stratégie centrée sur le récepteur de l'angiotensine II.
Diabeto
Quel traitement mettre en place en ville dans les formes symptomatiques afin d'éviter une dégradation et hospitalisation ? Merci.
Pr Gilles Pialoux
Un point important à comprendre est le schéma classique de l'évolution de la gravité après une phase asymptômatique de 3 à 5 jours, l'apparition des premiers symptômes puis des premiers signes de désaturation pour une aggravation classiquement entre J7 et J10.

Certains patients rentent dans les formes sévères en 48 h. L'essentiel est de ne pas laisser passer le moment où, soit les comorbidités, soit la maladie nécessite une hospitalisation. L'important est donc d'exercer une bonne surveillance du patient, en l'absence de traitement préventif du passage à la forme sévère, hors coagulant et dexaméthasone.
Dr Bellegot, généraliste dans le 95.l
Conseillez-vous d'introduire un corticoïde en cas de patient limite en ambulatoire entre J5 et J10 du début des symptômes ?
Pr Gilles Pialoux
A partir du moment où le patient est oxygéno-requérant (plus de 3 L/min) et peut importe le lieu où il est suivi, il est recommandé de prescrire de la dexaméthasone à 6 mg par jour. Compte tenu de la pression actuelle sur l'hôpital public, nous voyons de plus en plus de patients dont l'oxygénothérapie a débuté en ambulatoire.
Marie21
Peut-on avoir un peu plus d’infos sur l’utilisation du plasma et quelques éléments sur la durée de l’immunité des personnes contaminées lors de la 1re vague ?
Pr Gilles Pialoux
Sur le plasma, on peut se référer à l'étude indienne récemment publiée dans le "New England Journal of Medicine", plutôt négative. Plusieurs essais sont en cours, dont 4 en France. Coviplasm est notamment en cours, avec des indications et des doses différentes.

Concernant la durée de l'immunité, c'est une des zones d'incertitude actuelle. Il semble néanmoins que l'importance de la réponse anticorps soit dépendante de la forme clinique et à des taux moins élevés dans les formes pauci ou asymptomatiques. Il est clair qu'il existe, malgré l'absence de recul, des cas de recontaminations documentés (5 publis au total dont le dernier dans le Nevada). D'autres part, il n'y a pas que la réponse anticorps à prendre en compte. Plusieurs publications récentes documentent une excellente réponse cellulaire, dont on ne connaît, là non plus, pas la durée.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec le Pr Gilles Pialoux
 
Journaliste QDM (PT)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question...
 
-- FRAMI
Pouvez-vous faire un point sur l'avancement de la recherche vaccinale ? Merci.
Pr Gilles Pialoux
Il y a environ 170 essais vaccinaux avec, à ma connaissance, 7 en phase 3 dont 2 ont été suspendus pour un cas de toxicité observé en cours d'analyse. Les choses avancent vite car le modèle vaccinal avec le SARS-CoV-2 est beaucoup plus aisé compte tenu de la faible variabilité du virus.

Un point important : on ne peut pas s'affranchir des essais d'efficacité de phase 3 incluant plusieurs milliers de personnes avec des résultats d'efficacité et de tolérance, a fortiori pour une maladie dont 85% des formes sont bénignes. Plusieurs approches sont testées, des virus inactivés aux vaccins ARN en passant par les sous-unités protéiques, les plasmides ADN, le vaccin de la rougeole modifié.

Il ne faut pas griller les étapes comme l'ont proposé les Britanniques en effectuant, à la place d'une phase 3 classique, un challenge viral qui pose d'importants problèmes éthiques, sociaux et de représentativités des sujets recrutés.

Peut-être des résultats de phase 3 utilisables sont à attendre au 2e semestre 2021 ?
Journaliste QDM (SL)
Merci Pr Gilles Pialoux, d’avoir participé à ce Live chat avec les lecteurs du « Quotidien ». Le temps nous a manqué pour relayer les très nombreuses questions des internautes médecins ! Le mot de la fin, Pr Pialoux ?
Pr Gilles Pialoux
La gestion de cette deuxième vague ne se fera pas sans la médecine de ville et pas sans une adhésion citoyenne aux mesures barrières et la protection des plus fragiles.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous dans les prochaines semaines pour un nouveau Live chat.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr