« L'instinct de vie », du Dr Patrick Pelloux

La renaissance d'un soignant psychotraumatisé

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Publié le 09/05/2017
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PELLOUX

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Dans « La légèreté », publié en avril 2016, Catherine Meurisse dessinait sa longue et sinueuse renaissance après l'attentat de Charlie Hebdo, un envol vers la beauté avec comme planche de salut une résidence à la Villa Médicis de Rome. « Je compte bien rester éveillée, attentive au moindre signe de beauté. Cette beauté qui me sauve, en me rendant la légèreté », écrivait la dessinatrice dans ses dernières bulles.

À la beauté de Catherine Meurisse, fait écho la bonté de Patrick Pelloux : « Avancer dans la ville qui vous redresse. Ça tire vers le haut, vers là où l'on trouve de l'air, de la douceur, de la quiétude. Je cherche de l'air. Je respire. Je cherche de l'air et je le trouve si bon », écrit l'urgentiste dans la dernière page de « L'instinct de vie ».

Son livre est celui d'une « reconstruction », d'une « renaissance », pour employer ses termes. Il rejette celui de « résilience » : « nous ne reviendrons jamais à l'état antérieur », écrit-il. Et d'appeler (un appel qui est en même temps une recherche, et qui se fait performatif) à « vivre avec » le traumatisme, la faille, la fracture, la béance, la déchirure irréparable entre l'avant et l'après. Et à apprivoiser l'altérité, cet autre qu'on est devenu, tout en restant soi-même.

Le 7 janvier 2015, l'urgentiste, est devenu « victime d'un attentat » : une identité qui s'est imposée et qu'il a fallu l'accepter. Pas une substitution, insiste-t-il, mais un ajout… qui ne doit pas non plus devenir un porte-étendard. « Il faut que la vie continue, ne pas rester enfermer dans le drame ou replié sur soi-même », écrit-il.

De l'altérité dans l'identité

Le 13 novembre vibre comme un soleil noir dans le livre, un gouffre menaçant que l'auteur tâche de contourner, de circonscrire. Les premières fois qu'il évoque ces attentats, c'est sur le ton du médecin qui analyserait a posteriori un cas clinique. Puis allant plus avant dans la confidence du « médecin malade », il parvient à décrire le fil sur lequel il s'est tenu comme un funambule, pour raccrocher avec sa vie d'urgentiste, sans rechuter dans la sidération. Pour tenir son rôle de docteur sans être neutralisé par ses propres traumas. Patrick Pelloux file à la régulation : « À ce moment-là je me suis dit que j'étais à ma place, que je les aidais (...) J'étais là où il fallait que je sois, là où je me sentais vraiment utile, sans pour autant prendre le risque d'une réactivation du traumatisme », écrit-il.

Le lecteur est convié à un work-in-progress, une reconstruction en cours, par l'écriture. Celle-ci accueille un entrelac de voix : celle du scientifique, qui expose une histoire du traumatisme, décortique les états de stress-post traumatique, évalue les différents traitements, commente le système de santé et de secours français, salue le travail des CUMP et des psychiatres, et celle, plus intime, de celui qui se raconte, qui confie la sidération, la peur, la culpabilité, la bombe à retardement qu'est l'ESPT et la vie avec des souvenirs minés par la terreur et le deuil. « Il faut les envahir, les occuper, les sécuriser, refaire du souvenir sur le souvenir », conseille-t-il.

Ces plans qui s'entrechoquent au début, lecture faisant, livre s'écrivant, s'harmonisent. « Faire ce livre est une sorte de rédemption. Écrire est un acte intime, fastidieux, viscéral. Il m'a fallu vaincre les démons de la peur, les flashs, les troubles de la concentration et du sommeil afin de commencer cette écriture » confie Patrick Pelloux.

Le pacte de lecture énoncé dans l'introduction promettait une méthode inspirée de l'expérience « du soignant blessé psychotraumatisé » pour « servir la reconstruction des victimes ». Mais ce livre, qui fait de la bienveillance une valeur cardinale, peut aussi aider les proches des victimes à les comprendre et à accepter le traumatisme des survivants, leurs manies ou addictions. Patrick Pelloux insiste notamment sur le temps de la reconstruction, qui n'est pas le même pour l'entourage et le blessé. Sans oublier que « pas une victime n'est identique à une autre ». Et finalement, c'est un message de tolérance qu'il livre.

L'instinct de vie, collection la vie sauve, Cherche-Midi. 112 pages, 15 euros.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9579