Tribune

La pratique du rugby et le risque de commotion cérébrale

Publié le 15/09/2016
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En 2012 la Fédération (FFR) a institué le « protocole commotion » pour mieux protéger les victimes des traumatismes crâniens survenus au cours des matches de rugby : le joueur KO est systématiquement invité à sortir du terrain et à se soumettre aussitôt à un examen neurologique de précaution. Depuis 2014 la médecine sportive a commencé à mener un véritable travail de prévention dans ce domaine : la commission médicale du Comité des Pyrénées, pionnière en la matière, a identifié et traité 185 cas de suspicion (dont 83 avérés) dans l'année 2014-2015. Cette fréquence est loin d'être négligeable même s'il est admis que dans 4 cas sur 5, les désordres liés à une commotion cérébrale (vertiges, troubles de la vision, angoisse etc.) disparaissent sous 10 jours.

Depuis 2015, le CHU de Toulouse a même créé une consultation spécialisée dans l'examen et le suivi des sportifs atteints de traumatismes crâniens (rugbymen, judokas, skieurs) et 250 sujets ont déjà été reçus dans ce service de neurologie. D'autres CHU ont suivi le mouvement. Bref, on peut signaler des initiatives ponctuelles qui vont dans le bon sens. Cependant le problème est loin d'être résolu et il ne se passe guère de matches de championnat en Top 14 ou en Pro D2 sans qu'on ait à déplorer un ou plusieurs accidents de cette nature.

Un combat difficile à gagner

Je voudrais dire pourquoi, à mon avis, le combat engagé dans ce domaine par les médecins, les arbitres et les dirigeants responsables est si difficile à gagner. Dire comment, en corrélation, il serait nécessaire d'intervenir pour corriger le tir et limiter les dégâts actuels.

Deux difficultés majeures devraient être repérées et surmontées : l'une tient au mode de recrutement des joueurs, l'autre à la façon de jouer elle-même.

Si les chocs sont de plus en plus violents et de plus en plus destructeurs, c'est d'abord parce que les rugbymen de haut niveau sont de plus en plus puissants. La pratique de la musculation s'étant progressivement généralisée, les joueurs d'aujourd'hui sont devenus plus athlétiques, plus toniques, plus robustes. Par ailleurs – et c'est un phénomène nouveau –, les clubs sont engagés dans une course folle aux gabarits hors normes : les costauds de 1m90 et 110 kg n'ont rien d'exceptionnel et la chasse est ouverte aux avants qui atteignent les 2 mètres (en 2nde ligne) et les 130 kg (piliers) ; ouverte aussi aux ¾ qui se rapprochent de ces mesures (on se souvient du phénoménal ailier néo-zélandais Lomu qui dépassait les 125 kg). Le racolage des formats herculéens s'est accusé avec le recours de plus en plus fréquent aux joueurs de l'hémisphère sud (Nouvelle-Zélande, Samoa, Fidji etc.). Même si toutes les morphologies doivent rester éligibles dans les clubs, il faudrait faire baisser cette fièvre qui accompagne la recherche de mastodontes (en limitant par exemple le nombre de joueurs d'origine étrangère dans les effectifs) et encourager la formation des rugbymen aux dimensions… ordinaires.

La seconde difficulté trouve son origine dans la pratique du jeu. Les rugbymen sont de plus en plus adeptes de la percussion mode bulldozer quand ils sont en possession du ballon (technique du pick and go) et même lorsqu'ils sont sans ballon (lors des rucks). L'affrontement à pleine vitesse et tête première peut être dommageable, surtout si le choc se produit tête contre tête. De façon générale, les arbitres devraient sans doute se montrer plus sévères dans tout ce qui relève du « jeu dangereux » : plaquage haut (à ras de cou), plaquage à l'épaule (sans mettre les bras), plaquage cathédrale (en retournant l'adversaire et en le projetant contre le sol). Punir avec une simple « pénalité » ne suffit pas et il faudrait à coup sûr faire usage du carton jaune, du carton rouge et même de la suspension (2 à 6 matches) si l'intention de « faire mal » est manifeste. Ces agressions peuvent entraîner des blessures aussi graves que l'odieux coup de « godasse » ou le légendaire coup de poing.

Ces préconisations ne seront efficaces que si les joueurs et les spectateurs ont été préparés à admettre quelques principes de base de la compétition sportive : chercher à marquer plus de points que l'adversaire est pleinement légitime mais à condition de s'en tenir aux règles du jeu ; il faut donner de l'importance à la manière et pas seulement au résultat (ou a fortiori à la rémunération de mise chez les pros) ; ne pas oublier que le rugby est et doit rester un jeu et, qui plus est, un jeu d'équipe. En résumé, il n'est nullement question de supprimer le risque (inhérent à toute activité sportive), pas question non plus de supprimer le contact (l'engagement physique est un constituant du combat loyal) mais le rugby doit être préservé de la dérive guerrière qui le transformerait en sport de gladiateur.

* Professeur émérite de psychologie à l'Université Tousouse 2

Par Jean Le Camus*

Source : Le Quotidien du médecin: 9517